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8 janvier 2021

Un "Noël" très particulier, par Bernard Delzons

Piste d'écriture: il (ou elle) n'est plus le (la) même. D'où vient ce changement soudain de comportement ?
Comme les années précédentes Charlie m’avait demandé de réserver ma soirée de Noël, pour la passer avec elle et les enfants. Je le faisais volontiers depuis le drame qu’elle avait subi et dont j’avais été le témoin. Ce soir là, bon gré, mal gré je jouais le père Noël.

C’était il y a cinq ans déjà , j’étais au Bataclan avec Julien son mari. Julien était mon meilleur ami. Charlie était restée à la maison, elle était à peine remise de sa deuxième grossesse. Après un garçon, elle venait d’avoir une petite fille Marinette. Elle avait poussé son mari à sortir pour ce concert, sachant qu’il désirait beaucoup y assister. C’est du moins ce que je croyais. Je n’étais pas intime avec le couple et j’avais accepté d’accompagner Julien, espérant retrouver notre complicité d’antan.
Quand le drame arriva, je m’étais absenté pour aller aux toilettes. Je dois d’être vivant à une envie de pisser pressante ! Quand j’eu la certitude que Julien était mort, je me suis chargé de l'annoncer à Charlie. Elle affronta cela beaucoup mieux que moi-même. J’étais démoli.
Je l’ai alors beaucoup aidée, et nous sommes devenus proches, amis, mais sans ambiguïté sentimentale. Ainsi depuis 2016, je jouais le père Noel pour ses enfants. Les enfants ne se souvenaient pas de leur père. Ils ne connaissaient de lui que ce que Charlie ou moi-même leur avions raconté. Pour les enfants j’étais “Parrain-Pierre”.
Bref, quand elle me demanda de venir à Noël, je n’ai pas pu refuser de lui donner ce moment de joie partagé avec ses enfants.

 Quelques jours plus tard, je venais de rentrer chez moi quand le téléphone sonna. C’était Charlie. Au bout du fil, elle avait une voix froide inhabituelle. Elle dit simplement : “Je te libère pour Noël, je… nous n’aurons pas besoin de toi ce soir là. Salut”. Elle raccrocha.
Le lendemain je devais aller chercher son garçon pour l’emmener au judo. Je sonnai donc à la porte. La petite ‘Minette” ( c’est le nom que je donnais à Marinette) m’a accueilli avec joie comme à son habitude, bientôt suivie par son frère déjà prêt pour le sport.
Charlie passa le nez derrière la porte de sa chambre. Je vis qu’elle n’allait pas bien. Je voulu m’approcher, mais de la main, elle me fit signe de rester à distance.  Je ne comprenais pas, d’autant qu’elle s’était montrée tellement forte au moment des évènements. Elle me regardait comme si je lui faisais horreur. Qu’avais-je donc pu faire ? Je ne voyais rien qui puisse justifier, ainsi, ce changement à mon égard. Elle appela la fillette et me demanda de ramener le garçon. Puis elle disparut dans sa chambre. Je quittais l’appartement avec Gabriel. Sur le chemin j’essayai de l’interroger, mais je compris vite qu’il ne savait rien. En tout cas lui me gardait la même affection.

Le lendemain j’essayais d'appeler Charlie Elle ne répondit pas. Je recommençai le jour suivant et le jour d’après. Enfin un soir elle décrocha. Au bout du fil, je sentis qu’elle pleurait. Elle commença par me demander pardon.  Je lui demandai, pardon de quoi ?
Alors elle m’expliqua ce qu’elle avait découvert.
-        Je m’étais enfin décidée à trier les papiers de Julien. Cela m’a pris beaucoup de temps. Je lisais les lettres qu’il avait gardées avant de les jeter si elles n’avaient pas d’intérêt. J’ai gardé celles de ses parents pour les lire à leurs petits-enfants. J’ai bien entendu trouvé des lettres de toi, mais celles-là je ne les ai pas gardées. Puis j’ai trouvé une lettre datée de deux jours avant le drame. Elle était signée “N”, ton initiale Nicolas. C’était une lettre racontant vos moments de complicité dont j’étais visiblement exclue. Il était question d’un été particulier où vous aviez flirté et enfin d’un concert où vous aviez été. J’ai pensé que Julien m’avait trompé avec toi... Depuis la naissance de Marinette nos relations avaient changé. Il supportait mal les pleurs de notre fille. Puis, je connaissais l’affection qu’il te portait ! Il y avait dans cette lettre une tendresse qu’il ne n’avait plus partagée avec moi depuis quelques temps.
Je protestai, mais elle continua.
-        J’avais décidé de rompre toute relation avec toi. Cela aurait dû se terminer ainsi. Mais j’ai poursuivi mon travail d'archéologue et je suis tombée sur une deuxième lettre, toujours signée “N”, mais celle là datée d’une dizaine d’années plus tôt. Il était évident que c’était une lettre d’enfant, une petite fille. Je me suis rappelé que Julien m’avait parlé de cette enfant, la fille de voisin de ses parents, Elle s’appelait “Noémie”, le prénom me revint à l’esprit.  J’ai relu, alors, la première lettre que j’avais pris pour une lettre d’amour et j’ai dû convenir qu’il n’en était rien. C’était simplement le courrier amical d’une amie d’enfance.       -        Mais pourquoi m'as-tu soupçonné? demandais-je.
-        Tes autres lettres étaient signées « NICO », j’aurais dû comprendre que ce n’était pas toi. En fait, le soir du Bataclan, j’étais jalouse de votre complicité et je n’ai pas su m’opposer à cette sortie. Ma rancœur a éclaté en lisant cette lettre.
-        Mais enfin comment as-tu pu imaginer une histoire… d’amour entre nous ?
-        Et puis, Nicolas, tu es toujours célibataire... et avec moi tu n’as jamais rien tenté.
-        Mais…
C’est vrai, je ne lui avais jamais raconté mes histoires sentimentales sans lendemain.
-        J’ai découvert aujourd’hui pourquoi.
-        ?
-        Tu as envoyé un courriel sans vérifier le destinataire. J’ai tout de suite compris qu’il était destiné à ton ami Charles Eston. Mais c’est moi qui l’ai reçu !
-        Oh merde ! Je me demandais pourquoi, il ne m’avait pas répondu.
-         Tu disais que tu ne comprenais pas mon attitude et tu finissais en disant : “Je crois bien que je suis amoureux de Charlie”.
Je sentis que je rougissais.  Puis j’éclatai en sanglots. Julien était mon ami, je ne voulais pas le trahir, même si avant le drame il m’avait confié ses doutes sur ses sentiments pour Charlie. Je restai sans voix. Charlie me demanda de passer pour décorer le sapin.

 Quand j’arrivai, c’est elle qui m’ouvrit la porte. Je la regardai. Je décelai dans ses yeux malicieux une tendresse que je n’avais jamais remarquée avant, tant je m’efforçais de cacher mes sentiments. Je m’approchai, j’hésitai encore, puis voyant qu’elle souriait, je la pris dans mes bras et je l’embrassai. Dans le couloir, des petites mains applaudirent: c'était Minette. Alerté par le bruit, Gabriel est arrivé à son tour. Quand il nous a vu enlacés, Il a souri. En repartant dans sa chambre il a murmuré : « cette année ce n’est pas des chaussures que l’on verra sous la robe du père Noel, mais des pantoufles !»
Surpris, je ne savais quoi penser. Je croisai le regard de Charlie et nous avons éclaté de rire.

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