Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
6 avril 2021

La princesse et le croquenote, par Florie

Piste d'écriture: une rencontre dans un jardin (ou un parc) 

fin

            Sa housse sur le dos, il franchit d’un pas traînant les grilles du parc de la Liberté, un nom banal pour un jardin public tout aussi banal. Des allées gravillonnées, des bancs en bois peints en vert à une époque lointaine, de grands arbres qui ressemblent à tous les grands arbres, il n’y connaît absolument rien en botanique et il s’en fiche pas mal, des pelouses bien tondues où s’étendent des couples lascifs, des étudiants dans leurs révisions et des chiens paresseux, l’incontournable bassin sale, auquel on a trouvé poétique de donner le nom de « Miroir aux oiseaux », la tout aussi incontournable aire de jeux, les agaçants ados qui jouent au ballon, tout y est. Il ne manque rien et il n’y a rien de superflu. Maintenant qu’il est là, à arpenter les allées à la recherche d’un banc libre, il se demande ce qui l’a poussé à venir. Bien sûr, il y a ce soleil éclatant et ce ciel incroyablement bleu, mais il les voit tout aussi bien depuis son balcon. Cependant, ce n’est sans doute pas là-haut qu’il risque de faire la moindre rencontre digne d’intérêt. Il est le seul à son étage à avoir un balcon sur cette façade-là de l’immeuble et, mis à part quelques piafs téméraires qui viennent parfois au petit matin se poser sur la balustrade, il n’y a guère d’animation. Et comme il connaît aussi peu les oiseaux que les arbres et qu’il s’en fiche tout autant, ces visites matinales ne lui sont d’aucun réconfort.

            Oui, il n’en prend vraiment conscience qu’à présent qu’il observe à la dérobée les passants qu’il croise, il a besoin de voir du monde. Sans doute le tout récent confinement y est-il pour beaucoup, associé au fait qu’il travaille à son compte comme développeur informatique depuis son appartement depuis plusieurs années à présent. Mais le coup de grâce lui a été asséné quand son groupe de musique a décidé de se passer de ses services de guitariste. Il était trop classique dans son jeu, voilà ce qu’ils lui ont reproché. C’était il y a six mois ; il s’est fait larguer d’un seul coup par son groupe et par sa copine, celle-ci étant la claviériste de celui-là. Sans doute le trouvait-elle aussi trop classique dans son couple. Ça fait six longs mois, mais il ne s’en est jamais remis, plus de la perte de son lieu d’expression artistique que de celle de sa petite-amie, d’ailleurs. La musique, c’était toute sa vie sociale ; les séances studio, les concerts, les fans, les tournages de clips, les sessions de répétition, c’était comme ça qu’il rencontrait du monde, qu’il passait du temps avec des gens qu’il appréciait. Depuis six mois, mis à part ses parents et son frère, ainsi que ses clients en visio-conférence, il n’a croisé absolument personne.

Voilà comment il se retrouve à s’assoir seul sur un banc sous un platane, ou peut-être pas un platane, il s’en tamponne pas mal, et à sortir sa guitare de sa housse. Il la cale doucement sur ses genoux, en caresse les courbes, tout en songeant qu’elle est en fin de compte dans sa vie ce qui ressemble le plus à une compagne.

Il se met à appuyer quelques accords du bout des doigts de sa main gauche, à pincer, gratter, chatouiller les cordes de sa main droite. Quelques visages se tournent vers lui un instant, interpelés par la musique mélancolique qu’il fait jaillir au milieu de ce jardin baigné de joie printanière, avant de se détourner à nouveau. Ça fait un joli fond sonore pour une atmosphère romantique, voilà ce qu’ils pensent, tous ces gens, et ils se replongent dans leurs révisions, leur jeu, leur amour ou leur promenade sans plus prêter attention au musicien.

            Tandis qu’il fait tourner les derniers motifs mélodiques et rythmiques qu’il a composés sans plus trop savoir pour qui ni pourquoi, il se souvient de ce que lui a toujours répété son frère, avec peut-être une pointe de jalousie dans la voix : « T’as de la chance, Bob, la guitare, ça fait tomber les filles comme des mouches. Tu peux la trimballer partout avec toi, et puis le jour où tu vois une nana super canon, tu sors le bousin, tu t’accroupis dans l’herbe en mode artiste inspiré, tu grattouilles trois accords et la meuf se pâme à tes pieds. »

Il ne s’appelle pas Bob, mais son frère l’a toujours surnommé ainsi, à présent il ne sait plus du tout pourquoi. Il laisse échapper un petit rire ironique : le coup de la séduction par la musique, ça n’a pas franchement fonctionné avec la dernière, ou alors à très court terme. Quant à aujourd’hui, il a l’impression que ce sont surtout des vieilles édentées et des gamins à l’air idiot qui s’arrêtent un instant pour l’écouter et lui décochent des sourires appréciateurs. Les jolies filles, il n’en voit aucune, sinon au bras de types à l’air beaucoup plus passionnants que lui. Il doit admettre qu’il ne serait pas contre si une jeune femme charmante venait s’assoir sur son banc, attirée par sa mélopée, restait un moment sans mot dire à l’écouter, jusqu’à l’instant où il se rapprocherait doucement d’elle, lui demanderait ce qu’elle aime entendre, lui jouerait sa chanson préférée pour lui faire ouvrir de grands yeux admiratifs et dessiner un sourire béat sur ses lèvres. Ensuite, il lui proposerait d’aller boire un café, ils se souviendraient un peu tard que les cafés ne sont pas ouverts et il l’emmènerait chez lui pour prendre sur son balcon une boisson qui peut-être serait un peu plus alcoolisée.

Il secoue la tête et chasse ces idées absurdes de son esprit. Ça ne lui fera aucun bien de rêvasser, le retour à la réalité est toujours un peu trop désagréable à son goût.

Tant pis pour les nanas, il n’a qu’à jouer pour lui-même un moment, tenter de créer une mélodie nouvelle qu’il ne fera jamais entendre à personne, écouter la façon dont elle s’harmonise avec le chant des oiseaux et ce sera déjà pas trop mal comme après-midi.

Il ferme les yeux et se met à jouer avec plus d’intensité, savourant la caresse du soleil sur sa nuque et s’enveloppant dans cette bulle de musique qui l’a toujours protégé et rassuré.

interlude

               « Eh ! »

Quelque chose lui tapote le genou, mais il n’y prête aucune attention. Il est à présent intensément absorbé dans son morceau et le monde pourrait s’écrouler autour de lui sans qu’il s’en aperçoive.

« Eh, monsieur guitare ! »

Il entend la voix, un couinement aigu sans doute issu de la gorge de l’un des enfants à l’air idiot qu’il a aperçus plus tôt, et il choisit de faire comme s’il n’avait rien remarqué. Le gamin finira par se lasser et s’en ira bien gentiment.

« Oh hé ! Monsieur guitare ! Tu m’écoutes ou pas ? »

Il voudrait continuer à l’ignorer, mais à présent c’est impossible, car la chose hurle de façon hystérique et martèle son genou de coups de poing. Il arrête de jouer, ouvre les yeux et découvre la créature qui fait tant de tapage. C’est une petite fille, elle n’a pas plus de sept ans ; elle a des cheveux auburn qui bouclent tout autour de son petit visage fin, quelques taches de rousseur sur le nez et les pommettes et d’incroyables yeux verts qui le fixent avec reproche.

« Tu vois bien que je ne t’écoute pas, lui répond-il sans réfléchir avec le plus de fermeté que lui permettent ces deux prunelles vertes rivées sur lui.

— Bah si, tu m’écoutes, puisque tu me réponds. »

Il doit admettre que l’argument est imparable, alors il change de stratégie.

« Qu’est-ce que tu me veux ?

— Bah, je me suis perdue. Je devais rester avec papa et Léo, mais papa était au téléphone et ne regardait pas alors je me suis échappotée, et puis maintenant, je les retrouve plus.

— Ok, d’accord, et on peut savoir pourquoi tu viens me voir moi ?

— Bah parce que tu joues de la musique ! »

La logique doit être implacable pour la petite fille car elle n’ajoute rien, ses grands yeux toujours fixés sur lui et semblant attendre une réaction évidente qui ne vient pas. Après quelques secondes de silence, voyant la petite bouche enfantine se tordre en une moue franchement contrariée, il se décide à demander :

« Et alors ? Ma musique peut t’aider à retrouver ton papa peut-être ?

— Bah évidemment ! T’es vraiment pas très malin toi hein ? Tu connais le joueur de flûte de Hamelin ? La maîtresse nous a raconté l’histoire à l’école. Le monsieur il joue de la musique et tout le monde le suit.

— Alors oui, répond-il un brin exaspéré mais amusé malgré lui, seulement si tu as écouté l’histoire jusqu’au bout, le joueur de flûte de Hamelin attire tous les enfants pour les précipiter dans la rivière. Du coup je ne sais pas si ton calcul est très pertinent.

— Non mais dans les musicieux, y a les méchants et les gentils. Toi, tu fais partie des gentils, ça se voit direct.

— Euh, je sais pas trop où tu es allée pêcher ça, mais en l’occurrence, je n’ai pas particulièrement envie de faire trois fois le tour du parc avec une gamine pour tenter de retrouver son père. »

La fillette, pas vraiment désarçonnée par la réponse abrupte, réfléchit quelques secondes, sa petite main caressant son menton. Finalement, elle semble parvenir à une conclusion et s’installe sur le banc tout contre lui.

« Alors je vais rester ici et tu vas me jouer des chansons. Comme ça mon papa il va entendre la musique, ça va l’attirer jusqu’ici comme ça a fait avec moi et il va me retrouver. »

Il est complètement désespéré ; d’accord, il n’y avait pas franchement de belles filles à séduire, mais au moins il avait réussi à trouver un peu de sérénité et de plaisir dans cette journée. A présent, tout est gâché. Cependant, il ne se sent pas de dégager cette petite fille comme une malpropre. Elle est agaçante mais elle ne lui a rien fait et puis, il doit l’admettre, sans être particulièrement brillant, son plan n’est pas tout à fait idiot non plus. La musique attire toujours l’attention, même pour quelques secondes seulement. Peut-être que ce père inconséquent le remarquera et remarquera ainsi sa fille. De toute façon, sa journée est peut-être gâchée et il n’a pas franchement d’affinités avec les enfants, mais il ne lui viendrait pas pour autant à l’idée de laisser une petite de cet âge perdue toute seule dans un parc. Il n’a qu’à jouer comme il le faisait plus tôt, comme si elle n’était pas là, et les choses finiront par rentrer dans l’ordre.

 interlude

            Il se remet à grattouiller les cordes de sa guitare, cherchant à perfectionner cette grille d’accords qui lui est venue il y a quelques jours, qui lui plaît bien mais qui reste encore un peu fade à son goût, tentant d’ignorer la sensation de ce petit corps enfantin qui s’est lové tout contre son bras et qui le met un peu mal à l’aise. Il a à peine le temps de se dire que tout va bien et que ce n’est au fond pas si désagréable d’avoir un public attentif quand la petite voix flûtée s’élève à nouveau, chargée de contrariété :

« Eh, mais c’est quoi que tu joues là ? C’est nul ! Moi, je veux des chansons de princesse. »

Il envisage un instant de l’ignorer à nouveau, mais il a encore très clairement à l’esprit la stridence de cette petite voix quand elle s’impatiente et, même si elle pourrait sans doute faire rappliquer le paternel plus rapidement, il n’a guère envie de l’entendre encore. Il réfléchit un moment ; quand il était petit, il aimait beaucoup les dessins animés de Disney ; les chansons surtout étaient particulièrement réussies. Il réalise avec un certain étonnement que, si la naïveté et l’émerveillement qui allaient avec l’ont indéniablement quitté, il connaît encore la plupart de ces musiques par cœur. Avec une aisance qui le surprend lui-même, il se met à jouer les accords de « Ce rêve bleu », la chanson d’Aladin et Jasmine, et à en fredonner les paroles. Si ça ce n’est pas une chanson de princesse, rien au monde ne peut répondre à cette définition !

« Mais c’est quoi encore ça, monsieur guitare ? J’aime pas du tout ! »

Il pousse un soupir excédé et arrête de jouer. Elle a donc décidé de pourrir chacune des secondes qu’elle va passer avec lui. Il s’apprête à lui lancer un regard noir et à lui dire quelque chose de cinglant quand il réalise brusquement avec une légère sensation de vertige que ses princesses à lui ont plus de trente ans. Aucune chance pour que cette fillette-là les connaisse. Seulement, en princesses moderne, il doit admettre qu’il est totalement largué. Ça fait une éternité qu’il n’a pas regardé un dessin animé, c’est à peine s’il connaît le nom des derniers Disney qui sont sortis. Il réfléchit quelques instants, puis sans prévenir, un air lui vient à l’esprit, un air que tout le monde a forcément entendu, même en vivant à dix mille lieues de l’univers des dessins animés. Ça lui fait mal de chanter ça, il déteste cette chanson, mais après tout, prendre quelque chose d’horrible et tenter d’en faire une version intéressante, c’est un défi musical plutôt séduisant. Il repose les doigts sur les cordes et se met à jouer avec énergie, tentant de ne pas trop réfléchir à ce qu’il est en train de faire.

« Libérée, délivrééée, je ne mentirai plus jamais ! Li…

— Ah non, non, non, pas ça ! Arrête ça tout de suite, je déteste cette chanson. »

Il s’arrête net, abasourdi. Toutes les gamines adorent la Reine des Neiges ! Il se tourne vers elle et scrute son visage menu pour être sûr qu’elle ne se moque pas de lui. Mais non, elle est très sérieuse, sa bouche pincée en une moue désapprobatrice presque comique, ses joues légèrement empourprées.

« Bah quoi ? Dis-moi pas que tu aimes ! Déjà la chanson est nulle, mais en plus Elsa, c’est pas une vraie princesse. C’est pas une fille gentille, suffit de regarder le film pour de vrai pour se rendre compte. »

Il éprouve tout à coup pour cette petite furie quelque chose qui ressemble à du respect. Une enfant de sept ans qui n’aime pas « Libérée, délivrée », ce n’est vraiment pas une enfant ordinaire ; il doit y avoir dans cet esprit encore tout jeune une capacité de critique qu’il ne pensait pas pouvoir y trouver et qui lui plaît.

« Je te rassure, répond-il avec un petit sourire, je ne peux pas supporter cette chanson. Je l’ai jouée parce que je pensais que tu l’aimais, mais je suis bien content que ce ne soit pas le cas. Je n’ai même pas vu le dessin animé, si tu veux tout savoir. Par contre, je ne sais pas bien ce que je pourrais te jouer d’autre. »

Voilà qu’il discute avec une gamine maintenant, comme si c’était l’une de ces jeunes femmes charmantes dont il rêvait plus tôt. Une part de son esprit est totalement désabusée par la situation, mais une autre apprécie pleinement l’instant.

« Tu peux me chanter les chansons de Raiponce ? »

Il baisse les yeux comme un enfant pris en faute. Pour une fois qu’elle lui demande quelque chose gentiment, il ne peut pas lui donner satisfaction. Elle va encore devenir insupportable et la situation va redevenir franchement désagréable, tout ça parce qu’il ne connaît pas les histoires débiles qui font rêver les petites filles d’aujourd’hui.

« Non, je suis désolé. En fait, je pense que je ne connais aucune des princesses que tu connais toi. »

Il se détourne et s’apprête à reprendre ses divagations musicales pour se donner une contenance et éviter de poursuivre cette conversation surréaliste, mais la fillette le tire doucement par la manche et lui dit dans un sourire rayonnant :

« Ça fait rien ! On a qu’à en inventer, une chanson de princesse. Vas-y, joue n’importe quoi, moi je chante par-dessus. »

Il n’est vraiment pas sûr que cette idée soit bonne, mais puisque de toute façon, jouer n’importe quoi, c’était bien ce qu’il s’apprêtait à faire, il ne va quand même pas la bâillonner pour l’empêcher de chanter. Se souvenant in extremis qu’elle a décrété que sa dernière grille d’accords était nulle, il en choisit une autre et se met à la faire résonner dans le parc ensoleillé.

La fillette écoute un moment, très concentrée, puis elle se met à chanter. Au début, sa chanson se compose principalement de « lalala » ponctués de temps à autre d’un mot ou deux plus ou moins absurdes. Pourtant il remarque tout de suite qu’elle chante étonnamment juste, que sa voix est claire et qu’elle a un sens naturel pour la mélodie et le rythme. Il s’enhardit à enrichir ses accords et se laisse happer par ce petit monde qu’ils sont en train de créer. Petit à petit, un refrain prend forme, une histoire de princesse volant sur le dos d’un cheval bleu. Il lui suggère de remplacer « le ciel » par « les cieux » à la fin du refrain pour que ça rime ; elle accepte et s’exclame que c’est génial ! Elle lui suggère de jouer un peu plus vite ; il accepte sans conviction et doit bien reconnaître en s’exécutant que c’est mille fois mieux ainsi. Il se prend à fredonner une seconde voix, la petite fille propose plutôt qu’ils alternent, lui fera le prince, elle la princesse et ils se répondront. Le résultat est franchement surprenant ; c’est une chanson de deux phrases composée en cinq minutes, mais elle a vraiment de l’allure ! Le guitariste et la chanteuse ne s’en lassent pas et la font tourner en boucle, rajoutant des variations, reprenant encore et encore ces quelques mots naïfs et si efficaces.

 

            Soudain, un homme qui doit avoir à peu près le même âge que lui déboule dans l’allée du parc où ils sont installés en poussant une poussette et s’écrie :

« Enfin, tu es là ! Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Je t’avais dit de ne pas t’éloigner ! »

La petite fille se lève d’un bond et se jette dans les bras de son père en criant : « Papa ! » Le charme est rompu, la guitare se tait. Le parc de la Liberté réapparaît à ses yeux, aussi insipide que son nom.

La fillette présente son nouvel ami à son père. Il lui serre la main sans conviction ; il se sent injustement en colère contre cet homme, en colère d’avoir laissé sa petite fille sans surveillance, en colère d’être revenu la chercher si vite. Ils échangent quelques banalités, mais il n’y prête aucune attention. Le père de famille s’éloigne finalement avec ses enfants et il se retrouve seul, sa guitare dans les bras. Il la range soigneusement, la remet sur son dos et quitte le parc à pas lents ; il n’a plus rien à faire ici.

 interlude

            Il pousse la porte de son appartement, qui lui semble brusquement bien étriqué. Tandis qu’il sort une bière de son réfrigérateur et s’installe dans son canapé pour la boire, il se rend compte qu’il s’est mis à fredonner. C’est cette chanson, celle de la princesse et de son cheval bleu, elle reste résolument dans la tête. Finalement, il allume son ordinateur, branche sa carte son, son micro, sa guitare et ouvre son logiciel d’enregistrement studio. Sa bière oubliée à peine entamée sur la table basse, il lance l’enregistrement d’une première piste et se met à jouer les accords à la guitare.

Il ne sait même pas son nom, à cette fée de la musique qu’une après-midi de printemps a déposée sur son banc ; d’ailleurs, elle ne sait pas le sien non plus. Pourtant, elle lui a en quelques minutes donné plus d’inspiration et d’idées folles que son groupe de folk rock en trois ans de travail en commun. Après avoir enregistré le refrain de la princesse au cheval bleu, il ouvre un nouveau fichier dans son traitement de texte et se met à écrire des couplets. Les mots lui viennent avec une facilité déconcertante, comme s’ils coulaient directement de son esprit à ses doigts, de ses doigts au clavier ; comme si une petite fille aux grands yeux verts les lui soufflait directement dans l’oreille.

Durant les jours qui suivent, toutes les bribes de musiques qui flottaient dans sa tête depuis six mois et qu’il n’a jamais enregistrées pour personne trouvent des paroles, une forme et un sens. Après « La Princesse au cheval bleu » viennent « La petite souffleuse de roses » et « Le marchand de bisous ». Les chansons pour enfants sont pour lui comme une évidence, comme une chose qui a toujours fait partie de lui, dont il ignorait l’existence et qu’il a suffi d’une rencontre pour faire jaillir à torrents. Il ne la reverra probablement jamais, sa petite fée, mais elle vient irrémédiablement de changer sa vie.

Publicité
Publicité
Commentaires
D
Superbe ballade (j'écris bien : ballade) qui nous enchante et nous charme, qui nous entraîne sur le chemin magique de la spontanéité enfantine révélant souvent un monde poétique et musical merveilleux. Bravo!
Répondre
Publicité