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22 octobre 2021

Ces galets au prix d’or, par Jean-Marc Occhuizzo

       Piste d'écriture: écrit sur un galet                                                                                                   

Après avoir enfilé une marinière cradingue, Will Junior se sent pousser des ailes dans le dos. Droit dans ses bottes, il soufflette sur son café crème, qu’il tient religieusement entre ses mains.  Détendu, il est du matin, fait partie de ces contingents de besogneux qui se lèvent tôt, tous les jours de l’année. Même le dimanche sinon ça devient suspect et vite pêché. Songe-t-il.

Vingt minutes peinardes plus tard, il arrive à la destination prévue au pied d’une falaise familière, au volant d’un Kangoo brinquebale qui crie au secours. Moteur coupé devant les rochers luisants comme du sang, il s’extirpe de l’habitacle, pour mieux s’encomber d’un fourbi comparable à un butin de flibustiers épuisés. Will Junior harponne la mer sombre de cet automne mécontent.

Maintenant, c’est une folle aventure périlleuse pour descendre, sûr qu’il faut y aller mollo, ça dévale raide jusqu’en bas de la Grande Conque désertique aux criques de sable gravillonné bleu pétrole, teinté par un ancien volcan endormi pour toujours. Will serpente sur un petit chemin de terre craquelée, parsemé de flore famélique, un seau de maçon à la main, de bonne humeur. Il siffle un truc inepte, après tout il est heureux ce mercredi.

Pas de temps à perdre, avant que ne débarquent les derniers touristes au poil argenté. Des vieux téméraires contrariés qui veulent jouer à Robinson Crusoé. Des emmerdeurs de première, toujours à poser des questions à la conqu’il élude rapidos comme s’il voulait éviter la foudre.

Bras nus, tête baissée, les pieds dans l’eau, Will racle le sol, fouillant avec ses paluches fripées, et attrape les plus beaux galets. Il crie victoire tandis que la plage se réveille à peine sous la musique lancinante du ressac. Il admire, sans se lasser, une pleine minute, fasciné par ces engins polis et salés, ressemblant à des escargots de mer et même, pour certains, à des reinettes sans pattes.

Rien ne l’arrête dans sa mission, malgré ses neuf doigts glacés, la marinière mouillée, il récupère deux galets, des spécimens de belles tailles, les frotte délicatement l’un contre l’autre, ça glisse. Bien que n’étant pas superstitieux pour un euro, il sent un truc qui se dégage de ces perles, ça le remue un peu. Les galets ont-ils un cœur ? En redescendant sur terre en douceur, il apprécie le plus beau moment de l’être : seul et libre.

Comme un rituel, il les porte à l’oreille ayant l’impression d’avoir un coquillage murmurant des secrets de cabine d’un vieux navire. Que du plaisir, se dit-il. Soudain il les toque par un coup sec, les frappe, les entrechoque pour tester la qualité, dure et sonore. Les claque encore entre eux, incassables sans éclat apparent, puis il les malaxe de nouveau avec un infime plaisir charnel. On dirait des osselets en pierre, un massage sensuel entre ses paumes caleuses. Des pierres naturelles imprégnées d’histoire maritime de la région, que le temps et l’érosion ont peaufinées pour obtenir ce résultat d’exception. Un produit que l’on ne trouve aucune part sur la côte qui file de Collioure à Menton.

La mer est rebelle, écumeuse, belle aquarelle. L’iode monte en intensité, capiteux. Le vent se prépare à l’attaque frontale, sûrement. Désormais les minutes sont comptées avant le déchaînement des éléments. Après avoir décrypté la météo, il jette un œil à des oiseaux d’eau en difficulté dans un couloir aérien. Enfin un vrai sourire de satisfait l’éclaire, aussi rayonnant qu’un phare en pleine mer, grouille-toi lui dit la petite voix, alors il prend le seau rempli de son trésor de filouterie, puis se dirige illico vers la sortie.

Ces galets sont rares, il les qualifie de pure merveille, avec ce doux mélange teinté de vert émeraude, moucheté de rouge safran, strié de gris perle et de noir espadon, un chef-œuvre incognito au fond d’un seau de maçon. Voilà ce qu’il a récolté en à peine une heure de boulot, avant de remonter jusqu’au Kangoo. Car il est l’or mon señor…

Plus tard, c’est une autre mission qu’il l’attend dans l’arrière-cour, bien à l’abri des curieux, dans la modeste piaule d’une impasse ombragée. Son trésor sera étalé sur un établi en bois, puis séchera à l’air libre. Ensuite il appliquera sur chaque galet un vernis incolore, soigneux, du doigté. Le résultat est sidérant, pur éclat de brillance.

Presque des diam’s sur l’étalage feutré de pourpre. Enfin prêt pour la vente au marché de l’Esplanade le samedi matin. Mais cette fois, la belle Noémie se chargera de la partie commerciale. Pour sûr qu’elle maîtrise son sujet, avec sa gouaille huilée du matin au soir, contrairement à Will Junior, plus effacé, taiseux. Elle excelle en calcul et surtout dans le jeu du bonneteur auprès des clients, ravis devant la fille printanière aux vérités inventées. Des clients de passage ou fidèles depuis belle lurette, acquéreurs de ces jolis galets à prix d’or, lesquels ont soi-disant un pouvoir divin, apaisant, nuit paisible sur la santé mentale, physique, spirituelle, la baraka sur tout et tout le tralala des charlatans guillerets. Et ça marche leur petit bisness, puisque les membres du couple y croient eux aussi à leurs cailloux couillons. Le pouvoir des pierres ! s’exclament-ils en chœur. La panacée à tous les maux des gogos qui se noient dans un trou d’eau.

galet2 photographié par Carole Lilin

 

 

 

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