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4 décembre 2021

Voyage au fond de la mémoire, par Danièle Chauvin

Piste d'écriture: une situation, donnée par une phrase ou un paragraphe. Ici: l'orage nocturne, l'auto, un inconnu.

Un texto. Une adresse. C’est tout ce qu’elle m’a communiqué. L’orage gronde et les gouttes d’eau rebondissent sur l’asphalte dans les faisceaux de mes phares. Aujourd’hui peut-être verra le terme de ma quête.

En longeant les rues vides qui me guident vers la sortie de la dernière ville que j’aurai traversée aujourd’hui, toute cette histoire se déroule au bord de ma mémoire, telle un vieux film pâli par les trop longues années passées au fond d’un placard. La première scène est si lointaine que ses contours, ses silhouettes et ses décors restent obstinément flous malgré toute mon énergie à tenter de les préciser. Le mystère demeure. J’étais alors un enfant solitaire, perdu au milieu d’adultes qui s’entretenaient devant moi en un langage hermétique. Des hommes ? Des femmes ? Combien ? Je ne saurais dire. Trois ou quatre, dans le grand salon de ce qui semblait être une demeure imposante. Quelqu’un avait rassemblé mes vêtements dans une valise que je ne reconnaissais pas. L’un des adultes m’avait pris par la main et m’avait entraîné dehors vers un véhicule garé devant la maison. Je l’entends vaguement m’inciter à faire mes adieux à ceux qui nous regardaient partir depuis le perron. Bizarrement, je ne ressens aucune émotion particulière à l’évocation de cette séparation, seulement une sensation de vide. Pourquoi devais-je quitter ce lieu, ces gens ? Une brume opaque recouvre la réponse.

Les platanes centenaires, finement zébrés, se détachent un par un devant moi, longue file de fantômes géants, tandis que je roule en silence sous la pluie tenace. Il me semble vaguement que cette route rectiligne était moins lisse car les vibrations et les cahots de la voiture qui m’emmenait loin d’ici ce jour-là me remontent dans le dos comme un réflexe oublié. Recroquevillé sur le siège passager de la camionnette, je voyais les arbres défiler. C’était un jour de plein soleil. Il chauffait ma joue à travers la vitre et je transpirais sous ma veste trop chaude. Le conducteur ne parlait pas. Combien de temps dura le trajet ? Sûrement une grande journée. Ou peut-être plus. Avions-nous fait halte pour nous restaurer, pour dormir ? Obligatoirement puisque mon tout premier souvenir conscient se situe dans la ville où je réside à présent, à l’autre bout du pays.

J’aperçois, tout au bout de l’alignement fantomatique, les lueurs d’un village. Quand je pénètre dans la rue principale, un air de déjà vu s’impose malgré la nuit. Ainsi qu’une vieille connaissance, l’enseigne de l’épicerie me salue de son clignotement. Mais ce n’est plus une épicerie : l’appel lumineux indique une maison d’hôte. Pourtant, l’image de l’épicerie s’incruste dans mon esprit, et je me revois galopant avec une bande de gosses rieurs et entrant dans le magasin où la commerçante nous accueillait avec une poignée de bonbons extraits du bocal qui trônait sur le comptoir. Puis son fils s’éclipsait par la porte du fond et nous poursuivions notre chemin qui passait devant les maisons où, l’un après l’autre, mes copains entraient, me laissant seul pour arriver au manoir. Ainsi était dénommée par tout le monde depuis la nuit des temps la bâtisse un peu plus grande que les autres où nous vivions, ma famille et moi.

Le village se cache derrière ses volets clos. Les petites fenêtres des entrées, des toilettes ou des escaliers trahissent la vie encore active de ses habitants. J’avance lentement. Peu à peu, les souvenirs se dessinent plus nettement, prenant quelques couleurs. Ils me mènent jusqu’au manoir séparé du village par un bout de route serpentant entre les champs. Sa haute grille ouvrait sur l’allée bordée de tilleuls dont le parfum me ravissait en été et où s’agitait une multitude d’oiseaux bavards. Je courais vers le perron où surgissait immanquablement Mathilde et son si chaud : « Allez, mon grand, entre vite, ton chocolat t’attend. » Comment pouvait-elle apparaître sur le seuil de la maison au moment précis où je posais le pied sur la première marche ? C’était pour moi un mystère. Le jaillissement de Virgule, notre petit bichon, dès que la porte s’ouvrait, aurait dû m’éclairer, mais j’étais si jeune alors…

Mon voyage se termine juste devant la grille de la propriété. La route ne serpente plus entre les champs, mais le long d’une suite de pavillons. Le dernier porte le numéro indiqué sur le texto. Je me gare contre le trottoir. J’éteins le moteur. Seules les grosses gouttes de pluie peuplent le silence et animent le faisceau lumineux du réverbère. Je sors de la voiture. Un homme m’attend.

pluie

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