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17 février 2022

Paris flashback, par Roselyne Crohin

Piste d'écriture : quelques lignes de Jean-Michel Ribes évoquant des sensations ou des souvenirs où « Paris devient plaisir ». La photo qui illustre ce texte est de Paul Coudsi, in "Photos tirées d'un cagibi, 1979-1983", éd. Ubik-Art 2022, avec l'autorisation de l'auteur.

©Paul Coudsi, Belleville, Photos tirées d'un cagibi, 1977-2022

Sans la Seine et ses lourdes péniches hors d'âge, sans le canal Saint Martin, sans les rues escarpées de Belleville ou de Ménilmontant, sans le Boulevard Barbès et ses foules cosmopolites, sans l'épicier de Djerba à l'étal de fruits bien ordonnés, sans Beaubourg et ses bateleurs célestes, où serait le Paris populaire, chanté par les poètes et les chansonniers, immortalisé par Doisneau ?

 Que l'on ait habité ou non à Paris, chacun porte en soi un goût différent de cette ville multiforme. J'y ai habité près de quatorze ans et principalement dans ses quartiers populaires, bien avant la gentrification de ces vingt dernières années. Et quand j'y retourne, mes envies, mes pas me conduisent toujours vers les lieux où subsistent les traces, de plus en plus rares, des vieux ateliers. Imprimeurs et relieurs sur la Montagne Sainte Geneviève. Ébénistes, tapissiers ou laqueurs autour du Faubourg Saint Antoine. Ferronniers ou serruriers de la rue de la Folie Méricourt ou dans les courettes autour du Faubourg du Temple. 

Lorsque je vivais à Paris, dans les années 70, j'aimais m'aventurer jusqu'au fond des impasses, emprunter les passages fermés la nuit par de lourdes grilles, mais libres à la circulation le jour. On y découvrait des boutiques surannées, conservées dans leur jus de la Belle Époque. Dans le Marais, pas encore restauré et ripoliné, j'aimais pousser les portes cochères (il n'y avait pas alors d'interphone dissuasif) et découvrir des trésors d'architecture, parfois dissimulés sous un voile de crasse et menaçant ruine. Je revois avec netteté ces façades lourdement soutenues par des étais de bois. Elles subsistaient comme des décors de théâtre, ouverts à tous vents, le reste de l'immeuble déjà effondré ou sur le point de l'être. Dix ans plus tard, ces presque ruines avaient retrouvé leur superbe d'hôtels particuliers du XVIIème siècle mais étaient désormais inaccessibles à la vue du passant, sauf au hasard d'une porte qui s'ouvre.

 Autour de la Butte aux Cailles, un nom très champêtre pour désigner un quartier préservé du 13ème arrondissement, on se retrouvait dans des cafés et des restaurants alternatifs. On y mangeait bio et même macrobiotique. En été, des fleurs ornaient les façades et des tomates poussaient sur les coins de trottoir. C'est peut-être de nouveau le cas. Je n'y suis pas retournée depuis le nouvel engouement pour les jardins en ville. Le 14ème arrondissement, derrière la gare Montparnasse, était aussi un haut lieu de la vie de quartier. Le QG en était le cinéma Olympic-Entrepôt, installé justement dans un ancien entrepôt. Ce lieu abritait non seulement un cinéma d'art et d'essai, dirigé par le fameux touche-à-tout Frédéric Mitterrand, mais aussi une galerie-librairie et un restaurant bon marché et branché, où on pouvait se retrouver avant ou après la séance et prolonger le plaisir du ciné par de longues discussions enflammées. Ces années-là, on regardait les films de Fassbinder, de Pasolini, de Godard ou de Rohmer.

La gare d'Orsay n'était pas encore devenue un musée, mais n'était déjà plus une gare. Elle abritait le théâtre de la Compagnie Renaud-Barrault. Je n'ai pas oublié Madeleine Renaud jouant la Maud espiègle de la comédie anglaise « Harold et Maud ». Elle se balançait sur une balançoire fixée aux très hautes poutrelles métalliques. La même Madeleine Renaud jouait du piano dans une autre pièce, « L’Éden cinéma » où Marguerite Duras évoquait la dure vie de sa mère, dans le Saïgon des années 30. Cette mère qui, après la mort de son mari, devait cumuler les petits boulots pour subvenir aux besoins de ses trois enfants, d'où cet emploi précaire de pianiste accompagnant les films muets de l'époque. C'est cette pièce, je m'en souviens, qui m'a ouvert à l'univers de Marguerite Duras, fortement imprégné de l'atmosphère de l'Indochine coloniale. Autres souvenirs aux Bouffes du Nord, où Bob Wilson montait des pièces de Shakespeare ou de Brecht dans un théâtre désaffecté, aux murs décrépis. Les spectateurs y étaient assis sur des coussins posés à même le sol ou sur des petits bancs de bois.

 Ce Paris des années 70 était encore un Paris vieillot, aux façades noircies et où la plupart des quartiers étaient balafrés par d'immenses chantiers de construction ou de rénovation. Seule Notre-Dame, la Conciergerie et le Louvre avaient déjà eu droit à leur ravalement. Les Halles étaient déjà démolies, mais resteraient pendant plus de dix ans un énorme trou, entouré de palissades. Pour joindre la rue de Rivoli à la rue Réaumur, il fallait contourner une immense enceinte de tôles. Ce qu'on allait faire du trou était encore un mystère et l'objet de polémiques où s'affrontaient tous les courants politiques d'alors.

Dans ce Paris, il y avait encore peu de touristes et surtout, pas les hordes qui sont apparues ensuite. On pouvait visiter les expos ou les musées sans faire la queue, voir un spectacle sans réserver, juste parce qu'on avait lu une bonne critique dans Le Monde du jour ou de la veille. Jeunes provinciaux, débarqués dans la capitale à 20 ans, on trouvait à se loger intra-muros, parfois dans des chambres de bonne sans confort, au 7ème étage sans ascenseur et avec toilettes sur le palier. Mais aussi parfois dans de pittoresques appartements, comme le mien, où je disposais au fond d'une cour, d'un rez-de-chaussée, certes très sombre en hiver, mais frais en été, agrémenté d'une cheminée, avec bûches à disposition et d'un petit jardin privatif. Au-dessus de chez moi, habitait une vieille demoiselle d'origine polonaise, qui y jouissait, à vie, de l'atelier d'artiste de la Ville de Paris qui avait été attribué à son père. Ce petit deux-pièces faisait mon bonheur, mais aussi celui de nombreux amis qui venaient, de province ou de l'étranger, y séjourner pour une nuit ou plus.

 Tous ces souvenirs appartiennent à un Paris disparu... et c'était le Paris de mes 20 ans.

 

Texte de départ: Tout saisir en même temps, de J.M. Ribes

Sans le cri de la mouette, le parfum de l’embrun, les cuisses dorées des baigneuses qui chevauchent les vagues, sans les nuages, sans le sable doux et le vent coulis, sans le crabe qui s’enfuit, et doucement, sur la langue, la crêpe au froment, où serait le plaisir de la mer ? Petit plaisir, simple plaisir, plaisir joyeux, le plaisir ne commence que lorsqu’il est nombreux, plusieurs, ensemble et en même temps. 

Le petit livre des plaisirs, 50 façons de goûter la vie, Psychologies

 

 

 

 

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Commentaires
C
bravo on retrouve l'odeur de nos années parisiennes ...légèreté, liberté et découvertes, grand plaisir à lire
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