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18 janvier 2022

La pieuvre pour 7, ou La Belle et la Bête, par Bernard Delzons

piste d'écriture: les petits plaisirs, ici préparer un repas

Avez-vous déjà essayé de faire cuire une pieuvre ? Pas un petit calamar, une vraie pieuvre avec tous ses bras. Moi oui.

J’avais invité des amis pour le diner d’un samedi soir. Nous serions sept, trois adultes et quatre adolescents. Il fallait quelque chose de consistant. A l’époque j’habitais rue Notre Dame des Victoires, un nom prédestiné pour l’aventure du jour. Je suis donc sorti assez tôt le matin pour faire mon marché dans la rue Tiquetone, voisine. Je dois préciser que n’ayant pas de four, il me fallait trouver quelque chose à mijoter.

Je fis un premier aller-retour dans la rue, pour découvrir les étals et écouter les marchands vanter leurs marchandises. Chagriné de n’avoir rien trouvé à mon goût, je suis reparti pour une dernière descente de la rue. J’avançais doucement, détaillant avec attention tout ce qui pouvait être mangé. J’arrivai enfin devant le stand d’un poissonnier recouvert de glace pilée servant de tapis à la multitude de poissons différents. On aurait dit un présentoir de coraux posés sur un écrin de diamants. Lors de mes passages précédents, je n’avais rien remarqué, mais cette fois l’homme viril qui aboyait les mérites de ses victuailles était remplacé par une toute jeune fille, menue et belle comme un cœur. Séduit, je m’avançai, il fallait poser une question. Juste devant moi, il y avait cette pieuvre de bonne taille qui pourrait faire l’affaire pour mon diner du soir. Je demandai le prix. C’est une voix douce qui me répondit, m’annonçant un montant au kilo. Je regardai la belle d’un air interrogatif. Avec un joli sourire, je lui fis comprendre de me donner le prix de la bête tout entière. C’était cher, mais encore dans mes moyens de jeune cadre débutant. Elle aurait d’ailleurs pu annoncer le double que j’aurais quand même fait l’achat de ce petit monstre tant j’étais sous le charme de la petite jeune fille.

J’avais à peine dit que je prenais la bestiole que le gaillard peu aimable prit la relève et renvoya la jeune fée dans l’arrière-boutique. En un rien de temps, il avait emballé la pieuvre dans un papier jaunâtre et un sac en plastique bleu. Je payai, dépité. Mais quand il me tendit le sac je fus surpris par le poids, beaucoup plus important que je n’avais imaginé. Je terminai mes achats et rentrai chez moi en me demandant comment j’allais préparer ce plat.

 

Dès que j’ouvris la porte, mon chat se mit à miauler comme s’il avait senti tout l’intérêt du contenu de mon sac à provisions. Je l’avais posé sur la table et Malus se précipita, lui aussi, sur cette planche qui me servait tour à tour de bureau, de table de cuisine et de table à manger. Ce jour-là, ce serait une table à découper. J’ouvris le sac bleu et je tentai de saisir une des pattes de la bête. Comme si elle était encore vivante, elle me glissa entre les doigts. Je recommençai pour le même résultat. Alors je décidai de vider le sac dans l’évier. Devant l’horrible chose que j’avais devant moi, les larmes sont arrivées dans mes yeux. Comment allais-Je faire pour préparer cette chose qui me dégoûtait ? Bien calé dans l’évier, elle ne pourrait pas s’échapper, pensai-je. J’attrapai une patte pour m’apercevoir qu’il y avait encore toutes les ventouses. Il fallait absolument que je les enlève. Tous mes couteaux y sont passés, mais aucun ne me permit de faire cette ablation. Le chat que j’avais enfermé dans la salle de bain, miaulait plus fort que jamais.

Je n’avais pas d’autre choix que de garder les ventouses. Je me mis alors à découper chaque patte en petit cube que je faisais revenir dans une cocotte, mais après trois pattes l’ustensile se trouva plein. Il fallut sortir les premiers morceaux pour mettre les suivants, etc… Il devait être cinq heures de l’après-midi, j’allais, enfin, pouvoir rassembler tous les morceaux qui avaient déjà bien réduit, dans mon unique récipient pour entamer la cuisson longue.

 

Je m’accordai un instant de répit pour écouter une chanson de Brassens. Quand je suis revenu dans la cuisine, j’y trouvai Malus mon chat qui s’était faufilé quand j’étais passé aux toilettes. Pour lui, il n’y avait aucunement besoin d’attendre la cuisson finale pour déguster ce plat de roi. Je hurlai, il s’enfuit dans la salle de bain, mais en prenant soin d’emporter, quand même, un morceau à finir de déguster. Je l’avais appelé « Malus » à la suite d’un problème avec mon assurance automobile. Mais là, furieux, je trouvai le nom bien choisi, imaginant que c’était l’abréviation de Malotru !

 

Il devait être près de vingt heures quand mes invités sonnèrent à la porte. Je venais de terminer de mettre la table. Il y avait maintenant une bonne odeur dans la pièce. En cuisant, les chairs de la pieuvre s’étaient ramollies. J’avais ajouté tomates, oignons et herbes diverses. Je m’étais forcé à goûter et je dois l’avouer c’était plutôt bon, mais mon estomac se trouva bouché quand le moment fut venu de passer à table. Heureusement mes convives, qui n’avaient pas vécu toute cette histoire, avalèrent presque la totalité de l’animal. Il en resta juste assez pour mon déjeuner du lendemain – et celui de mon chat.

 

Les semaines suivantes, je revins régulièrement dans cette rue Tiquetone, dans l’espoir de revoir ma belle poissonnière… en vain.  En revanche, un jour je remarquai une pancarte indiquant que la maison préparait les pieuvres à la demande des clients…

Après quelques semaines je renonçai à retrouver la belle et à racheter la bête.

 

Il s’était passé presque six mois quand un samedi, alors que je buvais un café à la terrasse d’un café près de Saint Eustache, une jolie jeune fille s’installa à la table voisine de la mienne. Je la regardai d’abord discrètement, puis certain que c’était la belle de la pieuvre, je lui adressai la parole. Elle me regarda en souriant. Elle aussi m’avait reconnu. Personne dans le quartier n’avait acheté une pieuvre de cette taille sans la faire préparer par un professionnel ! Vexé, je me rappelle avoir rougi. Avec son sourire charmant, elle me proposa de me donner la recette.

Il n’y eut pas de recette, mais un bon déjeuner dans un petit restaurant du quartier. Elle était étudiante. Elle avait ajouté en riant, « étudiante en psychologie des acheteurs »

   

 

 

 

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