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12 avril 2008

La secrétaire, par Yves Martin Guillou

Trois mots sont tirés au hasard (Secrétaire, lit, usine). Chaque mot en évoque huit autres, que l’on écrit. A partir de ces 24 mots, uine idée, une histoire se dégage…

 

 

La Secrétaire

 

 

 

 

 

Les ouvriers n’aiment pas Mademoiselle Lagarde, la secrétaire du patron. D’abord c’est une vieille fille qui ne met jamais les pieds dans l’atelier. Quand la délégation syndicale vient aux réunions dans les bureaux, elle prend des airs scandalisés parce que les gars salissent la moquette avec leurs chaussures de sécurité. Puis, pendant les négociations, avec ses lunettes sur le bout du nez, elle gratte en sténo à côté du patron. C’est sûr qu’elle fait pencher le compte-rendu en faveur de la direction. C’est sûr que c’est elle qui est à l’origine du malentendu sur le calcul de la prime de rendement, en marquant « heures pointées » au lieu de « heures travaillées ».

 

Elle sait quand même tout sur l’atelier, surement renseignée par l’entreprise de nettoyage, ou les chauffeurs qui passent chez elle prendre les factures après s’être fait charger. « Une peste, une bête malfaisante, je vous dis ! »

 

 

 

On apprend un matin qu’elle a été renversée par un bus en ville et emmenée à l’hôpital. On en rigole dans les vestiaires ; quelqu’un dit que le bus a bien été le seul à avoir culbuté Mademoiselle Lagarde. Et le boulot reprend. Comme si de rien n’était…ou presque.

 

 

 

A la fin de la semaine, on râle parce que les sanitaires sont sales, avec plusieurs cuvettes bouchées. Les nettoyeurs de NETSOL ne sont pas venus et le contremaître, qui a un copain chez NETSOL, apprend que ceux-ci n’ont pas reçu le bon habituellement signé par la secrétaire. Il faut donc guetter le patron quand il sort par la grille et lui expliquer le problème.

 

 

 

Et puis surtout, quand la semaine suivante, le chef va porter les cartons de pointage au bureau, il ne sait à qui les remettre. Le patron maugrée qu’avec le nouveau logiciel il n’y a personne pour rentrer les données et préparer la paye. Lagamine prise en intérim sait à peine taper à la machine !

 

La grogne et les rumeurs vont bon train dans les travées entre les machines outils. « T’as reçu ta feuille ? –Non, rien – Y s’foutent de nous». D’autres ont la solution « Faut simplement un acompte, on régularisera après ». Oui mais si elle reste plus longtemps à l’hôpital ?

 

« Elle », la « Lagarde » finit par être au centre de tous les conciliabules. On s’agace de voir que le patron, à part gueuler, ne sait pas se débrouiller sans sa secrétaire, mais il est trop fier pour en convenir.

 

 

 

Les déléqués se réunissent en grand secret. La clef du problème ne fait aucun doute : il faut aller voir la secrétaire à l’hôpital. Elle n’est pas dans le coma tout de même ! Tout juste deux fractures et un traumatisne crânien. Pourvu qu’elle ne soit pas devenue amnésique ! Qui doit y aller ? En bleu de travail ou avec une cravate ? Est-ce que ce serait pas mieux d’apporter des fleurs ? Et le patron, on le prévient ?

 

 

 

Mademoiselle Lagarde s’ennuie et s’impatiente sur son lit. Le premier jour sa voisine est venue lui apporter des livres et la rassurer : la concierge va prendre soin de son chat et lui gardera le courrier. Mais depuis, silence, à part le docteur et les infirmiers, elle ne voit personne.

 

Et puis ce soir, la porte est doucement poussée et trois hommes entrent à la queue leu leu dans la chambre. Elle a reconnu son neveu, qui est aide magasinier à l’usine, mais qu’elle ne rencontre jamais en ville puisqu’elle est fâchée avec sa sœur. Il est flanqué du chef d’atelier et du grand chef d’équipe, celui qui a des yeux si noirs.

 

Ils se balancent d’un pied sur l’autre, presque en cadence. Ils ont apporté des chocolats. On échange des phrases banales, mais elle se sent tout d’un coup si haureuse. Son univers est venu à elle et elle demande des nouvelles de l’usine, des clients, des commandes en cours.

 

L’incongru de la situation ne l’effleure même pas. Et lorsque, un peu penauds, les émissaires expliquent les difficultés suscitées par son absence, sollicitent son avis sur « comment on pourrait bien faire pour la paye », elle se prend à sourire.  Mais son sourire n’est pas narquois du tout, il est maternel et attendri. Eux trouvent qu’elle n’est finalement pas si moche que çà sans son chignon. Ils ne l’on jamais vue si rigolarde. Dans ce cadre inhabituel leur inquiétude grandit. Va-t’elle les jeter ? Mais elle continue de sourire et demande doucement : » Et si je téléphonais demain à ma remplaçante ? »

 

Yves Martin Guillou, février 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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