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31 mai 2008

A Ingrid Betancourt, par Carole Menahem-Lilin

Aux otages. A Ingrid. Aux hommes et aux femmes politiques et artistes, qu’on a emprisonnés, qu’on emprisonne encore, pour leurs idées et pour leur force. A ceux qui luttent dans la nuit. Qui résistent à l’emprise. A ces vivants.

Otage

On a serré ta gorge

Avec le fil de ta vie

Emprisonné tes paroles

Dans ta bouche

Tu es réduit à l’absence

Identifié à une photo qui ne vieillit pas,

A des sons qui se répètent en boucle

Otage, icône de la privation.

Interdit de goût, de désir, de silence.

Même ta peau est surveillée

Territoire où les liens viennent inscrire des frontières.

Otage

Tu ne peux marcher au-delà de ce que la corde te permet,

De ce que les murs t’autorisent.

Tes pas trébuchent sur le manque

Ils sont marqués par l’appel

Tu n’es plus toi, te dit-on,

Tu es ton absence

Ta rature

Ton empêchement :

Mots biffés, censurés,

Sur un papier mauvais

Qui prend l’eau

Mais refuse tes larmes.

Mais pleures-tu encore

N’est-ce pas plutôt la pluie qui se souvient ?

Spolié d’existence vive,

Interdit à toi-même,

Précaire parmi les précaires,

Te voilà assujetti à un songe terroriste, le seul qu’on te permet.

Jusqu’à ton sommeil qui est sous mirador.

Ainsi tu as tout à désapprendre de ce royaume personnel

Que depuis l’enfance tu habitas.

Car

Tu n’es plus toi, te répète-t-on, tu n’es plus toi-même mais eux.

Otage d’un NOUS, d’une idée, d’un besoin

Prisonnier de leur souffrance

- la tienne, disqualifiée -

Icône de leur volonté.

Et pourtant non, tu n’es pas cela, penses-tu.

Tu es un homme, une femme. Un enfant, une maison. Une route, une lézarde, une mémoire. Un arbre traversé, un rire troublé, une parole émue. Une volonté d’étoiles, une colombe aux ailes entravées. Une profondeur, au-delà de l’espace et du temps. Un poème.

Et le ruisseau qui irrigue tes cheveux, c’est une enfance.

C’est une enfance. L’enfance ne se laisse pas réduire, elle se déplace toujours. Elle remue, elle invente, elle dénie, elle renverse. Elle prend, elle s’éprend, se libère par l’amour qui est aussi colère. Elle nomme et dénomme l’inespéré. Elle se tait quand le silence est interdit. Elle affirme quand la parole est muette.

Et s’il ne reste rien, elle joue du vide.

Ainsi tu invoques la liberté encore,

Toi qu’on en a privé

Ainsi tu donnes encore

Toi qui n’as rien

Tu donnes ton visage, ton regard, ton silence. Ton refus à te laisser spolier de l’être. Un rayonnement.

Tu n’as pas le choix, penses-tu.

Tu te tiens sur la limite,

Etroite toujours plus,

De la résistance.

Oui tu résistes

Sur le seul territoire qui te reste :

Le temps de ta faim s’il le faut,

Celui de ta soif

Le rythme intime de ton cœur.

Derrière l’image close

Tu demeures au plus vif de ta vie

Derrière l’image qui ne bouge pas,

Derrière la porte de l’absence,

Tu poursuis, insondable

Ton entretien avec l’horizon.

Ta danse avec le vertige

Tu as choisi l’exercice de la liberté

Au risque de la mort.

Et tu demeures en nous, dans la présence.


Carole Menahem-Lilin


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