A Ingrid Betancourt, par Carole Menahem-Lilin
Aux otages. A Ingrid. Aux hommes et aux femmes politiques et artistes, qu’on a emprisonnés, qu’on emprisonne encore, pour leurs idées et pour leur force. A ceux qui luttent dans la nuit. Qui résistent à l’emprise. A ces vivants.
Otage
On a serré ta gorge
Avec le fil de ta vie
Emprisonné tes paroles
Dans ta bouche
Tu es réduit à l’absence
Identifié à une photo qui ne vieillit pas,
A des sons qui se répètent en boucle
Otage, icône de la privation.
Interdit de goût, de désir, de silence.
Même ta peau est surveillée
Territoire où les liens viennent inscrire des frontières.
Otage
Tu ne peux marcher au-delà de ce que la corde te permet,
De ce que les murs t’autorisent.
Tes pas trébuchent sur le manque
Ils sont marqués par l’appel
Tu n’es plus toi, te dit-on,
Tu es ton absence
Ta rature
Ton empêchement :
Mots biffés, censurés,
Sur un papier mauvais
Qui prend l’eau
Mais refuse tes larmes.
Mais pleures-tu encore
N’est-ce pas plutôt la pluie qui se souvient ?
Spolié d’existence vive,
Interdit à toi-même,
Précaire parmi les précaires,
Te voilà assujetti à un songe terroriste, le seul qu’on te permet.
Jusqu’à ton sommeil qui est sous mirador.
Ainsi tu as tout à désapprendre de ce royaume personnel
Que depuis l’enfance tu habitas.
Car
Tu n’es plus toi, te répète-t-on, tu n’es plus toi-même mais eux.
Otage d’un NOUS, d’une idée, d’un besoin
Prisonnier de leur souffrance
- la tienne, disqualifiée -
Icône de leur volonté.
Et pourtant non, tu n’es pas cela, penses-tu.
Tu es un homme, une femme. Un enfant, une maison. Une route, une lézarde, une mémoire. Un arbre traversé, un rire troublé, une parole émue. Une volonté d’étoiles, une colombe aux ailes entravées. Une profondeur, au-delà de l’espace et du temps. Un poème.
Et le ruisseau qui irrigue tes cheveux, c’est une enfance.
C’est une enfance. L’enfance ne se laisse pas réduire, elle se déplace toujours. Elle remue, elle invente, elle dénie, elle renverse. Elle prend, elle s’éprend, se libère par l’amour qui est aussi colère. Elle nomme et dénomme l’inespéré. Elle se tait quand le silence est interdit. Elle affirme quand la parole est muette.
Et s’il ne reste rien, elle joue du vide.
Ainsi tu invoques la liberté encore,
Toi qu’on en a privé
Ainsi tu donnes encore
Toi qui n’as rien
Tu donnes ton visage, ton regard, ton silence. Ton refus à te laisser spolier de l’être. Un rayonnement.
Tu n’as pas le choix, penses-tu.
Tu te tiens sur la limite,
Etroite toujours plus,
De la résistance.
Oui tu résistes
Sur le seul territoire qui te reste :
Le temps de ta faim s’il le faut,
Celui de ta soif
Le rythme intime de ton cœur.
Derrière l’image close
Tu demeures au plus vif de ta vie
Derrière l’image qui ne bouge pas,
Derrière la porte de l’absence,
Tu poursuis, insondable
Ton entretien avec l’horizon.
Ta danse avec le vertige
Tu as choisi l’exercice de la liberté
Au risque de la mort.
Et tu demeures en nous, dans la présence.
Carole Menahem-Lilin