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27 juin 2008

Le trou, par Marcelle Laurent


          - Manette, file chez Schatzer m’acheter un paquet de tabac gris et des feuilles à cigarettes.

Ma sœur : Non, moi !

Moi : Il a dit moi !

Maman (à mon père) :

          - Elles se sont chamaillées pour ne pas aller au pain, ce matin !

Nous deux, en chœur : C’est pas pareil !

          - C’est à côté !

Moi : Oui, mais c’est pas pareil, hein Simone ?

Simone : C’est pas du tout pareil ...

Les parents s’étaient regardés.

         - Bon, avait dit P’pa, on n’va pas passer la nuit là-dessus ! Tenez, y’a cent-trente francs. Avec les dix francs, vous achèterez des bonbons.

 

          Nous étions déjà en route pour le petit bureau de tabac. C’était une minuscule boutique très sombre avec des étagères jusqu’au plafond et un comptoir encombré de pots pleins de crayons à papier, de stylo Bic, de gommes etc.


Ma sœur me demanda : Tu crois que ça s’ra elle ?

          - Mais l’autre, quand c’est perdu, elle te laisse retirer.

          - J’sais, mais alors on pourra pas !

          - Tu crois qu’elle l’a encore ?

          -J’te parie qu’oui !


C’est bien la vieille madame Schatzer qui est arrivée, avertie par la clochette qui tinte à l’ouverture de la porte.

          - Bonjour madame, on voudrait un paquet de tabac gris et des feuilles à cigarette, s’il vous plaît.

Elle nous fait un peu peur. Elle est ratatinée, elle ne sourit jamais, et elle nous regarde comme si, comme si qu’on serait des voyous !

Je paie les achats.

Ma sœur commande : On voudrait aussi des chewing-gum gagnants.

          - T’as des sous ? Elle tend déjà la main.

          - Oui, répond Simone.

Mais c’est moi qui avance la pièce de dix francs.

          - Combien t’en veux ?

On se regarde.

          - Ben, un.


          Les yeux braqués sur la vieille dame qui grimpe sur l’escabeau, nous nous donnons des coups de coude... Le bocal magique posé enfin sur le comptoir, , ma sœur y plonge la main, en retire un chewing-gum bleu qu’elle ouvrit. Sur le petit papier blanc entourant le bonbon est écrit « PERDU ». Zut ! Nous n’avions pas gagné de deuxième chewing-gum. Il faudrait partager.


          Nous ne gagnions presque jamais, d’ailleurs. Pourtant, malgré le « Perdu » nous jubilions ! Et quand la vieille remontait le bocal, avant de nous rendre la monnaie, nous retenions nos rires. A chaque fois, en refermant la porte qui tintinnabulait, on clamait :

- Elle a toujours le trou !

Et on rigolait enfin, à l’abri de ses regards.


Le trou en question, c’était un accroc dans la robe grise, grand presque comme une main, juste sous la fesse gauche et qui laissait voir un bout de la combinaison rose. On se demandait, un trou grand comme ça, comment qu’elle l’avait pas vu ??? C’était qu’elle l’ôtait jamais sa vieille robe, même pas pour dormir ! (On s’esclaffait) ou bien, qu’elle voulait « la finir comme ça ».

 

       Pour nous, pas bien riches, il en allait de l’honneur. Que les vêtements soient usés, oui, mais sales ou déchirés, JAMAIS. Alors, que cette marchande, dame riche par définition et si radine ait un trou dans sa robe depuis plusieurs semaines... La honte était sur elle.

          - On reviendra demain pour voir... si elle l’aura raccommodé son trou ! nous promettions-nous à chaque fois. Pourvu que la ration de tabac de Papa ne lui dure pas plus longtemps que d’habitude !

 

Marcelle. 14/05/08


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