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10 novembre 2008

Dans un coin de ma tête, il y a Toi... par Carole Menahem-Lilin

Dans un coin de ma tête… Mais non, pourquoi « dans un coin » ? Au centre de ma tête, à la place d’honneur, il y a toi. Tu es comme une statue sur un piédestal. Tu es comme une façade aux fenêtres noires, et qui pourtant regarde. Tu es un enfant sans bouche, mais qui pleure. Tu es une fontaine à laquelle je ne peux boire. Tu es l’homme dont je ne caresserai jamais la poitrine, et dont pourtant je sens, dans mes paumes, le battement du cœur. Oui, depuis mon enfance je connais le battement de ton cœur et qu’il est difficile, partagé entre sagesse sauvage, agressive, et folie tendre, humaine.

Oui, tu es comme une statue sur le piédestal de mon désir, et qui tremble. Je sais que je ne te rencontrerai jamais, mais je continue de t’attendre, car tu es un autre « moi » enfermé dans ta peau d’homme, et je suis une autre « toi » serrée dans mes formes de femme. La première fois qu’on m’a traitée de « fille » parce que mes seins avaient poussé, j’ai été furieuse, sais-tu ? Je voulais continuer de te ressembler, n’être ni fille ni gars, mi-arbre mi poisson… Une sirène, en somme. Mais les sirènes ne parlent pas la langue des hommes, il me fallait grandir pour te conserver. Alors j’ai pensé que tu aimerais ces petites pommes sur ma poitrine, et je me suis réconciliée. J’avais un petit morceau d’autre planté en moi : on n’a pas si souvent l’occasion de devenir un jardin…

Dans un coin de ma tête… mais non, pourquoi « dans un coin » ? C’est que si souvent je t’ai caché, et te trahissant, me suis trahie moi-même. Donc, au centre de ma tête, il y a toi. Tu es l’homme impossible, le jumeau sauvage, celui dans lequel je me fonds en rêve, mais qu’au jour je n’embrasse jamais. Tu es l’homme interdit, pourtant quand je m’éloigne trop de mon désir de toi, je m’éloigne de moi-même, et de tout désir…

Finalement, je vis très bien avec toi, dressé au centre de ma tête. Tu es de tous mes ménages à trois, de tous mes déménagements dans les nuages, de tous mes ménagements, difficiles ou délicieux, avec le réel. Tu es celui qui transforme mes périodes de solitude en cadeaux, et mes rencontres en possibles. Celui qui me fait résister contre vents et tempêtes, quand la tendance est à l’inondation, que la météo est à l’humiliation. Tu es là au centre des embruns, et tu te tiens debout : comment sous tes yeux m’agenouiller, comment me rendre et déchoir ? Alors je sanglote un coup puis je reprends la barre. Tu es celui qui m’aidera à diriger mes colères vers le havre… Toi qui désespères si vite de l’humain, me gardes pacifiée.

C’est toi qui m’ouvres la porte de l’amour. Grâce à toi, je peux aimer les autres dans le rire, et la tendresse, et le plaisir – les aimer avec leurs faiblesses autant que pour leurs forces, et vivre heureuse dans le relatif – moi qui suis (toi seul le sais vraiment) si assoiffée d’absolu. Toi si fermé, tu tiens ouverte en moi la porte de l’amour.

Grâce à toi je ne fuis pas quand le jardin se fait lourd, quand les abeilles bourdonnent et me piquent, quand les fruits mûrs pèsent à mes branches – tu chuchotes dans mon oreille intérieure qu’il y aura plus tard la provision de miel, et la paix accomplie des ciels de fin d’été…

Tu es là, et parfois je t’oublie. Je te soupçonne d’aimer ailleurs, tout comme moi, et de te donner à la vie – à ses merveilles, à ses mirages. Cela te confère de l’épaisseur, cela t’offre de la tendresse ; plus je t’imagine de fructueux détours, plus tu me séduis - autant que tu m’inquiètes. Finalement je survis assez bien à tous tes ménages à trois, à tes subtils dénuements, tes dénouements relatifs, à tous tes ménagements –difficiles ou délicieux – avec le réel…

Je suis là, et parfois tu m’oublies…

Mais toujours tu es là pour me réconforter quand je me décourage dans le labyrinthe des idées, des péripéties et des mots, et quand je m’avoue vaincue tu ramasses mon stylo, pour continuer à ma place. Il t’arrive d’approfondir un peu plus le taillis, par désir de me garder plus longtemps près de toi – car nous nous retrouvons si bien dans cette forêt de l’écrit – nous ne nous voyons pas mais nous touchons, tout juste séparés par la peau des images… J’entends ton cœur, j’aspire ton souffle, tu prends la forme des mots dans ma gorge… Tu es mon inspiration, en somme…

Au centre de ma tête, il y a toi. Tu es celui dont le manque fera toujours ma respiration difficile, ma voix incomplète – mais dont l’absence rend plus sensible la lumière, et habité le silence, protéiforme le désir. Tu gardes en moi la porte ouverte.

Peut-être, juste avant que la porte s’ouvre en grand, en trop grand et pour de bon, sur le gouffre de l’éternité… Peut-être, juste avant…

Dis, tu viendras ?

Carole, octobre 2008

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