Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
5 octobre 2009

Au dieu du texte, par Carole

Ce texte a été écrit à partir de l'une des cartes du jeu Dixit; on y voit un chevalier, sur sa monture,   avançant à travers les pages d'un livre ouvert.

Au dieu du texte...

Le chevalier avance sur la page, ligne à ligne. Parfois, son cheval renâcle sur un mot ; et même, à l’instant de sauter le fossé blanc d’un paragraphe, il hennit et veut repartir en arrière. Mais son cavalier le contient – quoique de plus en plus difficilement.

 Parfois c’est lui-même qui hésite à s’engager entre deux haies vives et rouges de verbes aux piques acérées. « Comme il va falloir du cœur pour affronter cette armée là », pense-t-il.

 Du courage, le chevalier n’en manque pas. Mais il est las. Voilà bientôt trois cents pages qu’il parcourt, d’une traite et droit sur son cheval, une succession de péripéties dangereuses ; treize chapitres qu’il bondit de demi-jours trompeurs à des nuits ensorcelées ; 62.173 lignes qu’il ne dort ni ne mange, les épreuves traversées ne lui en laissant pas le temps. Dans cette course haletante, la mort n’est jamais loin de lui ; elle semble le tenir pour son adversaire personnel.

 Le chevalier est un chevalier, il n’a rien à redire à cela : il est sur terre (enfin, sur papier) pour craindre et affronter ce visage particulier de la Camarde, l’horreur et la destruction. Le texte est parfaitement clair là-dessus. Du plus loin qu’il se souvienne (c'est-à-dire depuis le premier mot de la première ligne), il est Le Chevalier, unique et exemplaire, regardant le monde du haut de sa monture fidèle, n’ayant le temps ni de penser, ni de désirer rien – hormis mener à bout sa quête énigmatique.

 Bien. Le chevalier a tenu bon durant 296 pages et trois paragraphes, espérant toujours que l’auteur (ce dieu du texte) apporterait réponse à son humble désir : se connaître. Mais l’auteur, si prolixe quant à ses épreuves, est muet quant à ce qui les a déterminées Durant ces 296 pages, personne n’a nommé le chevalier ; nul ne l’a reconnu ; onques ne l’a retenu. Et les questions sans réponses se pressent dans son esprit : de quel suzerain est-il l’homme-lige ? De quels autres chevaliers le compagnon ? Est-il père ? Il a dû être fils ; mais de qui ? A quelle dame a-t-il naguère dédié ses hommages ? Qui l’a désiré, et qui le pleurera ?

 De tout cela, il ne sait rien ; quant à sa quête, à laquelle malgré lui il se consacre tout entier, elle lui reste mystérieuse, pour ne pas dire dénuée de sens.

 Le chevalier est en route, voilà tout ce qu’il sait – il est fuite, plutôt, sous un ciel en cisailles, et sous les sabots de son cheval le sol de la réalité tremble, quand le monde ne s’enflamme pas derrière eux… A croire que l’auteur le hait. Oui, soudain le chevalier la sent cette détestation de l’auteur pour lui, son principal protagoniste pourtant. C’est son attention morbide qui l’assaille de tous côtés, c’est son souffle brûlant qui le fait suer et greloter dans son armure… A croire que l’auteur n’a entamé cette histoire que pour mener son héros, à travers déceptions et désespoirs, à sa perte.

 Alors soudain le chevalier sait : ce n’est pas qui il est pour lui-même qu’il doit chercher, mais qui il est aux yeux de l’auteur ; quelle figure, à la fois admirée et honnie, a inspiré celui-ci pour le créer ; de quel amour-haine sont tissés les chemins sur lesquels il s’épuise…

 Cette révélation lui rend son énergie : il a retrouvé le sens de sa quête. Il va traquer le démon et le pacifier.

 Alors, quand une fosse atroce s’ouvre soudain au centre de la page suivante ; quand la langue torride du dragon, en émergeant, vient roussir le poil de son destrier et lécher ses propres chevilles ; quand de petits yeux sombres, mais très seuls, mais très tristes, le regardent de derrière ce rideau de rage ; eh bien, il n’hésite pas – pas plus que son cheval ne se dérobe. Et c’est, l’un avec un hennissement, l’autre dans un cri de victoire, que monture et cavalier bondissent dans le gouffre – où les attend la Bête Vérité.

  

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité