Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
12 janvier 2010

Rituel gourmand, par Françoise Martin-Faure

RITUEL GOURMAND

 

 

Chaque dimanche matin, il se levait d'un bond pour descendre dans sa cuisine.

Je me lovais sur l'oreiller pour avoir le plaisir d'entendre les bruits de casseroles qu'il rangeait soigneusement dans ses tiroirs. Puis l'odeur de café s'insinuait dans la chambre, délicieuse, suave, chaude, enveloppante, mais je continuais à ronronner sur l'oreiller en l'imaginant en train de déjeuner de pain croustillant surmonté de confitures de fraises

un peu granuleuses et trop sucrées qu'il avait confectionnées dans l'été.

Il ajoutait toujours un kiwi pulpeux et acide, d'un vert anisé, accompagné d'un yaourt blanc crémeux mangé avec délectation. Un vrai rituel gourmand et festif pour la journée dominicale qui le mettait dans une forme physique éblouissante. Ensuite, il glissait ses longues jambes maigres et musclées dans un collant et enfilait un tee shirt et des chaussures de course pour courir dans la garrigue.

 

Je descendais silencieusement à ce moment là pour découvrir "mon petit déjeuner" : un gâteau aux amandes craquantes, mélangées avec de la crème anglaise qu'il me déposait sur une coupelle. Je croquais d'abord les bords friables de la pâte, puis léchais soigneusement la crème onctueuse sur la tarte. J'étais seule dans la cuisine en attendant le retour de mon cuisinier.

 

Il revenait en sueur de sa course, prenait une douche rapide et se mettait aux fourneaux en nouant son tablier vert olive sur ses hanches minces.

 

Il commençait toujours par préparer un gâteau et je le regardais pétrir la pâte de toute la force de ses grandes mains noueuses. Il la roulait puis l'étalait sur la planche en bois blond, la saupoudrait de farine et tournait finement les bords entre ses doigts agiles. Il ne parlait pas pendant cette opération, concentré sur sa création pâtissière.  Il étalait une onctueuse compote sur son appareil puis allait chercher les pommes rondes et jaunes pour les éplucher soigneusement et les couper en tranches fines et régulières, rangées soigneusement sur la pâte. Ensuite il utilisait un pinceau trempé dans un bol rempli de confiture et d'eau qu'il tartinait délicatement sur les fruits blonds.

 

"Comme ça elle va briller" disait-il avec satisfaction en se léchant subrepticement les lèvres.

 

Il enfournait son gâteau dans le four avec détermination, fier de son oeuvre gourmande et quelques instants après une odeur énivrante de caramel et de pommes chaudes embaumait la pièce.

 

Je le regardais opérer, lovée sur une chaise à hauteur de sa table d'opérations culinaires en plissant mes yeux d'amande vert ambré.

Après cette première confection pâtissière, il compulsait soigneusement, avec l'air d'un enfant appliqué sur ses devoirs, l'un des nombreux livres de recettes qui remplissaient ses tiroirs.Il choisissait toujours un plat exotique épicé tel le carry poulet, plat traditionnel de la Réunion devenu un classique de sa cuisine. Il avait passé plusieurs années dans l'ile pour y faire un stage de cuisine créole.

 

Je le regardais tourner près des fourneaux avec bonheur, fascinée par sa dextérité. Mes yeux verts suivaient le moindre de ses gestes.

 

Il prenait les raisins secs dans un pot rangé sur une étagère pour les

tremper dans du rhum. L'odeur suave de l'alcool embaumait la pièce et faisait frémir mes narines. Puis, dans une grande poêle en fonte, il grillait des pilons de poulet avec de l'huile d'olive parfumée. Il ajoutait d'une main sûre les oignons coupés finement avec un grand couteau aiguisé. J'adorais le clap clap rapide du couteau sur la planche en bois blond. L'instant d'après les oignons piquaient nos yeux et je voyais les larmes couler sur ses joues.

 

Il mettait ensuite céleris, tomates, farine, bouillon, vin blanc et massalé successivement dans le récipient qu'il laissait mijoter à petits bouillons sonores, gloup, gloup....

 

Il ajoutait ses raisins trempés dans du rhum puis des pommes, de la banane, du coco râpé, de la crème fraiche et du citron, et surtout du gingembre, ingrédient exotique et mystérieusement sensuel.

 

Satisfait, il s'asseyait à sa table de cuisine et attendait.

Qu’attendait-il ? Que je me fasse une beauté ? Les odeurs délicieuses qui baignaient la cuisine le valaient bien. Je m’installais donc bien en lumière près de la fenêtre et commençais une toilette minutieuse, étirant mes yeux verts, lustrant ma robe…

 

Soudain la porte vitrée s'ouvrait bruyamment dans le rire d'une jolie créole perchée sur des talons argentés. Dans un tourbillon parfumé, elle entrait pour l'embrasser puis goûter les plats épicés du bout de ses lèvres pulpeuses.

 

Il était temps d’être jalouse… Mais non. Il faisait trop bon. Et la vie, pour une petite chatte gâtée, était trop douce…

Je me lovais sur une chaise, les yeux mi-clos et les regardait déguster ce festin exotique dont je flairais l'abondance des restes....

 

Françoise Martin-Faure

Clapiers sous la neige

9 janvier 2010

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité