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15 janvier 2010

Retour sur la case 58, par Christine Jouhaud Mille

 

Désorientée par les soubresauts de ma voiture je me gare sur le bas côté et constate irritée le clignotement de la jauge ; le cadran sur le tableau de bord affiche vingt deux heures. Depuis des kilomètres sur la route sillonnant dans la forêt, je n’ai croisé aucun véhicule et dans le masque noir des alentours j’aperçois entre les branches une lueur. Je fais une tentative avec mon mobile, mais aucun réseau à capter, j’entreprends alors de longer par ce temps glacial le bois de sapin, jusqu’à trouver l’entrée d’un chemin carrossable. La lune éclaire faiblement ma marche hésitante vers des profondeurs inconnues où j’écoute tous les bruits de la nuit.

La lueur que j’avais entr’aperçue m’a amenée devant un panneau annonçant « Visiteurs soyez les bienvenus ‘Au bout du monde’ » était-il signalé au début du chemin ?  Ou se découvre-t-il à la dernière minute par le promeneur égaré ? Je pense à Léandre et à ses parents que je ne connais pas encore, à leur inclination pour Molière dans le choix d’un prénom préféré. Quand vais-je enfin les rejoindre ?  

Je déambule dans une avenue jalonnée de lampadaires urbains, et je sens autour de moi, pénétrant jusque dans mes pas, le silence nocturne. Mes recherches restent vaines, je ne sais pourquoi la station service, l’hôtel et les immeubles sont d’illusoire façades en bois.

-          Coucou !

Je me retourne vivement. Un Joker au masque fendu jusqu’aux oreilles d’un sourire rouge sang,  s’est approché alors que je n’ai pas entendu tintinnabuler les grelots de son chapeau. « Par où est-il arrivé ? »

Il danse en rond et sautille pour chaque mot scandé « la nuit libère les passions, le jour ramène la raison ». Perplexe devant l’étrangeté de son comportement, je viens à me demander dans quelle mesure il a conservé sa raison.

- Bonsoir ! Lui dis-je vivement.

Le personnage s’enfuit lançant toujours son lancinant refrain. Je ne réfléchis plus et le poursuis jusqu’à la ruelle où il a disparu : - Revenez, revenez, ne me laissez pas seule !

 

Je cherche à travers la pénombre les faibles étincelles d’une vie étrangère. Un grincement…,  une lumière vive s’échappe d’une porte entrouverte et son faisceau se découpe jusqu’à moi.

Je toque trois coups discrets pour avertir de ma présence. Pas de réponse…  J’avance la tête dans l’entrebâillement et inspecte la pièce d’un regard circulaire, puis un cliquetis venant d’un recoin attire mon attention, je vois alors une jeune femme, elle actionne un rouet et file avec des gestes réguliers une fibre invisible. Sur son visage serein un énigmatique sourire me rappelant celui de la Joconde ; ses yeux me fixent, « verrait-elle mon futur ? »

- Pardonnez mon intrusion ; et je rajoute incrédule !

-          Avez-vous le téléphone ?

Elle se lève lentement sans prononcer une syllabe, je la regarde s’approcher et reste sur mes gardes. Cependant, son allure singulière, une muse inspirée par des poètes et des peintres modernes, capture mon attention m’amenant à détailler sa mise et sa démarche mécanique ; une robe longue assemblée de lambeaux d’organdi blanc, piqué dans ses cheveux tressés des roses incarnates et son corps animé à chacun de ses pas, par le cognement rude de ses talons nus. Ensuite de sa main gantée elle me montre une direction.

Il me semble entendre le son d’une musique. Fiévreuse, je me hâte pour la rejoindre dans un entrelacs d’impasses et de ruelles et je l’espère résoudre ces mystères. Ma pensée s’égare j’invoque Ariane, recevoir d’elle l’aide de son fil pour triompher de ce labyrinthe comme le fit Thésée son bienaimé.

Malgré l’incertitude d’un énième choix,  j’emprunte une venelle qui débouche enfin sur une place. Des flambeaux posés sur des trépieds jettent sur les murs des façades, les ombres errantes et gigantesques d’une  foule en liesse et déguisée. Je retrouve en eux l’allure du Joker et de la douce fileuse que je venais de rencontrer.

Perché sur des échasses un homme/oiseau au visage anguleux, des traits taillés à la serpe incrusté de ses yeux de braises. Cet hybride volatile,  héron ou  flamant rose  me fait signe de les rejoindre dans leur danse endiablée. Je fantasme l’imaginant s’envoler avec ses grandes ailes aux couleurs vives attachées sur son dos. Leur gaîté communicative efface ma mémoire des raisons de ma présence, Léandre qui m’attend.

Nous avons parcouru les rues avoisinantes dans une farandole effrénée, les heures de la nuit se sont égrenées amenant le sourire de l’aube où je réalise qu’insensiblement les gens tour à tour ont disparus happés par les portes d’entrées ; jusqu’à cette dernière main échappée de la mienne me laissant seule dans le silence profond qui règne maintenant sur la ville.

Incrédule, je regarde autour de moi, je suis au début de mon histoire, la rue principale est désertée de ses âmes approchées cette nuit, je reste en cet instant dépourvu d’une seule réponse. 

J’ai la désagréable impression d’être enfermée dans la spirale du jeu de l’oie ; « qui a jeté les dés me poussant comme un pion sur le numéro 58 ? ‘Retour à la case départ.’ ».

 

Je marche jusqu’au panneau d’accueil, « Visiteurs soyez les bienvenus ‘Au bout du monde’ » et je m’assis. Ma réflexion rebondit une fois de plus vers un espoir,  trouver  un café peut-être ouvert, lieu qui rassemble, qui palpite du cœur des habitants… Harassée de fatigue je ne tarde pas à m’endormir.

 

Le disque d’or est déjà haut dans le ciel, il brille de tous ses feux  lorsque je suis tirée de mon sommeil  par une silhouette à contrejour qui répète car je ne saisis pas sur l’instant le sens de ses paroles.

- Mademoiselle…, Mademoiselle… êtes-vous blessée ?

Tout prêt, un tumulte de voitures où se mêle des voix donnant des ordres dans des talkie-walkie une troupe de gens portant des combinaisons blanches, gants et lunettes de protections, je n’en suis pas surprise d’avantage. La seule question qui me taraude, je la pose :

- Avez-vous un téléphone ?

- Allo ? Léandre c’est moi !

D’une voix altérée par l’inquiétude il déverse ses tourments :

- Où étais-tu passée, ça fait deux jours et deux nuits que je te laisse des messages, j’ai saturé ta boite vocale. Pourquoi ce silence ?

Deux jours ? Je ne garde le souvenir que d’une nuit d’errance. Ma sieste du petit matin aurait donc duré 48 heures ? Où le temps ici est-il aussi fou que le reste ?

Je suis incapable d’analyser cet intervalle et surtout, surtout je ne tiens aucunement à m’interroger sur cet environnement qui est peut-être hostile ou ami qui s’agite autour de moi car maintenant dans la pleine lumière tout raisonnement devient poussière.

Je réagis comme une évadée qui vient de creuser son tunnel et retrouve sa liberté, je prends une goulet d’air, je jubile,  j’esquisse une danse en fredonnant le refrain « la nuit libère les passions, le jour ramène la raison » 

 

 Cette nouvelle a été publiée dans la revue souffle n°  (masque et visage)

 

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