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11 février 2010

Tomber sur un bec... par Danielle Geroda

 Ce qui s’appelle tomber sur un bec.

 

Le départ dans la vie professionnelle suscite beaucoup d’émotions souvent mal contenues car guidées parfois par le hasard. C’est vrai, on choisit une voie, du moins on se fie à ce que la petite voix intérieure susurre à notre oreille . . .

Moi, je remercie encore cette voix qui m’avait soufflé que s’occuper d’enfants serait la solution rêvée pour m’épanouir. Je connaîtrais sans doute les rudiments d’une éducation bien menée en déployant tout l’arsenal de compétences dont je me voyais déjà pourvue, notamment celles d’une aisance assurée auprès des juniors. Dois je dire merci à mes parents qui m’avaient coucounée sans compter en faisant tout à ma place et en me tenant éloignée des adultes ?

Je me lançais pourtant à cœur perdu dans cette formation d’enseignante proposée à l’école normale de Saint Germain en Laye, ville de rupins dit-on. Rien à voir avec la bourgade calme et attachante que j’avais arpentée depuis presque 20 ans, lieu enchanteur perdu quelque part dans le centre de la France.

Ce ne fut certes pas simple au début et mes parents manquaient beaucoup dans le nouveau panorama. Ils m’avaient accompagnée, un peu inquiets, eux aussi et m’avaient finalement lâchée, heureux d’avoir dégotté une logeuse inespérée près de l’école normale . . . pour un temps, au moins ! Car ils restaient sceptiques devant le comportement étrange de cette personne.

J’avoue que ce fut la première fois que je découvrais un personnage hors du commun qui me surprenait chaque jour.

Cette petite dame sexagénaire, haute en couleurs, arborait les tenues les plus excentriques et sophistiquées possibles, alliant toutes les teintes et nuances les plus hétéroclites. Même sa coccinelle dans laquelle j’ai vite refusé de m’asseoir, avait opté pour un rose bonbon indicible qui avait le mérite, toutefois, de la signaler dans n’importe quelle rue de la ville. Il valait mieux alors se planquer rapidement et même pas sur le trottoir, car elle était capable de grimper partout. Les feux rouges ne l’effrayaient pas. Les stop ne freinaient pas son énergie. Elle passait à vive allure défiant toutes les règles de sécurité connues et appliquées par le plus commun des mortels. Je parerai que Walt Disney pressentait l’existence de ce personnage lorsqu’il créa « un amour de Coccinelle »

Madame Beck , de son nom, était régionalement connue et amusait toutes les stagiaires dont je fis alors partie. Elle avait reçu le feu vert de l’administration pour offrir son gîte à quelques pauvres âmes, comme moi, perdues pour une année complète loin de la famille.

Je fus la première à recevoir le ticket pour entrer dans cette maison gentillette au demeurant vue de l’extérieur. Puis six autres jeunes filles vinrent me rejoindre quelques jours après la rentrée scolaire. Nous occupions le premier étage de sa grande demeure et nous nous retrouvâmes bientôt deux par chambre :j’avais un peu cafté ce que j’avais vécu avant leur arrivée et cela les avait décidés, au moins pour connaître l’insolite et l’étrange, à venir habiter, elles aussi chez cette personne.

Mais alors ! quels étaient ses faits et gestes aussi décoiffants ? Je suis restée 2 jours avant de comprendre réellement ce qui se tramait dans cette maison.

Je venais d’achever mon installation de fortune dans une chambre rouge du sol au plafond, avec une plaque de cuisson campée dans le paysage mais non opérationnelle. (J’avais reçu l’interdiction formelle de confectionner des petits repas impromptus dans la chambre.) Ce fut alors que ma logeuse apparut avec un chapeau surchargé de cerises rouges et un ensemble bleu marine. Elle fit irruption dans ma chambre avec un sourire radieux, tapant dans ses mains, comme débarrassée d’un je ne sais quoi d’encombrant. « ça y est ! c ’est fait ! Enfin tout est terminé » Elle partit aussi vite disparaissant de ma vue sans plus d’informations à me communiquer.

Je ne sus que le lendemain l’explication du enfin tout est terminé. Sur la télévision, pas les écrans plats que l’on voit actuellement , trônait entre deux roses rouges, une urne . . . Je me souviens que mon sang se glaça en apercevant cet objet bien révélateur d’un épisode tragique, du moins pour moi : la rencontre avec la mort. Pourtant dans le regard de ma logeuse, ce que je voyais était une étincelle de satisfaction indéniable qui me fit me poser beaucoup de questions. Et oui ,il y avait 2 jours que j’habitais dans une maison où s’était éteint son mari. Curieusement, je n’avais rien observé . . Mais son mari était bel et bien parti en fumée.

Cet épisode un tantinet macabre ne fit qu’accentuer mon malaise devant la mort me faisant toucher le décalage qui pouvait exister entre mes propres pensées et celles d’une passante éclair dans ma vie. Pourtant, encore actuellement je n’ai pas découvert la réponse à ce comportement chargé d’une abnégation joyeuse de ma logeuse.

A l’exemple de cet épisode, mon installation fut le départ de situations ubuesques que je ne peux toutes citer mais qui surprendraient tout un chacun. Je découvris le temps de cette formation que tout humain n’adoptait pas les mêmes valeurs que celles que j’avais reçues et que même si la liberté c’est être non-conformiste, je me trouvais pataude, engluée et pataugeant dans l’incompréhensible et l’inconnu.

Il me revient en mémoire les déplacements à pas feutrés dans les escaliers en colimaçon montant à notre étage, désespérément sombres car il fallait veiller à économiser l’électricité de madame. Nous nous déplacions ensemble toutes les 6 et montions pratiquement serrées les unes contre les autres pour nous donner du courage et grimper ces marches sans trop de péril.

La nuit où un grand cri résonna dans la maison et où j’entendis un « Dany » tonitruant, nous fûmes toutes les 6 arrachées au sommeil et terrorisées à l’idée de ce que nous allions découvrir. Nous autorisant exceptionnellement à allumer, nous dévalâmes l’escalier, moi en tête, puisque c’était mon prénom qui avait eu l’honneur de l’appel. Je vis avec horreur notre logeuse affalée sur le sol, le visage ensanglanté mais toujours aussi volubile dans ses explications. Chaque nuit elle se levait pour aller grignoter ses pim-cakes : comme elle ne dérogeait pas à la règle sa descente de l’escalier se faisait dans le plus noir du noir. Elle appliquait sa méthode du comptage des marches. Ce jour là « j’ai dû me tromper » dit elle. Son esprit très pratique lui avait soufflé d’appeler du secours en criant le prénom le plus court des filles de la maisonnée. Entre Marie Madeleine, Anne Marie, Sylviane, Gabrielle, Huguette, ce fut Dany qui retentit. Je dois ici vous dévoiler mon rapport maladif au sang. .Il me fallut pourtant réagir vite, oubliant les sueurs froides dégoulinant sur les tempes et ingurgiter l’eau de Mélis sur un sucre de fortune. Je conduisis la voiture jusqu’à l’hôpital sans jeter un œil dans le rétroviseur afin de fuir la vision du visage tuméfié de la blessée Je me trouvai, cette nuit là aussi courageuse que ma logeuse.

C’est longtemps après que je pus sourire de cette mésaventure surtout quand nous nous remémorâmes avec une stagiaire devenue une amie que notre chère logeuse était , cette fameuse nuit habillée de carton. L’arrivée à l’hôpital avait fort amusé les infirmières de garde. Sa tenue vestimentaire incongrue ( on aurait dit du Jean Paul Gauthier s’il avait déjà sévi) défraya la chronique. Cet accoutrement digne d’une soirée déguisée était pourtant le quotidien de notre logeuse. Son fils lui envoyait du Canada des pyjamas réalisés en cette matière. Mais nous ne l’apprîmes que cette nuit là.

En repensant à tout cela et à d’autres situations rocambolesques je me dis maintenant que la vie réserve des surprises pimentées, mais dont le grain de fantaisie oxygène salutairement nos cerveaux coincés.

Que le cortex se déride quoi !!

Danielle Géroda Jeudi 21/01

 

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