Enracinés, par Roselyne Crohin

Enracinés

Ils sont tous là au grand complet, les vieux grands-pères chenus, aux membres tout noueux. En silence ou presque, ils regardent sans voir la vie qui s’agite sur la place du village. Serrés les uns contre les autres, enveloppés dans leurs burnous, ils se tiennent chaud quand le mistral s’engouffre entre leurs pauvres os. Mais quand le soleil d’été est sans pitié, ils baignent dans la fraîcheur de leurs larges djellabas.

Taiseux, ils ruminent les images du passé, du bled laissé là-bas, de l’autre côté, il y a plus de cinquante ans. Descendus de leurs djebels, ils ont fini par échouer sur cette place de Provence, au terme de longues pérégrinations.

Leurs pieds déformés et boursouflés s’étalent enfin à leur aise sur le sable de la place. Plus question de les faire rentrer dans les gros godillots du Corps expéditionnaire d’Afrique. Ils ont fini par prendre racine sur cette terre ingrate qui les a si mal traités.

Ahmed, Abdel, Ali, Youssef, Lakhdar, aux visages ravinés comme un oued des Aurès, votre regard en dit plus long que vos lèvres. Vous, les figures hiératiques de ce sublime chœur antique.

31 mars 2010