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7 juin 2010

Minuit, par Marie-France Champeau

Il est minuit.
Avignon vit. Avignon vibre.

La ville, corsetée toute l'année, éclate en cris et en couleurs.

Elle refuse tout endormissement.
D'ailleurs elle chasse les tristes, les grincheux, les couche- tôt.

Il est minuit.

Les marches du Palais des Papes grouillent d'une foule bigarrée,
foule en désordre qui s'exclame,critique, s'enthousiasme.
C'est l'heure de l'entr'acte.

Le spectacle donné dans la cour d'honneur a déjà duré

deux heures. Il faut tenir jusqu'à l'aube, là, sous les étoiles.
Certains sont assis sur les marches usées de ce palais
désormais voué au théâtre. Un soulier de femme a même l'audace

de s'échapper subrepticement du pied léger d'une adolescente...
La foule est si bruyante qu'elle ne l'entend pas descendre en cahotant
jusqu'à la place recouverte de galets.

La jeune fille rêvera sans doute plus tard qu'elle était Cendrillon!
Son premier bal aura eu lieu ce soir de Juillet, bal secret ouvert au son
des cuivres flamboyants.

Mais bientôt l'escalier se vide, la porte voûtée aspire cette foule avide.
Les étendards claquent. Les trompettes appellent. La lune éclaire la scène.
Et le silence recueilli est offrande aux acteurs.

Les spectateurs de ce soir ont pour la plupart passé la journée à courir
de salle en salle, flânant un peu parfois dans la rue de la République.
Ils ont assisté aux parades des troupes du off.

Ils ont savouré en souriant les extraits proposés. Ils ont ri aux farces du
théâtre de tréteaux...

Stupéfaits, ils ont même vu une danseuse de flamenco s'échapper
telle une flamme de la tourelle d'un char
qui semblait abandonné. Il était posé là, triste sous les platanes du Cours
Jean Jaurès. Mais au rythme trépidant de la musique il se mit à vibrer de
toutes parts. La tôle même semblait en joie et les chenilles marquaient la cadence.
Il fut acclamé, applaudi sous les hourras plus encore que la danseuse.

Il est minuit.
Le char abandonné dort ; il a fait provision de sourires tout le jour.

Il est minuit.
Sur la place de l'Horloge, derrière le manège, surgit soudain un masque.
Robe blanche, pas discrets,éventail à la main, elle appelle.
Douce et légère elle cherche son Pierrot, elle rêve d'amour...
Furtive elle se cache, revient, distribue quelques masques
alentour. Et voici alors une « armée »  de Colombines qui se
mettent à fredonner.
Murmures de surprises.

Applaudissements.

La foule passe.
Les Colombines restent.
Elles sont là pour les étoiles...pour la lune.

Il est minuit.

Un peu plus loin, sous les arbres de la cour du Barouf,
Arlequin se joue de son maître. Pirouettes, acrobaties, il s'échappe
et soudain revient tenant un spectateur par la main. Ce nouvel acteur n'a ni
costume ni masque mais que le public est enthousiaste. C'est un peu de lui-même
qu'il rit alors. Le plaisir bon enfant offert par la comedia dell' arte
explose et les applaudissements redoublent entrecoupés de « bravos »...

Il est minuit.
Le cœur d'Avignon bat à éclater.

Et si vous tendez l'oreille,
vous entendrez aussi quelques vieilles cigales patientes,
théâtreuses éternelles qui espèrent et qui veillent encore.
MF 05/2010

 

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