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22 septembre 2010

Il n'y a pas de terreur sans bourreau

Au fond de sa poche de pantalon, Alexandre emporte toujours sa liste, LA liste. Elle n'est pas très longue, enfin chacun en jugera, les tailles et les longueurs c'est comme les goûts et les couleurs, ça peut se discuter des heures. 

Alexandre avait le sentiment de ne pas vivre sa vie comme il le voulait. Après tout rien de très original. Cela le minait, un voile terne se posait sur tout ce qu'il vivait, ôtant à toute chose la saveur qu'il espérait. Sa vie était une sorte de liste dont il effectué chaque jour les taches : se lever, servir le petit déjeuner et l'avaler, se brosser les dents et se débarbouiller, s'habiller, partir travailler, saisir des formulaires administratifs et faire des comptes, échanger quelques paroles sans importance avec des collègues sans importance qui vivaient grosso-modo la même liste que lui, rentrer à la maison pour déjeuner (souvent un sandwich banal), retourner au travail, remplir des formulaires administratifs et faire des comptes, échanger quelques paroles sans importance avec des collègues sans importance qui vivaient grosso-modo toujours la même liste que lui, rentrer à la maison en faisant parfois un détour par les rues commerçantes, regarder la télé ou aller sur internet, préparer des plats surgelés pour le dîner, parfois cuisiner vraiment, faire la vaisselle, prendre une douche, lire quelques pages d'un bouquin avant de sombrer dans le sommeil, … se lever, …

Un lundi matin, alors qu'Alexandre se levait, un flot torrentiel de larmes jaillirent de ses yeux sombres. Il voyait sa journée en perspective, semblable à tant d'autres qui venaient de passer et passeraient encore. C'est ce lundi d'octobre, qu'Alexandre vit sa vie comme une liste dont il devait chaque jour accomplir les tâches. Il sentit au plus profond de lui un dégoût pour cette saveur fade de l'ennui, un dégoût pour lui-même si lâche et résigné. Durant les jours qui suivirent, Alexandre se mit à trébucher, à bégayer, à ne plus trouver ses mots, à dire un mot pour un autre, à perdre ses clés, de chez lui, du bureau, à oublier de se réveiller, à se tromper de route, …

Il consulta de nombreux thérapeutes : psychologue clinicien, cognitiviste, programmation neurolinguistique, psychanalyste, psychiatre, sophrologue, marabout et quelques dealers d'herbe.

Cette chevauchée « psy » lui permis une sorte d'introspection. Si sa vie était une liste dont il accomplissait chaque jour les tâches comme larbin, il entendit au fond de lui une liste révolutionnaire, de désirs entravés, de paroles tues, de rencontres manquées, de plaisirs déraisonnables, de non pour dire oui et de oui pour dire non, ... 

Dans ce grand vacarme, Alexandre songea à écrire SA liste.

  • Se lever, bien obligé, mais à l'heure qu'il veut
  • Prendre le petit déjeuner, mais avec un livre agréable et le temps de le lire
  • Se promener dans la campagne
  • Déjeuner copieusement, assiette de charcuterie, salade campagnarde, civet, cote de boeuf, petits légumes, tarte au pommes, flanc, choux à la crème...

Alexandre avait pris le temps d'imaginer une journée selon cette liste, il se voyait en ballade par les sentiers de campagne, profiter d'un  délicieux déjeuner. Mais après quelques jours il se lassa. Alors sa liste s'allongea, remplissant chaque jour un peu plus les trous par des activités en tout genre : course à pied, natation, cuisine, lecture, jeux vidéo, cinéma, … 

Bientôt Alexandre se trouva exactement au même point que ce fameux Lundi, innondé d'un torrent de larmes qui ne cessait de se déverser sur ses joues et jusque dans son cou. Il perdait de nouveaux ses clés, oubliait son jogging, son maillot de bain ou son porte-monnaie, il disait un mot pour un autre et oubliait soudain où il en était.

Si cette liste était bien plus alléchante que la précédente, elle ne touchait pas à l'essentiel. Alexandre décida d'être honnête avec lui-même, de creuser au plus loin qu'il le pourrait les filons de ses désirs et en extraire LA liste. Exit les recettes, les prêt-à-porter, les prêt-à-jouir, adieu les conseils et les psy en tout genre, aux oubliette les bien-pensants, les inhibitions de catho et les caresses dans le sens du poil. Alexandre était remonté comme une pendule, après tout il serait seul à lire sa liste, il serait seul à découvrir les insanités de ses tréfonds.

Au fond de sa poche de pantalon, Alexandre emporte toujours sa liste, LA liste. Un petit bout de papier sur lequel sont inscrites toutes les tâches qu'il s'est promis un jour, un Lundi, de réaliser chaque jour. Il ne m'a jamais montré sa liste et ne m'a révélé, un soir où ses larmes coulaient, le dernier item qu'il a inscrit : « Trouver le courage de réaliser enfin, tous les items de cette liste. »

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Commentaires
V
J'aime bien la construction de ce texte car j'ai l'impression de tourner en boucle tout en lisant de façon linéaire ce texte.
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