La balance des soucis, par Régine Vivien
La balance des soucis
Elle sortit la farine du placard. Fine et fluide, elle ne tâche pas, s’éparpille sur les vêtements, la table, le sol. Elle écrasa entre ses doigts cette substance immatérielle qui s’évapore, légère et gaie. Rêveusement elle joua un moment avec elle.
Puis, cuillère après cuillère, elle en remplit le couvercle de la balance. Cela finit par peser. Ces multiples grains emmêlés s’agglomérèrent et finirent par faire osciller, puis pencher l’aiguille jusqu’à cent grammes. Elle s’obstina à accumuler dans le couvercle cette épaisseur blanche qui se tassait…. Deux cent cinquante grammes puis cinq cent grammes. Elle s’assit. Le soir tombait. La journée avait été longue. Le diner attendait.
Ils allaient tous rentrer, réclamer à grands cris leur dû, ce repas tendrement préparé.
Elle, elle n’avait d’yeux que pour cette farine qui pesait, pesait. Comment, pensait-elle, quelque chose d’aussi léger, aérien, heureux et sans soucis pouvait faire courber, appesantir, accabler cette balance ?
Elle baissa la tête, se recroquevilla. Le temps passait. Accablée, elle s’endormit.
La fenêtre s’ouvrit, les grains de farine s’envolèrent, ils se balancèrent au vent, s’accrochèrent aux branches, se posant mollement sur les fleurs du jardin.
- C’est nous !!
Elle s’éveilla en sursaut.
- Voyons, voyons, où en était-elle, c’était léger et doux…
Elle jeta un œil sur la table, rien n’était prêt, la farine remplissait le couvercle de la balance.
- Ce soir c’est repas farine ? lui demanda tendrement son mari.
Elle lui adressa un regard reconnaissant.
- Bon, pizza pour tout le monde ?
Régine Vivien le 18 janvier 2011