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8 février 2012

Clair de l'autre, par jean-claude Boyrie

Clair de l'autre

Clair de lune 

Étude en blanc et noir : l'hiver a bien caché son jeu, il est tombé quand on ne l'attendait plus, venu d'on ne sait où.....

Harmonie en bleu et or : nostalgie des beaux jours. Un sombre et lent crépuscule, et cet air glacé qui s'infiltre partout, prélude à la cruelle morsure du gel. La tramontane a nettoyé le ciel. La lune en son premier quartier surgit tout à coup d'entre les nuages, éclairant crûment les arbres dénudés. Balayant le paysage harmonique, le vent souffle par rafales, C'est un frémissement qui s'exprime sur fond continu d'arpèges, dispersant une ligne mélodique indécise. Adieu la grâce mélancolique et sensuelle, l'étonnante fluidité d'un toucher presque immatériel ; finies, les capricieuses rêveries ; enfuies, les nuances mélancoliques. Place à l'instabilité rythmique. Il vient des accords en rafales, suite échevelée de motifs disloqués, associés, superposés. Doubles triples et quadruples croches se succèdent et s'enchaînent. Tout cela scintille, se résout en trilles, faisceaux ruisselants d'étincelles, pluie ou gerbes d'étoiles, feu d'artifices implosant en son bouquet final.

Place du Nombre d'or, juste avant la nuit. Les derniers passants pressent le pas, il est temps pour eux de rentrer à la maison pour se mettre au chaud ! Dans quelques instants, les boutiques vont fermer, générant ce hâtif ballet de retardataires emmitouflés. Il n'y aura bientôt plus personne à Antigone... Il ne restera de ce quartier, décor de théâtre ostentatoire, absurdement stylisé, qu'un univers minéral. C'est en vain que s'étaleront le gigantisme de ses colonnes cannelées, l'improbable encorbellement de corniches symétriques et l'inhumanité de façades tirées au cordeau. Au centre de la place, un jet d'eau jaillit par intermittence, égrène se snotes cristallines. Il s'épanche en fines gouttelettes qui se désagrègent sur le dallage luisant. Jeu de courbes visuelles et sonores qui montent et descendent.

Le clair de lune est traître, il révèle un drame obscur, incompréhensible aux yeux du spectateur non concerné : deux silhouettes enlacées se profilent sur fond de marbre clair. Un homme, une femme. Ils se retrouvent seuls dans ce presque désert. On ne sait rien d'eux, sinon qu'ils échangent un furtif baiser d'adieu. Sans doute à cet endroit, en cet instant précis, leurs chemins se séparent... Pourquoi ? Comment ? On devine à leur déchirement l'histoire d'une séparation ordinaire, ainsi le veut l'aveugle destin de deux êtres broyés par la vie, on n'y peut rien. On voit là simplement deux corps souples et tièdes, des doigts qui n'arrivent pas à se dénouer. Comment peut-on se réchauffer quand on a froid au coeur ? Ce couple attend son inéluctable dissolution. L'homme et sa compagne n'en finissent pas de distiller un passé révolu, retrouvent le parfum, les saveurs, les mille voluptés de jours enfuis, présents dans leur mémoire par la grâce de deux mains courant sur le clavier. Désormais, les instants des amants sont comptés. Que peuvent-ils encore se dire ? Il leur reste si peu de peu de temps à passer ensemble ! D'ailleurs, il n'y a rien là que de très banal, cela ne vaut pas la peine qu'on s'y arrête.

Une aigre et fugace dissonance rompt l'harmonie de la nuit. C'est le cri d'un corbeau. Cet oiseau de mauvais augure se fond dans la masse noire des frondaisons. Un bruit sourd de pas qui s'éloignent lui succède en contrepoint. Leur cognement sur le pavé sonore s'espace de plus en plus, avant que le silence et l'obscurité n'aient pris le dessus, effaçant les choses qui furent.

Piste d'écriture : évasion musicale sur le thème de « Clair de lune » de Claude Debussy, 3ème. partie de « Suite bergamasque » (1905).

 

 

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