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14 mars 2012

Le carnet, par Danièle Chauvin

Piste d'écriture: lors d'un dialogue, remplacer certaines répliques par un geste explicite.

« Voyons, Valérie ! Que fais-tu avec ce carnet ? Et d’abord, où l’as-tu trouvé ? »

La jeune fille était sidérée. Grand-mère la grondait. Outre qu’elle avait passé l’âge d’être réprimandée, elle ne comprenait absolument pas ce qu’elle avait pu faire de si contrariant. Elle avait voulu tirer un magazine qui se trouvait sous la pile. Elle avait tout fait tomber. Elle s’était levée pour ramasser et remettre de l’ordre. Le carnet avait surgi, glissant de l’intérieur d’une revue. Grand-mère n’avait pas une réputation de maniaque du rangement, mais tout de même, cela lui avait paru insolite. Et ce carnet avait une particularité : il était constitué d’un certain nombre de feuillets agrafés. Debout, elle était en train de l’observer  quand Grand-mère était entrée dans la pièce.

« Eh bien, je…

–Tu quoi ?

– Il était parmi les revues.

– Rends-le-moi.

Valérie obtempéra.

 Grand-mère, le carnet en main, traversa le salon et disparut dans le couloir. Valérie, stupéfaite, l’entendit monter, entrer dans sa chambre, puis, plus rien. Elle attendit quelques instants, dressant l’oreille, mais rien ne bougeait plus à l’étage.

danielecarnet1 Elle reprit sa place dans le canapé et rechercha la revue dont était sorti le carnet. C’était un magazine féminin. Elle le feuilleta lentement. Un dossier : Les maisons de nos enfances. Un article : Saint-Julien, le village de ma renaissance. Les photos lui semblaient curieusement familières. Où les avait-elle déjà vues ? Ah oui ! L’album qu’elle avait trouvé en faisant du rangement avec sa mère il y a quelques mois. Celle-ci lui avait expliqué que la nourrice de Grand-mère les lui avait remises pour qu’elle garde le souvenir de sa petite enfance dans sa famille d’accueil. En effet, Grand-mère était une enfant « de la DASS » comme on dit. Les clichés n’étaient pas exactement les mêmes que ceux de l’article, mais ils montraient les mêmes lieux, dans des circonstances différentes. Quel rapport avec le carnet ? Sa grand-mère avait réagi bien vivement. Ce n’était pas dans ses habitudes.

 Quand Grand-mère réapparut au salon, sa colère avait disparu. Elle avait retrouvé son sourire et ses traits avaient retrouvé leur sérénité habituelle. Mais lorsqu’elle posa les yeux sur Valérie, elle s’arrêta net, fronçant des sourcils. Sa petite-fille lui faisait face, le magazine déployé sur les genoux, les mains croisées dessus, le regard planté bien droit dans celui de l’aïeule.

« Je sais que tu connais ce village parce que moi aussi, je le connais.

– Comment est-ce possible ?

– Maman possède un album de photos anciennes. J’y ai vu des enfants poser dans la cour de cette école, des hommes déblayer la neige devant la mairie, et le camion du boucher arrêté là, juste devant cette maison. » Valérie pointait son index sur l’image. C’était une bâtisse à un étage, aux volets terre de sienne. On distinguait deux fillettes assises sur les marches du perron. Elles se redressaient de toute leur petite taille devant l’objectif. Le photographe se situait trop loin pour reconnaître les traits des gamines.

Grand-mère contourna la table basse et vint s’asseoir à côté de Valérie. Elle tendit les mains. Valérie lui donna le journal. Grand-mère tourna les pages à l’envers pour revenir au début de l’article  intitulé Saint-Julien, le village de ma renaissance. Grand-mère suivait les lignes des yeux, en apparence. En réalité son regard était vague, comme si elle le promenait dans son rêve.

danielecarnet2Valérie l’observait. Elle lui entoura les épaules de ses bras. Grand-mère ne sembla pas s’en apercevoir.  Elle continuait son voyage intérieur. Ses mains caressaient les pages, s’attardant sur les photos, contournant les formes des arbres, du clocher, suivant les rives du canal. Quand elles atteignirent la dernière ligne, Grand-mère tourna la page. Et la promenade reprit au fil des mots.

 Enfin, on arriva à la maison à un étage. Valérie posa sa main sur celle de sa grand-mère et se laissa emmener. Les deux petites filles attendaient sur les marches du perron. Grand-mère s’arrêta. Elle se tourna vers Valérie : « Elle s’appelle Régine. Le carnet n’est pas un carnet, ce sont les lettres qu’elle m’a écrites après qu'elle ait été adoptée. C’est moi qui suis assise à côté d’elle ».

 

 

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