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27 mars 2013

La passante des Arceaux, par Jean-Claude Boyrie

La passante des ARCEAUX.

 Aqueduc 0

On était au mitan du siècle des Lumières. Le roi Louis XV surnommé : « le Bien-Aimé », n'avait pas encore fait connaître au pays les suites désastreuses de la Guerre de Sept ans. La Pompadour régnait en maîtresse sur les Arts et les Lettres. Boucher et Fragonard peignaient des scène d'alcôve et la publication de l'Encyclopédie commençait.

À l'autre extrémité de la France, Montpellier, dévorée par l'ardeur du soleil, n'avait à fournir à ses habitants que l'eau fade et peu salubre de ses puits et celle d'une chétive fontaine, prête à tarir à tous les instants. En cette année 1752, le Maréchal de Richelieu, Monsieur le Nain, le maire et les consuls de ville chargèrent l'ingénieur Henri Pitot de Launay de « travailler au projet désiré depuis longtemps de conduire les eaux de la source de saint Clément au centre le la ville dont les habitants avaient un extrême besoin ». L'archevêque Dellon, président des États du Languedoc , doutait encore que les eaux de Saint-Clément pussent monter jusqu'au Peyrou. Il demanda à l'ingénieur s'il était sûr de ses opérations. « En vérité, répondit Monsieur Pitot, les eaux ne monteront pas jusqu'au Peyrou, elles y descendront ».

Son projet fut adopté et les travaux durèrent treize ans. La dépense fut de 950000 livres, à peine le triple de ce qu'avait coûté la statue de Louis XIV. Il parut que l'argent était mieux employé.

Le 7 décembre 1765, l'ouvrage long de trois lieues et demie, allait être enfin inauguré. Une foule nombreuse se pressait sur la promenade royale du Peyrou. « À l'instant prévu par le constructeur, on vit les eaux s'élancer dans le bassin du Château d'eau en limpides cascades. Quand elles vinrent se se relever en gerbes puissantes dans les bassins inférieurs, il y eut une explosion soudaine de joie, qui se manifesta dans la population par les transports les plus vifs ».

La ville octroya une pension de mille livres à Henri Pitot en remerciement de ses bons et loyaux services.

Aqueduc 2

Deux cent cinquante ans plus tard, le commissaire Dubosc empruntait comme chaque jour le chemin de l'Aqueduc pour se rendre à son travail. Il appréciait le charme désuet de cette allée bordée de cèdres et de pins, se faufilant entre voies et maisons, un vrai havre de paix au au sein du faubourg. Les bruits de la ville ne parvenaient pas à étouffer la rumeur du vent et le murmure des pigeons. Cela eprésentait en quelque sorte un couloir dans le temps : de loin en loin, des bornes de pierre aux armes des Guilhem, anciens seigneurs du lieu, jalonnaient cet itinéraire d'exception.

Sylvain Dubosc (son nom même était un pléonasme) traversait un petit square où des retraités oisifs (autre pléonasme) jouaient paisiblement à la pétanque. À cet endroit, les arceaux de pierre blonde plongeaient dans les profondeurs de la colline pour se transformer juste au dessus en un dallage à fleur de sol. On avait placé sur le tracé de l'ouvrage un réservoir faisant office de chambre de visite. Le réservoir du Châtelet n'est, malgré son habillage, qu'un point d'arrêt entre les trajets souterrain et aérien de l'aqueduc. L'eau venue de si loin s'y repose et semble reprendre haleine avant de poursuivre son cours.

C'est là que Dubosc avait croisé cette fille. Elle empruntait le même itinéraire en sens inverse. Il avait noté son visage avenant, ses formes généreuses. Les policiers sont là pour tout remarquer, non ? Si brève qu'eût été leur rencontre, la passante des Arceaux lui avait fait une forte impression. Sa mise était modeste, mais par son étrangeté même, attirait l'attention. Sa robe d'indienne, élégante et simple, parut au commissaire un brin décalée. Qui diable pouvait porter cela de nos jours, à moins d'être fringologue ou de se rendre à un bal masqué ? Cette personne entrevue lui rappelait quelqu'un qu'il avait jadis rencontré, il ne savait plus où, ni quand. Était-ce il y a dix jours... ou bien dix mois... ou bien il y a dix ans ? L'espace d'un instant, Sylvain crut voir passer dans le regard de la belle inconnue un éclair de connivence, en même temps qu'il y lisait une indéfinissable tristesse. Ce ne fut qu'une impression fugitive. Elle baissa les yeux, puis passa son chemin.

Licorne0

 Peu après l'inauguration de l'aqueduc, Paul Anthime de l'Orée du Bois, lieutenant de police à Montpellier, recevait la déposition de dame Teresa Jaume, veuve du sieur Hippolyte Jaume, native de Perpignan, mais installée de longue date à Montpellier. Cette femme s'exprimait dans un horrible patois, mêlé de mots français. Sa fille Frrrancesa, serrrvante à l'hôtel de Haguenau, exposa-t-elle en rrroulant les « r », s'en était allée puiser de l'eau à la fontaine des Licornes, place de la Canourgue et n'en était point revenue. Les sergents de ville inspectèrent les lieux, mais n'y relevèrent nul trace de violence ou de rapt. Tout était calme ce jour-là dans le quartier. Peut-être la donzelle avait-elle fugué, voulant échapper à son humble condition ? On ne manquerait pas de la retrouver, racolant sur la voie publique ou faisant commerce de ses charmes dans quelque maison de passe. Pourtant, la nommée Francesa Jaume ne donna plus signe de vie. On crut pouvoir l'identifier par la suite au corps à demi décomposé d'une péripatéticienne assassinée près du Châtelet. Ceci ne fut jamais prouvé. S'agissant d'une fille de peu, le lieutenant du roi ne jugea pas bon de s'attarder sur une aussi mince affaire, qui sombra pour longtemps dans l'oubli.

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La Révolution, deux empires et deux monarchies étaient passées par là, trois républiques s'étaient succédées, mais rien n'avait changé. On était policier de père en fils chez les Dubosc, une tradition qui ne s'était jamais démentie depuis l'ancien Régime. Pour se montrer digne de Paul Anthime, son illustre aïeul, le jeune Sylvain avait passé avec succès le concours de l'École Supérieure de la Maréchaussée, dont il était sorti dans un bon rang. Il disposait de tous les atouts pour mener une brillante carrière et terminer au moins avec le grade de Commissaire principal. La suite des événements déçut hélas les ambitions de ses proches. Sylvain Dubosc avait été nommé dans un quartier périphérique insipide et sans relief, qu'il affectionnait cependant. Il végétait dans un commissariat de seconde zone. Certes, il aurait pu maintes fois demander sa mutation, obtenir une affectation mieux considérée dans un poste plus important, pourvu de plus grands moyens. S'il eût affronté des manifestations spectaculaires, démantelé des trafic sordides, élucidé des crimes bien saignants, il se fût acquis de bons états de service et eût mérité l'estime de sa hiérarchie. Mais non ! Rien de tout cela ! Son quotidien n'était fait que de cambriolages et de vols à la tire ou à la roulotte, de règlements de comptes entre mauvais garçons, d'incidents ou accidents en tout genre, y compris les chiens écrasés.

Bref, Sylvain Dubosc était considéré comme le raté de la famille et mal noté. Ses supérieurs lui reprochaient aussi sa vie privée tumultueuse : coqueluche des fliquettes du Commissariat, il collectionnait les aventures sans suite. Non, ce gamin prolongé ne comprenait décidément rien à rien. Il menait une existence insouciante et monotone à la fois, où chaque jour ressemble au précédent et annonce celui qui va suivre. Jusqu'à ce que....

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Il avait revu la belle inconnue. À plusieurs reprises. Au même endroit. La dernière fois, c'était le 19 mars. Ça allait comme un lundi. Des ouvriers en brassière jaune fluo s'activaient en contrebas du réservoir à dégager l'emprise du chemin de l'aqueduc. Le brassage de la terre par temps de pluie donnait une gadoue pas possible. Il aurait fallu disposer une couche anti-contaminante ou même un caillebotis pour franchir à pied sec ce passage boueux. En attendant, les usagers devaient faire un crochet, mais (assurait-on), cela ne durerait pas : à l'issue du chantier, quand les nouveaux aménagements seraient opérationnels, ils auraient une belle promenade qui ferait honneur à la Ville et tout le monde y gagnerait.

Sylvain Dubosc croisa de nouveau la mystérieuse passante, en apparence indifférente à ce chambardement. Elle l'émut, dans sa tenue légère qui la préservait mal de la pluie fine et pénétrante. Il la trouva désirable ainsi, les boucles de sa chevelure blonde collant à sa nuque. Il mourait d'envie de l'aborder, n'ayant pas encore trouvé prétexte à le faire. Il lui proposa, comme dans la chanson de Brassens : « un p'tit coin de parapluie contre un p'tit coin d'paradis ». Elle accepta, le remercia d'un furtif sourire, en désignant du doigt le réservoir du Châtelet ; Ils bavardèrent de tout et de rien. Elle s'émerveillait de ces carrosses d'acier qui se meuvent d'eux-mêmes sans le secours de chevaux, s'étonnait de voir autant de gens qui parler dans le vide, l'oeil rivé sur leur étrange lucarne.

Une fois l'averse calmée, la mystérieuse inconnue reprit son en direction de la ville. Sylvain regarda sa fine silhouette s'évanouir, comme fondue à la foule.

La routine reprenant ses droits, il cessa d'y penser.

Était-ce une coïncidence ? Quelques jours plus tard, les ouvriers firent une découverte bizarre au niveau des fondations de l'ouvrage maçonné. Au milieu des gravats, se trouvait un squelette humain. Le chantier fut interrompu pour les besoins de l'enquête. Les pauvres restes furent passés au crible. Selon le médecin légiste, ces ossements délicats pouvaient correspondre à ceux d'une femme de vingt à vingt cinq ans. On ne trouva sur le cadavre aucune trace de vêtements. S'il s'agissait d'un crime, la victime avait été enterrée nue, à la va-vite. Le seul indice qui eût pu conduire à son identification était une petite croix en or portant ces initiales : « F J. »

Autre étonnante particularité : la base du crâne était taraudée à la jonction de la dernière vertèbre cervicale, il semblait avoir été fait usage d'un outil perforant, tel le poinçon d'un orfèvre ou l'alène d'un cordonnier. Il y avait toute apparence que par cette plaie aux contours nets large d'un quart de pouce, la vie se fût échappée. Dubosc, pensant tenir « l'affaire de sa vie », établit un procès-verbal d'enquête préliminaire, qu'il transmit aussitôt au Parquet. L'expertise médico-légale confirma l'hypothèse d'une mort violente donnée intentionnellement.... mais qui remontait à deux cent cinquante ans. Le crime était bien trop ancien pour concerner la Justice (il y avait prescription) mais trop peu pour intéresser les chercheurs (une poussière à l'échelle de l'Histoire !). Le dossier fut classé sans suite parle procureur de la République. Il échoua aux Affaires culturelles et s'y assoupit.

 CROIX

 Armand Vignerot du Plessis, duc de Richelieu et de Fronsac, pair et premier maréchal de France, chevalier des ordres du roi, connétable, premier gentilhomme de la Chambre de Sa Majesté et son lieutenant général, ne décolérait pas. Le petit neveu du Cardinal, ci-devant héros de la bataille de Fontenoy, aujourd'hui conseiller spécial aux menus plaisirs du monarque, n'était certes point d'un tempérament bégueule. Il avait une solide réputation de libertin, grand amateur de fêtes, de luxe et de jolies femmes. Mais il avait coutume d'opérer en douceur et dans la discrétion. Tel n'était pas le cas de certaines parties fines organisées en périphérie de Montpellier qui, de notoriété publique, se terminaient mal. Les homme du guet avaient trouvé, jetés à la rue, les corps de filles atrocement mutilés. On chuchotait avec frayeur que les auteurs de ces actes de barbarie agissaient vêtus de noir et masqués, tels des oiseaux de proie ou les chirurgiens en temps de peste. Une rumeur insistante leur prêtait un nez long d'un demi-pied, aux allures de bec incurvé. D'autres, mieux informés, se référaient au rostre de la licorne. Cet animal mythique, autrefois symbole de pureté, était devenu, on ne savait pourquoi, l'image de marque de ces criminels et leur signe de reconnaissance. Qui se cachait sous ce masque étrange ? Les noms de divers notables de la ville avait été prononcés, à commencer par les plus hautes personnalités. Son premier magistrat, des consuls, des médecins, un maître des Requêtes, un conseiller à la Cour des Aides, un chanoine de la cathédrale saint-Pierre et même, disait-on, Monseigneur de Pradel en personne.

Trop c'est trop ! Il fallait à tout prix mettre terme à ce scandale, ou du moins l'étouffer avant qu'il n'éclatât au grand jour et ne créât en Languedoc une situation insupportable. Le prince Charles Just de Beauveau venait d'être appelé au gouvernement du Languedoc. Le nouveau gouverneur de la province voulut obtenir une information précise et complète sur les prédateurs de la nuit. Paul Anthime de l'Orée du Bois fut chargé de mener l'enquête sur le mystérieux « clan de la Licorne » qu'il importait de démanteler. Le lieutenant de police de Montpellier fit diligence. Il avait conçu des soupçons sur certains membres de ce réseau secret, manda ses meilleurs limiers pour l'infiltrer. Un faisceau d'indices et présomptions concordants le menèrent sur la bonne piste. Le point de départ de ses investigations se situait à la fontaine des Licornes. L'endroit même où Francesa Jaume avait été vue pour la dernière fois. Les circonstances de cette disparition allaient enfin cesser d'être une énigme. Il n'était que de suivre à rebours la canalisation d'adduction d'eau de Saint-Clément, servant de fil conducteur en cette sordide affaire. Son tracé traverse la promenade du Peyrou pour desservir en contrebas les jardins de l'hôtel de Haguenot. Paul Anthime se souvenait que la jeune femme avait servi dans ce pavillon de plaisance, édifié récemment « hors les murs » par le Doyen de la Faculté de médecine. Cette « folie » pouvait bien être un lieu de débauche et le théâtre des sinistres orgies.

Paul Anthime se mit en peine de recouper les divers témoignages qu'il avait pu recueillir, avant que la vérité ne se révélât, mille fois plus terrifiante que ce qu'il subodorait auparavant. Il s'abstint de consigner ses conclusions par écrit, craignant qu'elles ne parussent peu crédibles, et que le rapport qu'il ferait ne fût étouffé. Mieux valait demander préalablement une audience au ministre. Le lieutenant du roi l'obtint sans peine avec l'aveu du Gouverneur de la province et se rendit à Versailles, emportant dans son bagage une redoutable pièce à conviction : la dent unique du narval, dit « Licorne de mer ». L'arme du crime, selon lui. Cette corne de narval trouvée par ses hommes en perquisitionnant le domicile de Henri Haguenot, était le fleuron de son cabinet de curiosités. Lorsque l'officier de police posa sur le bureau du duc du Richelieu la lourde pièce d'ivoire torsadé, le vieux maréchal ne put réprimer un frisson. Durant sa longue carrière, il avait en vu de bien singulières, mais rien qui fût comparable à cela. La dent unique du narval, que monsieur de Buffon décrit dans son Histoire naturelle comme un inoffensif mammifère marin, aurait donc, s'il en croyait le lieutenant, servi de prétexte et d'instrument à maints sévices sexuels. Fallait-il en apporter la preuve et donner davantage de détails ? Paul Anthime de l'Orée du Bois n'en manquait pas : Les cadavres des jeunes victimes avait déjà parlé pour elles. Il fit état pour convaincre le duc, des rapports d'autopsie faisant état de blessures graves causées aux voies intimes de ces malheureuses. Dans la plupart des cas, la perforation de la matrice avait entraîné la mort par hémorragie interne. Francesca Jaume était une exception. Elle avait eu le malheur de survivre à ce traitement. On l'avait achevée d'un coup d'éperon de narval dans la nuque.

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« Prenez garde, mademoiselle ! » s'était écrié Sylvain Dubosc.

La passante sursauta. Débouchant du chemin de l'Aqueduc, elle avait emprunté le boulevard des Arceaux, sans entendre le vrombissement d'un moteur juste derrière elle. Un scooter, conduit par deux voyous encagoulés, circulait à même le trottoir. Ces deux-là, que l'oeil exercé du commissaire avait déjà repérés, n'en étaient sûrement pas à leur coup d'essai. Le chauffeur lancé à toute berzingue, dépassa la jeune femme, la rasant au plus près, tandis que son acolyte tentait d'arracher le collier qu'elle portait au cou. Trop tard. Sylvain Dubosc avait anticipé sa manoeuvre et bondi, renversant le scooter. Les deux malfrats s'enfuirent, abandonnant leur véhicule et vitupérant le policier : «Tu ne perds rien pour attendre, boloss, on te fera la peau ! »,

« Dois-je entendre, fit la belle inconnue, encore étourdie par le choc, que ces malfaiteurs vous ont traité de molosse ou de colosse ?

  - Non, répondit-il. Dans leur langage, boloss signifie « abruti ».

  - Quant à moi, je ne sais trop, Monsieur, comment vous remercier.

  - Il n'y a pas à me remercier. Je n'ai fait que mon travail.

La petite croix d'or et son sautoir avaient glissé durant l'échauffourée. Sylvain se pencha pour ramasser le collier dans le caniveau. Galamment, il proposa à la jeune femme de le raccrocher à son cou. L'occasion (pourquoi s'en priver ?) d'une furtive caresse....

Horreur ! À l'instant même où il pensait assouvir son fantasme, il sentit sa main poisseuse et la retira. La nuque n'était qu'une plaie béante, par où le sang coulait à flot. Puis l'image de la jeune femme disparut de ses yeux comme en un brouillard. Dubosc, la cervelle en ébullition, tenait toujours la croix d'or serrée au creux de sa main et put lire à l'avers de bijou les initiales « F.J ».

Cette révélation le frappa comme un éclair. La suite demeure incertaine, car le Commissaire avait perdu conscience de ce qui se passait. Il déclara n'en avoir pas gardé le souvenir.

Au cours d'une brève enquête les superflics de l'I.G.P.N. tentèrent d'établir une version cohérente des faits. Dure entreprise ! Elle ne donna rien de concret. Au lendemain des évènements, les deux malfaiteurs se rendirent de leur propre chef au commissariat. On les interrogea. Ils nièrent s'en être pris à qui que ce fût. Ils venaient simplement récupérer leur bien. L'un d'eux, encore mineur, ne pouvait être placé en garde à vue. L'autre, un dealer minable, était connu des services de police, pour laquelle il jouait occasionnellement le rôle d'indic. Lui aussi fut laissé en liberté.

Quant à la mystérieuse passante des Arceaux, elle avait disparu sans laisser de traces. La « Police des polices » en vint à douter de son existence même. La Presse se mêla de l'affaire. Un correspondant, ardent défenseur des jeunes des quartiers, soutint que le commissaire n'avait pas à intervenir dans cette affaire. Il fit valoir qu'il n'était pas en service au moment des faits et ne pouvait prétexter qu'il avait été pris à partie pour s'être porté au secours de la prétendue victime. Un autre journaliste accusa Sylvain d'avoir été la proie d'un fantasme, après la découverte d'un squelette vieux de deux siècles et demi. Sylvain Dubost subit un examen psychiatrique au service des Démences rares de l'Hôpital Saint-Éloi. On ne l'y garda pas longtemps, mais sa carrière était définitivement brisée. Il ne tarda pas à être mis à la retraite anticipée. On le vit par la suite errer comme une âme en peine sur le chemin de l'Aqueduc. Peut-être s'attendait-il à rencontrer à nouveau le fantôme du passé, dont il était éperdument amoureux. Celui-ci ne reparut jamais, après que les ossements trouvés aux Arceaux eussent été décemment ensevelis au cimetière Saint-Lazare.

« La vérité est que tout bien faire est impossible, a écrit Saint-Simon. Si peu de gens le veulent de bonne foi, d'autres ont un intérêt contraire à chaque sorte de bien qu'on peut proposer. »

 

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