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14 août 2014

Le cadavre de pleine lune, par Nyckie Alause

Piste d'écriture: l'expression, il y a un cadavre dans le placard.

— Il y a un cadavre dans le placard !

— Tu blagues ? Le cadavre de qui ?

La porte du placard, d’habitude entrouverte, est cadenassée. De plus, quelqu’un l’a écarté du mur et entouré d’une vieille corde, au moins quatre tours. Les jointures de porte sont recouvertes d’adhésif orange strié de diagonales réfléchissantes.

Je l’ignore, je mets en place, malgré moi, des scénarios, tous plus délirants les uns que les autres. « Tu m’annonces ça, maintenant, un jeudi, alors que c’est un jour tellement important pour moi ? Tu le savais que mon essai aurait lieu aujourd’hui, cet après-midi même, tout à l’heure ! Je ne peux plus me décommander. » Je ne suis pas vraiment en colère mais contrarié, ça oui, contrarié. Je tourne dans la pièce, comme un renard en cage. Tiens, pourquoi un renard, d’habitude on parle plutôt d’un lion.

— Je n’ai pas le choix. Je devais le dire à un ami et tu es le premier à venir. Arrête de tourner autour de cette table et cherchons, si tu veux bien, une solution à ce problème. Tu pourrais m’aider à me débarrasser de cette armoire.

Il est devenu fou. Il a zigouillé sa maîtresse. Elle me faisait les yeux doux depuis quelques semaines. Je crois même qu’elle m’avait laissé entendre qu’elle voulait le quitter. « Tu voudrais que nous attendions la nuit ? Que nous chargions l’objet dans mon pick-up ? Que nous nous en délestions dans le fleuve ? Du haut du pont sur la Garonne ? » Et mon essai de tout à l’heure, il imagine que je serais tout à fait à l’aise avec ce projet pour ce soir. Je crois qu’il est fou à lier. La corde autour du placard, c’est autour de son cou qu’il aurait dû la mettre ! J’arrête mes pas devant le meuble et mon image dans le miroir terni de la porte me paraît fractionnée, comme les pièces d’un puzzle. « Bon sang, mais réponds donc ! Tu ne peux pas me demander un tel service sans rien me dévoiler des circonstances ! »

— Françoise a confiance en toi, elle aussi.

Bien. Il ne s’agit pas du cadavre de Françoise, c’est déjà ça. Le mari de Françoise ? Non, il est absent en ce moment. Un créancier ? Un huissier ? Un avocat ? «  Dis quelque choses ! Lui intimais-je en reprenant ma déambulation nerveuse. Et tout de suite ! »

Il reste coi, regarde en l’air, jette un coup d’œil au placard, m’évite, soupire. Sans avoir pour autant l’air coupable de quoi que ce soit. Embarrassé, voilà ! Il a seulement l’air embarrassé.

— Eh bien, voici comment ç’est arrivé, dit-il en faisant une pause qui me laisse, à nouveau, imaginer le pire. Je suis rentré vers minuit, avec Françoise que j’étais allé chercher en voiture. Nous devions profiter de l’absence de son juge de mari pour passer une nuit ensemble. Nous avons dîné au restaurant. Nous avons bu. Nous avons ri et même fait des projets d’avenir…

A ces derniers mots, il a un regard attendri, comme si rien de son avenir n’était compromis par la situation nouvelle. Le cadavre dans le placard. « Presse-toi ! Raconte ! » Les points d’exclamation sortent de ma bouches plus vite que les mots, en contre-point de mon agacement.

— En remontant l’allée, la fenêtre de ma peste de voisine était encore allumée, j’ai éteint les phares de la voiture. Je roulais encore. Françoise, elle en a profité pour se jeter sur moi et m’embrasser. A pleine bouche…

Nom de… Il m’énerve, il m’énerve. Qu’attend-il ? Et Françoise où est-elle passée ? Ecoute-t-elle, terrée derrière la porte de la chambre ? S’est-elle enfuie terrorisée ou se cache-t-elle en attendant que je trouve une solution ? « Continue ! J’ai mon essai, dans ce cabinet du centre ville dans, je regarde ma montre, dans deux heure et douze minutes. Je suis juste venu pour t’inviter au restaurant, pour tuer le temps, et l’angoisse, à ce tournant de ma vie. Pour me rassurer, pour que tu me dises ça va aller pour toi. Et je suis planté dans cette pièce en attendant je ne sais quoi, mais qui va tomber comme un couperet sur l’avenir radieux que j’imaginais ce matin. Maintenant, je t’en supplie, finissons-en ! »

— Donc, les phares sont éteints. Tu vois l’allée ? La nuit, elle est très sombre, presque angoissante. Imagine la lumière projetée par la fenêtre de la chambre de cette peste, comme seul éclairage. Les nuages obscurcissent encore plus la scène. Le gravier crisse sous les roues quand… (encore une pause, pour accentuer l’effet de la révélation), quand un choc se produit, à l’avant de la voiture, suivi d’un craquement mou, suivi d’un gémissement. Que pouvais-je faire ? Nous sommes sortis, ensemble, terrifiés de ce que nous allions découvrir. Une chose noire et gémissante était couchée sous la voiture. Je l’ai tirée. Elle tremblait. Mes mains étaient couvertes de sang.

Maintenant, son visage montre enfin une émotion à la hauteur de son aveu. Triste, coupable, presque au désespoir. « Qui est-ce ? Dis le ! Enfin ! Qui est-ce ? » Ce sera peut-être l’objet de ma prochaine affaire, si je suis engagé. Avocat au pénal, mon rêve d’enfant. Défendre la femme, l’orphelin mais aussi celui qui en a le plus besoin, qui est indéfendable, le pire meurtrier.

— Françoise m’a aidé. Nous l’avons attrapé, chacun d’un côté. Nous l’avons transporté jusqu’à la porte. C’est à cet instant que la couverture de nuage s’est déchirée laissant apparaître la lune. Qui nous a éclairés, comme un projecteur. Quand j’ai levé la tête, la voisine était là, penchée à sa fenêtre. Elle nous regardait. Elle n’a rien dit mais elle nous a regardés, longtemps. J’ai ouvert la porte et nous avons transporté le chien à l’intérieur. Il est mort là, sur le tapis. (Je remarque que le tapis rouge a disparu.) C’était le chien du commissaire de police qui habite au numéro 13.

Le 13 c’est demain. Je ne crois pas être de taille à le sortir de ce pétrin. « C’est une malédiction ! ».

— Demain ce sera la pleine lune. La pleine lune comprends-tu ? Elle va tomber un vendredi 13 !

 

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