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28 mars 2015

Le canapé jaune (6), par Nyckie Alause

 

 

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Tu me dis que jaurais dû replacer le livre oublié sur laccoudoir du canapé. Cest vrai que jaurais pu, mais je ne lavais pas encore terminé. De plus il y a des passages que je tenais à relire. Mais je te jure que la prochaine fois que je la vois, cette lectrice, je le lui remets, en main propre. Pour la remercier, ce sera « ad alta voce », de vive voix. Et sil est toujours là, si personne ne la volé, nous pourrions, elle et moi, nous asseoir côte à côte sur le sofa répudié. Je dois te lavouer je la laisserai sinstaller la première, même si elle veut se mettre de mon côté. Nous pourrions parler du livre, de lAmour et de la Beauté. Nous en viendrions naturellement à parler des hommes, du couple, de la famille, de lamitié. Tu me comprends ? Nous parlerions de tout et nous le deviendrions, amies. Car tu as toujours raison quand tu affirmes (tu ne peux pas te tromper), quand tu maffirmes que « cest en forgeant quon devient forgeron » et que en se parlant, en écoutant lautre, on peut même devenir de vrais amis, comme toi et moi.

 

 

 

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Je suis en congés depuis deux heures. Cest à dire que jai quitté le bureau après avoir transmis à mon collègue (il sappelle Eric et cest lui mon meilleur ami), les indispensables informations de suivis de dossiers. Cela me permets quand je mabsente de partir tranquille. Sauf que, je suis en congés, je ne pars nulle part et je ne me sens pas particulièrement lesprit tranquille.

 

Ces congés, je les avais organisés de longue date. Lucio et moi devions passer une grande semaine à Rome. Chez sa sœur, Gemma, et sa nièce, dont jai oublié le nom. Les billets davion, je les ai déchirés, en morceaux tellement petits que lon ne pourrait lire nos noms quau prix dun travail laborieux, façon puzzle 1000 pièces. Dautant que, pour parfaire mon œuvre, je les ai éparpillés. Au bord de ma terrasse, je me suis penchée. Jai tendu mon poing fermé, comme une menace, le plus loin que me la permis le garde-fou. Dun grand geste, jai agité mon bras et jai ouvert la main. Les petits, très petits bouts de papier ont virevolté longtemps avant darriver sur les dalles. Quelques-uns sont allés jusqu’à décorer les coussins du canapé.

 

 

 

Je suis en congés. Je vais pouvoir terminer ce livre de François Cheng. Chaque fois que je louvre, il se fend dun sourire automatique, page 91. Je nai plus besoin de noter ce passage, je le sais par cœur.

 

 

 

Je marche dans la ville, jentre dans des boutiques de mobilier et décoration. Je m’énerve contre un vendeur force-de-vente, agressif et cauteleux. Il tente de me séduire avec un canapé de cuir fauve, sauvage, énorme. Comme si accueillir un bison ou un auroch indomptable était concevable dans un appartement comme le mien.

 

Touchez donc la souplesse du cuir. Voyez la beauté des surpiqures ton sur ton. Testez la docilité du mécanisme douverture. Etendez-vous ! Fermez les yeux et imaginez ce que seront vos nuits

 

Là, ça en est trop, quelle outrecuidance ! A la dernière de ces injonctions, la colère me submerge. Quest-ce qui permet à ce crétin à la coiffure « dinosaure juste sorti de l’œuf avec sa crête dressée brillante dalbumine résiduelle » davoir un avis sur ma vie et de simmiscer ainsi dans mon intimité ? Que sait-il de la beauté ?

 

Je sors comme une furie pour me retrouver sur le trottoir, désemparée ; obligée de rentrer à nouveau dans le magasin car jy ai oublié mon sac à main, par terre, à côté du canapé fauve. Je passe, hautaine, devant le vendeur que je viens de quitter, sans lui adresser ni regard, ni excuse, ni une quelconque explication. Que sait-il donc de la beauté ?

 

 

 

 

 

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