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26 avril 2016

Amoureuse(s)! par Colette Rostan

Piste d'écriture: créer un personnage en associant autour d'une de ses caractéristiques (ici, le prénom).

 Cunégonde s’est levée du pied gauche et elle n’aime pas ça. C’est un sentiment diffus, inexplicable. Le soleil filtre à travers les volets clos, on devine la couche de poussière qui recouvre les meubles. Ces derniers temps elle en a assez de passer le balai et de frotter la table, les chaises et la commode de sa chambre pour les faire briller avec des onguents dont sa mère lui a transmis le secret. Elle rentre tellement fatiguée le soir ! c’est qu’on compte beaucoup sur elle à la fabrique de chapeaux. Elle a sous ses ordres des ouvrières réputées, le sort de l’entreprise  dépend d’elle et on est en pleine préparation de la nouvelle saison. Elle ne sait pas pourquoi mais elle a pensé cette fois à de beaux chapeaux pointus, noirs, cerclés d’un ruban vert avec une boucle dorée sur le bord. Il y a eu quelques protestations, elle les a acceptées car elle est à l’écoute de ses employées, mais elle a croisé les doigts et l’incident n’a pas eu de suite.

 Donc ce matin, elle se sent d’une humeur chagrine, pourtant la veille , elle a embelli sa chambre en déposant dans un vase des fleurs couleur topaze qu’elle a trouvées en ramassant des herbes sauvages destinées à soigner toutes les petites douleurs liées à son travail. Elle aime errer, surtout le soir, à la lisière de la forêt, les chauves-souris volètent d’arbre en arbre et elle a à cœur de les protéger. D’ailleurs elle vient d’adhérer  à l’association de défense de ses petites amies ailées « Ni chauves ni souris ». Certes, le nom est ridicule, elle doit en convenir, mais c’est Monsieur Philibert, le responsable de l’association qui l’a choisi d’après ce qu’on lui a dit, et celui-là elle le mettrait volontiers dans son lit, elle ne va pas lui faire des remarques. Bien au contraire ! d’autant plus qu’elle en est aux travaux d’approche ! elle lui parle de l’accouplement des batraciens qui semble le passionner, tout comme des exploits de Batman qu’il regarde paraît-il en boucle. Elle se risque aussi de temps à autre à demander des nouvelles de son chat noir dénommé Diabolo.

Mais Monsieur Philibert n’a montré jusque là à son égard qu’une superbe indifférence... Elle sait bien qu’il se goinfre de gâteaux mais elle a évité le sujet car elle est piètre cuisinière.

 Après le petit-déjeuner (des brochettes d’escargots arrosées d’un verre de vin rouge grenat dont elle raffole), elle se sent mieux. Avant de partir pour l’usine, elle décide de profiter encore un peu de la lumière du printemps qui s’annonce, elle court jusqu’à la mare et se couche au milieu des fleurs d’aconit et de belladone que relient encore, à cette heure-là, de fines toiles d’araignée. Elle aime les couleurs vives de ces fleurs mais elle les sait dangereuses. En s’asseyant dans l’herbe, elle dérange la vipère d’eau qui s’est lovée à ses pieds et la regarde, pensive, disparaître sous les iris jaunes de la berge.

Autour d’elle les grenouilles se rassemblent et coassent en signe de bienvenue. Elle les appelle « mes filles ». C’est un peu naïf, elle le sait mais elle y est très attachée, jusqu’à les laisser pénétrer dans sa cuisine, non sans arrière pensée d’ailleurs car de temps à autre elle en sacrifie quelques-unes pour son petit-déjeuner. Un jour, un corbeau s’est aventuré jusqu’à la barrière qui clôt son potager, elle ne l’a pas chassé et il revient régulièrement. Elle aime le regarder lisser ses longues plumes noires en poussant des petits cris perçants, mais elle n’a jamais compris pourquoi il lui apporte régulièrement en cadeau des souris mortes et des mulots.  Peut-être prend-il les devants pour ne pas finir lui aussi en court-bouillon ; c’est ce qu’elle pense et ça l’amuse.

A l’usine la journée est passée très vite, laborieuse, car il a fallu livrer les premières commandes et tout le monde s’est appliqué en travaillant sur les machines qui coupent, piquent, cousent. Il faut  être rapide et prudent. Son personnel, Cunégonde en est très fière et lui fait confiance, la confection des chapeaux est tellement délicate ! aussi, à la pause, elle aime retrouver ses sœurs, c’est ainsi qu’elle les considère. C’est là un moment de détente que toutes savourent pour oublier les dos douloureux, le clic-clac des aiguilles, des ciseaux et des pinces. On peut alors se laisser aller à quelques confidences, échanger des idées, des conseils et même des recettes. Ce midi elle a écouté avec beaucoup d’intérêt celle du gâteau aux vertus aphrodisiaques à base d’ellébore et de gentiane, que l’on ne peut rater si l’on prend soin d’y incorporer les racines de la mandragore finement broyées. C’est Pétronille, son bras droit, qui a trouvé la formule du bon dosage, elle l’a appelé le cornegidouille et le confectionne les soirs de cafard avec, semble-t-il, de très bons résultats.

 diaboloDe retour chez elle après cette journée harassante, Cunégonde songe à la petite fiole cachée dans le placard de sa cuisine. Elle doit en user avec beaucoup de prudence, sa mère le lui a recommandé, mais là, elle est décidée. Quelques gouttes associées à tous les ingrédients du gâteau et Monsieur Philibert ne lui résistera plus longtemps. Elle pourra enfin plonger ses doigts dans ses cheveux roux hirsutes et mordiller ses oreilles légèrement pointues. Ce soir, elle va à la réunion hebdomadaire de «  Ni chauves ni souris », elle l’invitera à prendre le thé et à partager le délicieux cornegidouille. Il pourra même venir avec Diabolo… !

 

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