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14 mars 2017

Lise, Léon..., par Nyckie Alause

Si vous voulez en savoir plus sur Léon et Lise...

Comment Lise est-elle arrivée sur cette plage ?

C’est une longue histoire qui a commencé il y a longtemps. Elle n’est pas venue par hasard, c’est évident. Elle a pris le train jusqu’à Boulogne, puis la navette. Elle a fait le trajet le front collé sur la vitre froide qui lui a laissé une marque blême qui tardera à disparaître. Le rendez-vous chez le notaire a été vite expédié. Elle n’a rien appris qu’elle ignorait. L’homme était plutôt aimable, il l’a raccompagnée jusqu’au palier et lui a tendu les clefs en disant « Elle est toute à vous, mais si vous vouliez vous en débarrasser n’hésitez pas à venir me voir. »

Il n’avait rien dit sur le chat et elle n’avait pas pensé à lui avant d’être devant la porte. Pour les clefs, c’était facile. Il lui suffit de tourner la grosse clef noire dans la serrure pour que la porte en s’ouvrant grince un peu, laissant s’échapper une odeur surannée. C’est le seul mot qui lui vient à l’esprit et qui la fait sourire. Un tout petit perron, pour un petit chalet, des colombages désuets dont la peinture bleue s’écaille et tombe en petite croûte sur le sable accumulé dans les creux.

Lise regrette d’avoir mis si longtemps à trouver le courage. Elle s’est inventé des empêchements, des obligations. Ces atermoiements ont duré trois mois. « Grand-mère est morte sans m’attendre ». C’est là qu’est le problème de sa culpabilité, elle n’était pas en France et quand elle est rentrée c’était trop tard pour tout. Lorsque l’accident s’est produit, la voisine n’a pas su la prévenir ou n’a pas tenu à le faire. La voisine était l’amie auto-revendiquée car Grand-Mère en parlant d’Hélène disait « cette peste d’Hélène… » pour débuter son propos. Et le propos n’était jamais à l’avantage de cette peste. Pourtant elles allaient ensemble au club du troisième âge pour le scrabble ou le bridge. Enfin elles disaient cela mais elles s’y rendaient principalement pour le goûter et pour parler avec des gens vivants.

Lise ouvre les fenêtres mais persiste le parfum d’œillets et de roses fanés avec une légère présence de poudre de riz. A moins qu’elle ne se l’imagine, une sorte de nostalgie. Tout ce remue-ménage a, par miracle, fait réapparaître le chat qui vient se frotter contre ses jambes. « Tu as bien maigri depuis… » dit-elle en le caressant. Elle n’a pas réussi à dire au chat que grand-mère est morte, mais il doit le savoir. Les volets d’Hélène sont clos. Elle aussi est peut-être morte, ce ne serait que justice. Si elle n’est pas chez elle d’où vient donc le chat ? Quand elle était enfant il n’y a pas si longtemps il s’appelait Mimi et un dimanche de l’année dernière pour l’appeler Grand-Mère avait dit « Emile ». Pas une seule fois par erreur mais plusieurs fois jusqu’à ce que Lise demande une explication en disant « mais c’était le nom de Grand-Père! »

— C’est pour ça qu’il s’appelle ainsi, il est beau et moustachu.

Ça les avait fait rire toutes les deux, aux éclats.

Lise le caresse encore en l’appelant Emile Mimi, puis ouvre les placards pour trouver de la nourriture. Rien. Elle fait le tour des pièces, en vitesse, il n’y en a que quatre si on ne compte pas la salle de bain. Elle aurait dû venir avant, elle aurait dû venir avant qu’elle ne meure, elle aurait dû lui écrire plus souvent, une de ses rares cartes postales est coincée dans le cadre du miroir du salon, une carte de Corse. Une vague de tristesse déferle qu’elle essuie du coin de la manche. Une vilaine habitude la tançait Grand-Mère, une bien vilaine habitude.

Ce soir, elle dormira dans la chambre qu’elle occupait enfant. Elle pose son sac sur le lit sans le défaire, attrape un panier dans la cuisine et sort pour trouver du ravitaillement, au moins pour le chat. A son retour il est sur le perron et regarde la rue sans impatience.

La nuit qui tombe reste le moment le plus difficile. L’électricité est coupée mais Grand-Mère, en prévision des tempêtes d’automne a tout un stock de bougies dans le buffet. Certaines sentent bon avant même d’être allumées. Lise les dissémine partout dans la maison comme sa grand-mère le faisait. Je sais que quelquefois elle n’attendait pas la panne, c’était juste pour le plaisir. Roger, le père de Lise, la grondait lui disant que c’était imprudent, qu’à son âge elle risquait d’oublier, et quand la maison brûlerait elle ne devrait pas venir se plaindre. Et Lise et la Grand-Mère pouffaient en se moquant de son sérieux.

 

La nuit a été calme. Elle a fait le lit comme si elle comptait y dormir encore ce soir. Elle a mangé une orange et un morceau de gruyère après avoir donné des croquettes à Emile. Dans le panier elle à mis une bouteille d’eau, une pomme, un livre qu’elle a trouvé sur la table et qu’elle a déjà lu. De l’appentis elle a sorti le parasol à la toile fanée et elle est descendue vers la plage. Il n’était que dix heures et des enfants se croisaient en criant sur leurs chars à voile, ils se lançaient des défis comme si leur vie en dépendait mais aucun ne passa assez près pour qu’elle puisse le reconnaître. Etudiante, elle avait été animatrice au club Mickey et les enfants l’aimaient bien, surtout les garçons qui lui faisaient en fin de semaine des déclarations d’amour et des demandes en mariage. A-t-elle tellement changé que personne ne semble la voir ? A l’heure du déjeuner les enfants ont dû rejoindre leurs parents. La plage s’est vidée. Elle a croqué dans une pomme qui lui a échappé pour rouler dans le sable. Elle s’est dit qu’elle mangerait mieux plus tard. La régate ne se rapprochait pas et les voiliers semblaient immobiles comme un décor pour justifier de la chaleur sous son parasol rouge.

Lise a marché pieds nus jusqu’aux premières vagues de la marée descendante qu’elle a trouvées très piquantes puis elle s’est installée pour lire, sans conviction. Ses yeux sautaient des lignes puis se fixaient sur l’horizon.

— Excusez-moi, mademoiselle…

Elle n’avait pas envie de parler et depuis qu’elle était sortie de l’étude elle n’avait parlé à personne, sauf à Emile. Elle dit « Oui » d’une voix roque comme elle aurait dit non.

Elle regarde l’intrus de bas en haut, il est pas mal, il a l’air gentil, mais elle ne le reconnait pas. Il n’est pas du club Mickey, il n’est pas un de ces garçons qu’elle a côtoyés lors des fêtes de son adolescence. Non décidément elle ne le connait pas. Surtout que Léon, ce n’est pas un prénom qui passe inaperçu.

D’abord il a parlé debout les épaules et la tête penchées en avant comme un de ces échassiers de l’estuaire. Il lui a raconté comme une histoire avec des parents gentils mais collants, un jeune homme nommé Léon, lui, submergé par les questions qu’on lui pose, les trucs et les machins qu’il doit inventer pour calmer leur curiosité, envahissants, ils sont envahissants.

— Voilà pourquoi je suis venu vous parler. Je les ai abandonnés sur la promenade en leur disant que je vous connaissais. Ça me fait une pause car il faut que je tienne jusqu’à ce soir. Je prends le train pour Paris à 19.12 à la gare de Boulogne.

— Moi aussi je rentre ce soir et je m‘appelle Lise.

Elle se lève, ramasse ses affaires éparpillées, se rhabille et plie le parasol. Comme le vent a forci il propose de le lui porter et elle ne dit pas non mais pas oui non plus. « A tout à l’heure, nous voyagerons peut-être ensemble… J’aurai un chat avec moi. ».

Quand il rejoint la promenade d’où ses parents ne l’ont pas quitté des yeux, il se retourne et Lise lui fait de grands signes de la main.

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