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21 janvier 2020

L'essence d'un moment, Nathalie Blanchard

Piste d'écriture: saveurs et voyages

L’essence d’un moment

 

Nous avions traversé l’Atlantique pour la première fois de notre vie. Voyage rêvé et espéré depuis longtemps. Traverser l’Atlantique n’est pas rien, nos amis l’avaient fait avant nous, établis au Brésil. Pour eux, famille de voyageurs, vivre au Brésil après l’Ethiope et l’Algérie, avec leurs quatre enfants était de l’ordre du cours normal d’une vie. Une nouvelle fois ils étaient partis s’établir pour quelques années de travail loin de leurs familles. Ils aimaient ces aventures, ces expériences.

Il avait été convenu que nous les rejoindrions, pour un moment, une période de vacances. Ravis de nous accueillir, ils nous avaient préparé un circuit intérieur. Le Brésil est un continent à lui tout seul, on pouvait et on devait faire des choix, on ne pourrait certainement pas « tout voir ».

On a fait des kilomètres, en voiture, en avion de Sao Paolo à Iguazu, de Copa Cabana à Brasilia… et puis dans nos envies il y avait Bélem, comme une ville du bout du monde, comme une envie d’atteindre quelque chose de proprement extraordinaire, alors que l’ensemble de ce voyage était déjà hors de notre ordinaire.

Bélem représentait donc l’inconnu : nos lectures de romanciers brésiliens ne nous avaient pas encore emmenés jusque-là. Terra incognita dans l’embouchure de l’Amazone. L’Amazone, un nom magique qui sentait les bancs de la fac, Lévy Straus et les années 30, ou des images plus récentes d’une forêt en péril, victime de la prédation humaine et des profits financiers. Mais de Bélem, aucune représentation.

Nous y arrivâmes en avion et tout seuls. Nos amis avaient repris le travail et nous continuions notre périple sans eux, non sans leurs recommandations et conseils. A Bélem, un marché unique au monde nous était promis, avec toutes les amulettes et les gris-gris susceptibles de nous protéger pour au moins trois vies, ou de jeter un sort à nos ennemis. Un marché qui parle Amazonie, qui ouvre sur sa forêt, avec ses objets artisanaux, sa nourriture grasse et généreuse, grillades, beignets en tous genres, salés, sucrés, au poisson, aux fruits, proposée par des grandes femmes qui vous regardent dessous leur majesté. Et rient de leurs grandes dents blanches devant l’étrangère qui voudrait comprendre, savoir, mettre des mots sur tout. Y compris sur le plat que l’une d’elle me tend en m’invitant à goûter.

Bélem, un marché qui grouille de monde dès cinq heures du matin. Ca interpelle, ça crie, ça chante, ça joue de la musique. Entre deux allées une vieille femme a commencé à lentement lever un bras, accompagnant le musicien assis entre deux étals. Ils se sont trouvés, se regardant furtivement, et bientôt un ballet s’improvise. Fascination pour l’occidentale, cadeau de la spontanéité de la rencontre.

Bélem, marché étourdissant, trop grand pour nous, démesuré.  Nous sommes dépassés, presque envoutés et en même temps terriblement déroutés. 

Mais ce n’est pas ce marché dont l’image me vient en premier quand j’évoque Bélem.

A peine arrivés et déposé nos affaires à l’hôtel, nous découvrons qu’il est sur une place nommée « place de la République ». Nous en avons souri car des places de la République on en connaissait d’autres à travers le monde. Dont la parisienne, de notre jeunesse et des rendez-vous : Après la manif, on se retrouve à République ? La place de la République à Bélem ne comptait ni station de métro, ni platanes, ni marchand de journaux. Libérés de nos bagages à l’hôtel, nous avions eu envie d’une glace. Portemonnaie et mains dans les poches, nous sommes partis à la recherche d’un glacier. Prenant pied sur la place de la République, nous avons découvert au sol des fruits jaunes, juteux, sucrés. Je levai les yeux et découvris un arbre inconnu. L’ombre de la place de la République venait de manguiers épais, lourds, prodigues. Le sol était jonché de fruits éclatés dans leur chute et brillants au soleil. Il suffisait de se baisser pour ramasser, et pour déguster. Et accepter ensuite d’avoir les doigts collants.

Des années plus tard, lisant L’Art presque perdu de ne rien faire de Daniel Laferrière, alors qu’il y chante sa culture caribéenne, je retrouvai Bélem.

Bélem est une mangue.

Difficile après cette expérience de manger une mangue ailleurs, sous d’autres latitudes.

mangue

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