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28 mai 2020

Une babouchka en Patagonie, par Lysiane

Piste d'écriture: un personnage énigmatique et sa quête, à partir de "Le violon de Patagonie", de Luis Sepulveda,  tiré de Dernières nouvelles du Sud chez Métaillé en 2012, traduit par Bertille Hausberg. Illustré par le photographe franco-argentin Daniel Mordzinski. 

patagonie

Sur ce chemin solitaire où la route infinie semble rejoindre le ciel, nous n'avions croisé que de rares véhicules, souvent brinquebalants, des monticules de sacs et cartons entassés sur le toit.

L'un d'eux venait de nous doubler nous enveloppant d'un tourbillon de poussière ocre, et soudain, telle une apparition, une silhouette s'est matérialisée devant nous.

J'ai d'abord pensé à une babouchka, ces poupées russes toutes rondes qui en cachent d'autres toutes aussi rondes. Mais que viendrait faire une babouchka au sud du 42e parallèle ? 

 

En arrivant à sa hauteur, nous avons vu qu'il s'agissait d'une vieille femme, vêtue de plusieurs couches de vêtements, la tête ceinte d'un foulard qui faisait office de couvre-chef, de cache-nez, ou de voile pour se protéger de la poussière. Elle avait dû descendre du dernier véhicule croisé et portait deux sacs, l'un sur son dos, l'autre en travers de sa poitrine, son pas était ferme et décidé : cette personne savait où elle allait,

Nous l'avons saluée en lui demandant si elle avait besoin d'aide.  Comme beaucoup de Patagons, elle avait un visage dur et sec tanné par le vent. Elle a refusé sans un mot, nous indiquant de la main un chemin de traverse au bout duquel on distinguait les bâtiments d'une estancia,

Nous avons continué notre route jusqu'au village voisin où nous avons passé la nuit,

Au matin, nous avions repris notre chemin quand nous avons à nouveau croisé notre Babouchka, toujours aussi droite et sévère,

­ - On peut vous emmener Madame, ?

Après une légère hésitation, elle a bien voulu profiter de notre véhicule.

­ - Vous allez où Madame ?

Là encore un geste silencieux de la main : droit devant elle.

­ - Vous rentrez chez vous ?

­ - Non, je cherche mon fils. Et son visage s'est adouci, ses yeux sombres sont devenus plus brillants.

­ - Et où est-il ?

­ - Je ne sais pas, il travaille dans les fermes, le long de la route…

Ainsi cette vielle femme cherchait son fils dans les estancias situées tout le long de la careterra, cheminant à pied la plupart du temps et profitant des rares véhicules qui passaent.

Tous heureusement s'arrêtaient pour prendre les encore plus rares piétons. Ici la solidarité était une nécessité.

Au-delà du simple amour maternel, qu'est-ce qui pouvait motiver une quête aussi insensée, raisonnablement vouée à l'échec dans l'immensité patagonne ?

­ - Il y a longtemps que vous ne l'avez pas vu ?

­ - Deux ans.

Elle était à l'image des habitants de ce pays rude et sauvage : une taiseuse. Jamais elle ne rompait les moments de silence.

­ - Et pourquoi le cherchez-vous ?

­ - Je dois lui donner ça.

Et elle sortit de sa besace un petit sac de cuir très usé, lié par des cordelettes : une tabatière.

­ - Son père est mort, il faut qu'il rentre chez nous pour s'occuper des moutons,

Quel drame, quel conflit silencieux, quelle misère avait donc poussé ce fils à quitter les siens pour aller gagner sa vie dans les grandes estancias ?

Ou peut-être simplement une envie d'ailleurs,

Nous l'avons laissée à l'orée d'un autre chemin de traverse.

Mais tout au long de notre traversée il nous a souvent semblé voir resurgir dans la poussière, la petite silhouette de la babouchka du 42e,

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