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30 novembre 2020

La fugue, par Florie

Piste d'écriture: présenter un personnage (ou nous faire comprendre son état d'esprit) en usant de listes ou d'énumérations.

« Léo ! »

Le cri de maman sembla faire trembler la maison toute entière. Ça y était, songea Clara, quatre ans, en glissant un œil dans l’entrebâillement de la porte de sa chambre pour assister à la suite des événements, son frère avait encore trouvé le moyen de se faire gronder. Léo, six ans, petit blondinet vêtu d’un pantalon rouge et d’un tee-shirt blanc maculé de tâches brunes d’origine douteuse, apparut au bout du couloir, tête basse, regard penaud.

« Qu’est-ce que tu as encore fait ? » s’égosilla maman en s’avançant vers lui, l’air menaçant.

Constatant que son fils ne répondait rien, elle le saisit par la main et l’entraîna vers le salon. Cette fois, Clara dut glisser la tête et les épaules entre la porte et le chambranle pour parvenir à voir la suite.

 

A l’entrée du salon, maman et Léo venaient de s’arrêter face au mur couvert de papier peint rose pâle.

« Regarde ce que tu as fait ! On ne pourra jamais le récupérer ! »

Sur le mur, un bonhomme était dessiné et, au vu de la couleur, Clara devina que l’encre utilisée était probablement du Nutella.

« Mais enfin, qu’est-ce qui t’a pris ? »

Léo bredouilla quelque chose d’incompréhensible. Clara devait admettre qu’elle ne comprenait pas trop : il était franchement très réussi, son bonhomme, on reconnaissait même une casquette sur sa tête et un ballon dans sa main. Peut-être que ce n’était pas trop malin de jouer avec la nourriture, mais enfin le résultat était du plus bel effet.

« Tu es puni, poursuivit maman, toujours aussi furieuse, tu vas t’enfermer dans ta chambre et je ne veux plus te voir en sortir avant l’heure du dîner. Quant au Nutella, tu en es privé pendant une semaine. Allez, file ! »

Léo tenta bien de protester un peu, puis de pleurnicher, mais dans ces moments-là, maman était inflexible et il finit par rejoindre sa chambre, yeux baissés, en trainant ses pieds dans leurs pantoufles Mickey.

 

Clara décida qu’il fallait agir. Il était grand temps pour son frère et elle de quitter la maison et d’aller faire leur vie dans un endroit où l’herbe serait plus verte. Elle avait son tricycle jaune avec un petit panier derrière la selle, Léo avait son tout nouveau vélo bleu, ils pouvaient partir en toute autonomie.

Résolue, la petite fille saisit son sac à dos lapin dans son coffre à jouet et se mit à le remplir consciencieusement. Elle ne pouvait se permettre d’emporter que le strictement essentiel. Elle y glissa sa chemise de nuit, une culotte propre et une paire de chaussettes qu’elle n’avait portées qu’un seul jour, Dadours sa peluche préférée, les cinquante centimes d’euro que contenait sa tirelire cochon et son nécessaire pour faire les bulles de savon. Puis, après s’être assurée que maman et papa n’étaient pas dans les parages, elle prit son sac et rejoignit discrètement la cuisine. Elle y prit deux mandarines, deux barres de céréales, son petit distributeur de bonbons avec la tête de Minnie, la salière et le pot de nutella et fourra le tout dans ses bagages. Cela lui semblait parfait. Il restait juste la place pour les affaires de Léo, s’il n’en prenait pas trop.

A pas de loup, elle se dirigea vers la porte de la chambre de son frère. En passant devant la salle de bains, elle réalisa qu’elle avait oublié des choses drôlement importantes et elle y fit une halte pour ajouter, dans la poche de devant du sac à dos, sa brosse à cheveux et le petit parfum que tatie lui avait offert lors du Noël précédent.

Puis elle se faufila dans la chambre du puni et referma sans un bruit la porte derrière elle.

En quelques chuchotements, elle eut tôt fait d’exposer son plan à son frère pour le tirer de cette maison de torture. Elle ajouta que, comme il était un garçon, il n’était pas capable de savoir ce qu’il devait emporter dans ses bagages et elle choisit pour lui son pyjama et un t-shirt de rechange, le sien était vraiment dégoûtant. Pas de sous-vêtements pour lui, les garçons pouvaient garder les leurs plus longtemps que les filles, c’était bien connu, et la place était limitée.

Léo se mit alors à insister pour emporter ses chaussons Mickey. Clara refusa tout d’abord catégoriquement, mais comme le garçon menaçait de ne plus vouloir partir et de tout dire à maman si on ne prenait pas ses précieux chaussons, elle décida qu’elle les rangerait directement dans le panier de son tricycle et lui ordonna de les emporter sous le bras.

Enfin, après avoir une nouvelle fois vérifié que la voie était libre, elle entraîna son frère dans le couloir, l’obligea à enfiler son blouson et ses baskets, chaussa elle-même ses bottines fourrées et mit son manteau rose et tous deux se glissèrent hors de la maison.

 

Le tricycle jaune et le vélo bleus attendaient tous deux sagement dans la cour, sous l’abri pour le bois. Léo alla ouvrir le portail, le petit portillon du côté suffisait largement, frère et sœur enfourchèrent leur véhicule et tous deux se mirent à rouler tranquillement vers la liberté.

 

Clara avait toujours pensé que c’était amusant et facile de partir à l’aventure. Léo et elle étaient des grands maintenant et puis ils étaient courageux, ça c’était certain. Combien d’autres enfants à leur place auraient-ils eu l’audace de tout quitter dans l’espoir d’un avenir meilleur ? En plus, elle avait été prévoyante, il y avait dans son sac tout ce dont ils pouvaient avoir besoin face à la rigueur du vaste monde. Non, vraiment, en refermant la porte de la maison derrière elle, elle n’était pas du tout inquiète.

Jamais elle n’aurait pu imaginer que l’univers entier pourrait se déchaîner contre deux enfants innocents comme il le fit ce jour-là.

D’abord, ce fut la bretelle de son sac à dos lapin qui la trahit. Elle avait à peine donné trois coups de pédale, elle n’était pas encore à mi-chemin entre l’abri pour le bois et le portail quand celle-ci céda, faisant glisser le sac de ses épaules. L’envie de pleurer fut immédiate et violente, son sac lapin était ce qu’elle avait de plus précieux au monde, mais il ne fallait pas pleurer, sinon son frère allait dire que c’était un bébé et qu’il fallait renoncer. Vaillamment, elle ravala ses larmes et fourra le sac à côté des pantoufles Mickey, dans le panier jaune de son tricycle.

Ensuite, il y eut le ciel, qui, alors qu’ils avaient à peine franchi le portail, décida de commencer à leur faire tomber quelques gouttes sur la tête. Léo suggéra qu’ils abandonnent, mais la petite fille, qui avait courageusement surmonté la déchirure de sa bretelle de sac, estima qu’il était hors de question qu’ils s’arrêtent pour un peu d’eau.

Puis ce fut la vessie de Clara qui décida de se mettre en travers de leur chemin. Il lui fallait absolument faire pipi, maintenant. Léo lui reprocha bien de ne pas y avoir pensé avant de partir, mais elle l’ignora. Elle ordonna à son frère de garder son tricycle et de se dissimuler derrière le mur, juste à droite du portail côté extérieur. Elle traversa le chemin qui passait devant la maison, s’accroupit derrière un buisson et fit sa petite affaire.

Enfin, le frère et la sœur purent repartir. Pourtant, ils n’avaient pas parcouru cinq mètres quand un autre problème se posa à eux.

Le chemin, avant de rejoindre la route, grimpait une côte assez raide et couverte de cailloux. Papa disait toujours qu’il faudrait songer à faire goudronner cet endroit, que ça abîmait les voitures, mais ce n’était pas encore d’actualité.

Léo, en prenant un peu d’élan, parvint sans difficulté à monter le raidillon. Mais le tricycle jaune, avec ses roues en plastique et son minuscule tour de pédale, était incapable d’une telle ascension.

Cinq fois, dix fois, appuyant de toutes ses forces sur ses petites jambes, Clara tenta l’entreprise. Mais au bout de quelques minutes, elle dut s’avouer vaincue.

 

Quelques minutes plus tard, les enfants étaient à nouveau dans leur chambre, les pyjamas sous leurs oreillers, les mandarines dans la coupe à fruit, le Nutella et les barres de céréales dans leur placard, la petite culotte dans son tiroir de commode… Papa et maman ne surent jamais que, ce jour-là, ils avaient bien failli perdre leurs enfants pour toujours.

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