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19 novembre 2022

Les Antigones d'Antigone... par Bernard Delzons

Dans le cadre de la ZAT (Zone Artistique Temporaire) du quartier Antigone de Montpellier nous étions invités à écrire un texte que nous aurait inspiré le personnage d’Antigone. Pourquoi pas le faire en souriant !

 Ici, tout le monde m’appelle Antigone, sans doute parce que je déambule les allées de ce quartier à longueur de journée. Tout le monde me connaît. Pourtant je ne suis la fille d’aucun roi et sûrement pas celle d’Œdipe. Personne ne se rappelle qui était mon père, quant à ma mère, elle m’a abandonnée quand j’avais quelques mois ! Par chance, j’ai été recueillie par une vieille dame qui s’est occupée de moi pendant quelque temps. Malheureusement, elle a été rappelée dans un monde que l’on prétend meilleur. Je n’oublierai jamais le corbillard qui l’a emmenée vers le mont Olympe, tiré par le cheval de Troie. Alors j’ai dû me débrouiller pour survivre à tout ce qui peut arriver à une adolescente qui se retrouve, brusquement à la rue.

À vos yeux écarquillés, je vois que vous êtes perdus. Qui est-elle, pensez-vous ?   

Mais, je suis la petite chatte noire, avec le bout des pattes blanc, que vous avez aperçue, un matin, un soir ou peut-être la nuit, dans le quartier.

J’aime particulièrement les jours de marché, quand j’arrive à quémander suffisamment de nourriture chez le poissonnier ou le boucher, pour ne pas avoir à courir après les souris. Les autres jours, je traine autour des restaurants qui finissent souvent par me servir une assiette pleine de victuailles. J’ai mes adresses préférées, là où je suis le mieux reçu : « Chez Isabella », un restaurant grec, ou mieux encore là où c’est « Simplement Bon ».

Pendant les beaux jours, je passe de longues heures dans les arbres, j’observe ce qui se passe à terre et je me promène tard le soir quand les allées commencent à se vider. J’aime beaucoup l’allée de Délos où je retrouve, parfois, une vieille copine.

L’hiver, j’essaie de me faufiler par une porte entrouverte pour me mettre à l’abri un moment et si possible une nuit, le plus souvent sur la place Dionysos.

J’ai mes entrées à l’ADRA, une association où l’on peut faire presque tout sauf peut-être apprendre à tricoter. Quand elle est dans le bureau, Chantal me laisse ronronner sur ses genoux pendant qu’elle travaille sur son ordinateur. J’aime bien aussi les ateliers de peinture de monsieur RAFIGHI. Je sers parfois de modèle, il me donne alors quelque chose à manger. Mais quand même, il me fait très peur quand il parle de son chat d’Iran. Parfois il s’énerve. Je ne comprends pas quand il parle de « chat d’or ». Même place du Nombre d’Or, je n’en ai jamais croisé un comme ça.

C’est plus calme dans les ateliers d’écriture de Madame LILIN, place de Thèbes. On me laisse tranquille si je ne fais pas de bruit. Mais je n’aime pas du tout quand Édouard, un de ses élèves, invente des histoires dans lesquelles les chats parlent. Que peut-il bien savoir de la vie d’un chat, celui-là ?

 

Je vous ai expliqué comment je trouvais ma nourriture, mais ce n’est pas le pire, il y a bien sûr les gamins qui cherchent à vous attraper, mais en haut de mon arbre je suis assez tranquille. Il y a les pigeons avec qui il faut batailler pour un morceau de pain, il y a les chiens qui vous poursuivent, mais le pire ce sont les matous qui pensent que tout leur est permis. Innocente, je m’étais laissée approcher par un félin au regard enjôleur, mais il m’a sauté dessus et hop il m’a… violée, c’est comme ça que vous dites, non ? Ça m’a servi de leçon, maintenant c’est moi qui décide, si je ne veux pas c’est Non ! « Miou-Too », nom d’un chat !

Je vois que vous êtes incrédule, vous pensez qu’il n’y a que des chats de salon dans ce quartier. Mais non, nous sommes nombreux et nous nous nous réunissons certains soirs. À vrai dire, nous n’acceptons que les filles, à l’exception de Minet, un jeune homosexuel. Nous avons mis en place un système de défense contre les mâles trop entreprenants.

 

Et puis, un jour tout a changé, il y avait sur un banc une jeune fille, elle avait l’air perdue, effrayée peut-être, je me suis approchée et je me suis couchée sur le banc à côté d’elle. Elle fit, d’abord, comme si elle ne me voyait pas. Alors je me suis mise à ronronner un peu plus fort et elle a, enfin, tourné la tête. Je vis qu’elle pleurait. Elle avança sa main sur mon pelage et commença à me caresser, elle sentait bon. Alors je me suis rapprochée et je grimpai enfin sur ses genoux. Elle se mit à sangloter.

Elle s’était enfuie de chez elle, sa famille voulait la marier à un homme aussi riche que libidineux ! Même ses frères ne l’avaient pas défendue. Elle ne savait pas où aller. Elle ne voyait pas d’autre solution que de mettre fin à ses jours !

Je ne pouvais pas laisser faire ça. Je me suis dressée sur mes pattes, le poil hérissé, et j’ai commencé à sauter en l’air. Elle ne comprenait pas, mais soudain elle se mit à sourire… Au même moment, je vis un homme que je connaissais, c’était un juge pour enfants qui, souvent le week-end, se promenait avec son chat sur son épaule. Je sautai par terre et je me précipitai vers lui, je m’accrochai à ses jambes.

Un autre m’aurait sûrement tapée, mais lui se baissa et me caressa. Alors tout en miaulant et en le regardant, je l’entraînai vers le banc où était assise la petite jeune fille. Il m’avait suivie. Quand il aperçut son visage plein de larmes, il s’assit près d’elle et avec douceur, il lui fit raconter son histoire.

Il ne pouvait la prendre chez lui, on aurait pu l’accuser de mille perversions. Mais il téléphona, puis continua à parler avec la demoiselle. Une bonne heure plus tard, deux jeunes femmes arrivèrent. Il leur expliqua la situation plus en détail qu’il n’avait pu le faire au téléphone. Mais elles en savaient suffisamment pour avoir déjà cherché et trouvé une famille d’accueil. Le juge promit de continuer à s’occuper de cette jeune fille. C’est seulement alors - il n’y avait pas encore pensé – qu’il lui demanda son nom. Tranquillisée, la jeune fille lui répondit en riant: « Mais je me prénomme Antigone ! »

Elle savait que son vrai nom était imprononçable pour un Français, aussi, elle lui tendit un papier où elle l’avait griffonné. Avant de s’éloigner avec les deux jeunes femmes, elle lui serra la main, des larmes, de soulagement cette fois, dans les yeux.

Je ne fus pas oubliée : elle me prit dans ses bras et me fit un baiser sur la tête, j’en frissonne encore quand j’y repense. Avant de disparaitre, elle se retourna une dernière fois.

Le juge se tourna vers moi et soupira en souriant : « Et toi, comment va-t-on t’appeler ? Pourquoi pas Antigone aussi, ça t’ira très bien. » Puis il ajouta : « J’ai perdu mon chat Prosper, si tu veux, suis-moi. » Il se leva et s’éloigna, mais il se retourna et me fit signe de la main de le suivre. Je descendis du banc et je l’ai accompagné. Il savait très bien que si je le suivais, c’était mon choix.

 

Depuis je vis au tribunal, je suis nourrie, chauffée et j’ai du travail pour éliminer toutes les souris qui se régalent des dossiers poussiéreux de l’endroit. Le juge a une assistante, mais de nous deux, je crois bien être la plus greffière. Elle passe beaucoup de temps à se vernir les ongles des mains et parfois des pieds, et ensuite, il faut le temps que ça sèche !  Il semble qu’elle n’a aucune estime pour la gent masculine à l’exception sans doute de mon juge.

Un jour, après l’audition d’une jeune femme que son conjoint avait laissée sans ressources avec deux enfants, elle avait grommelé : « Tous les mêmes, ils sont plus rapides pour vider leurs bourses que leur portefeuille ! »

Un jour que le juge interrogeait un jeune délinquant, j’ai eu la mauvaise idée de passer devant lui. Le garnement m’a donné un coup de pied. Furieuse, j’ai attendu qu’il regarde le juge et j’ai pissé dans le gobelet qu’il avait posé par terre à ses pieds. Quelle joie de l’observer quand il a voulu boire son café ! Il faut savoir se faire respecter, saperlipopette !

 

Le juge appelait son assistante mademoiselle Bernard, mais, pour tout le monde au tribunal, elle était Sara, alors que son prénom était Émilie. Moi, il m’a baptisée « Ma Chat ». Le week-end, je l’accompagne chez lui. C’est ainsi qu’un jour, j’ai découvert qu’il avait une profonde admiration pour Macha Méril ! C’est vous dire si je me sens respectée, maintenant.

 

Bernard Delzons

 

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Commentaires
R
Mme Lilin, M Rafighi, Chantal... On croise toute la famille d'Antigone dans le délicieux texte de Bernard. Amicalement. Roselyne
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