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21 décembre 2022

Les petites peurs de Martin, par Bernard Delzons

Piste d'écriture: les rituels et les peurs

Martin est un petit garçon qui va vers sa septième année. Cet été encore sa famille va l’amener dans cette grande maison. Généralement il y retrouve des cousins de son âge avec lesquels il partage les jeux dans le grand jardin et les chahuts dans la chambre qui leur sert de dortoirs. Cette maison appartient à une tante de son père, mademoiselle Louise pour les étrangers, mais Tatie Lou pour ses neveux. Seulement cette année, il n’y aura pas d’enfants de son âge et avant même que cela n’arrive, il redoute le moment où on lui dira : « Martin, il est temps d’aller te coucher, tu es grand maintenant, tu peux monter tout seul dans ta chambre. » Il sait qu’il ne pourra pas implorer, même d’un regard, sa mère, sinon ses frères se moqueront de lui.

À l’extérieur l’enclos est magnifique, il trouvera toujours une distraction, même seul, en jouant avec ses petites voitures, ou en inventant des personnages qui l’accompagneront dans ses jeux. Il y a aussi la gardienne, une dame qui s’occupe du jardin potager et qui approvisionne en légumes la grande maison. Elle a un gros chien, une sorte de saint-bernard, un chat, et une poule qui la suivent partout quand elle se déplace. Elle a aussi d’autres poules et des lapins, mais ceux-là ont leur propre vie. Martin est toujours là quand c’est l’heure d’enfermer tout ce petit monde avant la nuit pour les protéger des renards.

La nuit justement tout est différent. Martin ne sort jamais seul, il veille à ce qu’il y ait toujours un adulte autour de lui. Il ne supporte pas de voir les ombres des arbres dont les feuilles secouées par le vent sont autant de personnages maléfiques dans son imagination d’enfant. Mais à l’intérieur, ce n’est pas mieux. Cette maison est une vieille bâtisse mal entretenue, faute de ressources suffisantes. Tante Lou n’a que les fermages de la ferme pour vivre. Aussi chaque famille qui vient pour l’été lui verse une sorte de loyer pour le temps des vacances, il y a le coût des repas, le salaire de la petite bonne, le lavage des draps et du petit linge par une femme du village voisin.

Sa chambre est au deuxième étage, il faut parcourir un grand couloir, prendre un grand escalier en prenant garde de ne pas se frotter aux murs, couverts d’une peinture rouge-ocre qui s’agrippe à vous comme une sorcière qui vous aurait touché de ses mains couvertes de sangs. Il n’y a qu’une petite ampoule par palier pour éclairer le tout, aussi quand on avance, des ombres  vous suivent, et plus encore, il faut passer devant des recoins mal éclairés d’où pourraient sortir quelques êtres maléfiques. La chambre est assez grande, le papier bleu défraîchi lui donne un aspect plus paisible quand on a enfin réussi à allumer. La pièce est grande avec quatre lits, le sien, bien sûr, mais aussi celui de ses frères et peut-être un cousin, malheureusement ils ne viendront se coucher que beaucoup plus tard. Martin est le dernier de la famille, beaucoup plus jeune que les autres.

À cet étage, si on n’a pas pris la précaution de fermer les fenêtres à la tombée de la nuit, on est certain de croiser des chauves-souris attirées par la lumière. Martin ne les aime pas, elles sont comme des fantômes qui se promènent à la recherche de proies. Il imagine qu’elles vont lui sauter à la gorge pour boire son sang, comme les vampires le feraient. Pourtant il sait très bien qu’elles ne mangent que des insectes, son père le lui a expliqué, mais c’est plus fort que lui, il en a peur.

Dans la voiture qui les amène dans cette maison, Martin s’est préparé un plan de bataille pour limiter au mieux la peur de la traversée de cette bâtisse de malheur. Juste avant le dîner, il montera discrètement dans les étages et il fermera toutes les fenêtres, se débarrassant ainsi de ces souris volantes. Il est ami avec le chat de la gardienne et il le fera entrer dans la maison puis monter jusque dans la chambre où il le retrouvera le moment venu, il gardera un morceau de son goûter pour le partager avec la boule de poils grise. Enfin, il laissera la lumière allumée jusqu’à l’arrivée de ses frères et cousin.

Seulement rien ne se passa comme il l’avait prévu… À son arrivée, après avoir embrassé tante Lou, Martin alla saluer Anna la gardienne. Le chien était là, la poule aussi, mais pas le chat. Il y avait seulement un chaton adorable qu’il voulut caresser, mais le chien s’interposa pour lui signifier de ne pas le toucher.  La femme lui expliqua qu’un soir la chatte n’était pas rentrée comme à son habitude et que depuis, elle ne l’avait pas revue. C’était surprenant puisqu’elle avait ce petit chat. Alors maintenant, la femme lui donnait le biberon et le chien le surveillait comme si c’était son propre chiot.  Martin comprit qu’il n’aurait pas ce compagnon de fortune pour lui tenir compagnie.

Le soir venu, il fit comme il l’avait prévu. Mais en montant se coucher, il dut se rendre à l’évidence: quelqu’un avait réouvert une fenêtre. Il courut pour se précipiter dans la chambre pour échapper à deux chauves-souris, l’ombre quelles faisaient sur les murs lui paraissait gigantesque. Quand il ferma la porte, soulagé, il chercha à tâtons l’interrupteur pour allumer. Mais quand la lumière fut, horreur: là aussi, la fenêtre était ouverte. Avant qu’il n’ait eu le temps de la fermer, la bestiole entra et se mit à tournoyer dans la pièce aveuglée par la lumière. Martin aurait voulu pleurer, mais il n’y arrivait pas tant il avait peur. À ce moment il entendit des pas dans le couloir, puis des bruits bizarres comme un essoufflement saccadé. Les sons se rapprochaient, les pas se faisaient plus sonores. Il sentit que la chose grattait à la porte. Il vit la poignée bouger. Une plainte et une sorte de gémissement retentirent. Martin poussa un cri et cette fois éclata en sanglot.

Alors la porte s’ouvrit brusquement, c’était son frère Gabriel. Celui-ci commença par se moquer, mais voyant le désarroi du gamin, il s’assit à côté de lui et là il le consola doucement en lui racontant l’histoire d’Alice au pays des merveilles. Il fallut un long moment avant que Martin ne s’endorme. Alors l'aîné l’allongea dans son lit, le couvrit pour qu’il n’ait pas froid, éteignit la lumière et redescendit au pays des adultes en se gardant bien de raconter la terreur qu’il avait provoquée chez son petit frère.

 

Cette histoire, personne ne l’aurait apprise si Martin n’avait pas décidé de la raconter au chien de la gardienne, pensant qu’ils étaient seuls. Mais il y avait quelqu’un qui avait tout entendu. Le soir suivant à la veillée, son père qui avait été mis au courant voulut sermonner Gabriel. Mais quand Martin comprit ce qui allait se passer, il se précipita vers son frère, s’assit sur ses genoux et l’embrassa. Devant cet élan d’affection du petit pour le grand, le père se tut. Mais ce soir-là on l’installa dans une chambre à côté de celle de ses parents. C était la lingerie de la maison, il y avait un immense placard dans lequel Tante Lou rangeait l les draps, les nappes... Les murs étaient bruts sans peinture, on y avait mis deux lits d’enfants. Martin s’y sentit en sécurité, d’autant plus que sa mère l’accompagnait maintenant, en lui récitant des fables de La Fontaine.         

 

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