Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
28 mars 2023

Pessimiste heureux, par Nyckie Alause

Armantine C. lève la tête et me lance comme un défi. « Finalement c’est bien d’être pessimiste, on a plein de belles surprises… »

Je ne suis pas un pessimiste, non. Il est vrai que les microbes, les bactéries, la nuit qui tombe, certains nuages, le tonnerre ou une porte qui claque, m’inquiètent. D’ailleurs j’évite aussi, si c’est possible les infos télévisées, les gros titres chez ce marchand de journaux, Gérard, qui, quand je passe devant sa porte ne manque pas de m‘interpeler « Bernard, tu as vu les dernières décisions du gouvernement russe ? Bernard, et le tremblement de terre en Nouvelle Ecosse ? Et le glissement de terrain en Italie Bernard ? »

Je ne peux faire comme s’il n’existait pas alors que nous avons fréquenté la même école élémentaire et partagé quelques secrets. Donc j’acquiesce en prenant un air entendu. Je redouble de prudence en traversant la rue, j’évite absolument le contact physique dans les transports… Je suis un champion de l’évitement.

Je reviens à Armantine C. Comment se fait-il qu’une telle femme ait aménagé sur mon pallier alors qu’avant elle l’appartement était occupé par une famille de cinq personnes et un chien. Ce n’est pas un appartement pour une célibataire, il est trop grand, trop cher, trop beau certainement pour une femme seule. Et ce nom dont elle est affublée n’est-il pas ridicule pour une femme de son âge ?

— Vous faites erreur Armantine C., je ne suis pas pessimiste, non ! Prudent peut-être.

Entre voisins on peut se dire les choses. Si j’ai remarqué que l’ascenseur fait un bruit étrange, je peux le faire remarquer sans qu’elle se moque de moi. Car moi je peux descendre l’escalier à pied mais elle, hein ? Elle fera comment avec son fauteuil roulant.

Elle sera bien incapable de s’en sortir seule, elle viendra quêter de l’aide à ma porte et je serais obligé, moralement obligé de lui porter assistance. Comment je m’y prendrai quand l’ascenseur tombera en panne ?

Elle toquera à ma porte, à mi-hauteur forcément. Je comprendrai immédiatement que c’est elle. Je tarderai à ouvrir, forcément. Elle me dira « l’ascenseur est en panne » et je sourirai. « Oui ? » comme si je n’y croyais pas, faisant l’étonné, attendant qu’elle exprime un regret ou au minimum une excuse pour n’avoir pas été plus sensible à mes mises en garde.

« J’ai un rendez-vous, me dira-t-elle, important, pour le travail. Le taxi m’attend en bas… »

Elle laissera sa phrase en suspens s’attendant à ce que j’agisse en conséquence. Et c’est sûrement ce que je ferai. Je ne lui dirai pas qu’il vaudrait mieux pour elle vivre au rez-de-chaussée, ou dans un immeuble moderne doté de plusieurs ascenseurs, ou ailleurs, ce serait mieux ailleurs. Pourtant c’est ce que je pense. Bien sûr j’ai gagné depuis le départ de la famille une certaine tranquillité, plus de cris d’enfants, d’aboiements de chien, de disputes, de chocs contre les murs, de pas dans le couloir mitoyen qui disons le ne doit pas être une piste de course. Plus non plus de soirée bruyante qui s’étire jusqu’au matin, soirée où on ne m’a jamais convié. Pourtant entre voisins… mais non j’aurais été forcé de refuser par crainte de devoir rendre comm on dit.

Et une fois encore je céderai.

« Dois-je emporter le fauteuil en premier ? Ou vous ? »

Armantine n’est pas une grande femme. Je dois pouvoir en la portant sur mon dos descendre les trois étages. Je suis bien entraîné. Chaque été je pars trois semaines en randonnée « survie » avec tout mon barda sur mon dos. Un vrai routier et je n’ai peur de rien, en été. Quand je reviens en ville après cette aventure pendant plusieurs semaines rien ne m’effraie. Je parle avec Gérard le kiosquier qui lui ne quitte jamais la ville. L’été va, jusqu’au bout de l’été. La politique est en vacances et les journalistes en bord de mer. Il nous reste à échanger sur les souvenirs d’enfance et les résultats sportifs… Alors je suis prêt.

Je crois que j’apporterai le fauteuil en second. Elle m’attendrait sagement où je l’aurais installée dans le hall sur la banquette face à la loge. Elle me remercierait pour le fauteuil, le dérangement et ma gentillesse.

Enfin quelqu’un se rendant compte que je suis gentil, sans être faible pour autant. Après cela, quand je la mettrais en garde, elle porterait plus d’attention à mes propos, non ?

Aïe ! J’ai entendu la grille de l’ascenseur se fermer dans un claquement inhabituel et sisnistre, à mon étage. Enfin à notre étage. Je le savais ! La voisine doit être coincée dans la cage ! Le moteur électrique à dû rendre son dernier souffle. La lumière de l’escalier vient de s’éteindre à son tour, tout part en vrille. Et moi qui comptais sortir faire des courses, je n’ose plus. Non, disons que j’attends un peu. J’ai une lessive à étendre, je crois que le soleil est prévu pour toute la journée. Bon même si, faire confiance aux prévisions météorologiques, est une gageure.

Toc, toc, on vient de frapper ! A ma porte ou en face ? L’angoisse m’étreint car je n’attends personne, ni à cette heure, ni à une autre.

C’est chez moi. La concierge peut-être ? Une épidémie, un accident, un incendie, un quêteur … ?

Quand un papier plié glisse sous la porte, je me baisse pour le saisir et me resaisis. Courage mon bonhomme me dis-je, c’est bientôt l’été. Et je déverrouille et ouvre avec une certaine brusquerie.

Devant moi, ma voisine est debout ! Oui, debout ! Sur ses deux pieds, la main appuyée au chambranle. Je l’avais imaginée plus grande…

— C’est un problème d’ascenseur ?

— Pas du tout ! me répond-elle en jetant un coup d’œil de connivence avec la machine arrêtée à notre étage.

Alors Armantine C. se tourne vers moi, me regarde dans les yeux et me lance comme un défi. « Finalement c’est bien d’être pessimiste, on a plein de belles surprises… »

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité