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4 avril 2023

Le train de 8h57, par Bernard Delzons

Piste d'écriture: Il s’agissait de raconter une rencontre liée au train à partir de deux textes : La passagère du siège d’en face de Serge Joncour ou Le Bonheur d’aiguillage de Jean-Marie Laclavetine

 J’avais décidé d’aller à Barcelone et d’y aller en train, pour ma tranquillité d’esprit. Je sortais d’une rupture qui s’était mal passée et j’étais, encore, pas mal perturbé. Aussi le train m’était-il apparu une bonne alternative au trajet en voiture.

Le départ était prévu à 8h57 pour une arrivée trois heures et demie plus tard. En arrivant à la gare, j’ai réalisé que je voyagerais avec la RENFE, la compagnie espagnole. Loin de me déplaire, je me réjouis de cette situation qui donnerait un peu d’exotisme à ce déplacement. Le personnel de bord parlait parfaitement français, mais avec ce léger accent que je trouvais délicieux. Les annonces se faisaient en espagnol, en catalan, en français et en anglais.

En face de moi j’avais une jeune femme avec un petit garçon. Nous n’avions pas quitté Montpellier depuis quelques minutes que je découvris un quatrième passager que je n’avais pas encore vu. Il s’agissait d’un chien, un beagle, qui ne tarda pas à s’approcher pour me renifler. Je l’éloignai comme je pus et je me plongeai dans la correction des copies que j’avais apportées. Je suis professeur de français et ces copies étaient l’œuvre d’une classe de seconde d’un lycée de Montpellier. Je leur avais demandé de raconter un voyage qu’ils avaient effectué.

 Absorbé par mes lectures assez désespérantes, il faut bien le dire, je ne m’étais pas rendu compte que le jeune chien était venu se blottir tous près de moi, le museau confortablement installé sur mes chaussures. Je venais d’écrire une appréciation sur un texte que j’avais fini de lire : « dommage de ne pas avoir profité de ce voyage pour raconter ce qui se passe dans le wagon et décrire les autres voyageurs. Rien de comparable entre ce qui se passait dans les années cinquante, où les gens sortaient de leur panier un ensemble de victuailles plus alléchantes les unes que les autres et aujourd’hui, où tout un chacun est collé sur un ordi ou un téléphone ! »

 Comme le font les enfants, qui n’ont pas encore les règles de vie en société, le petit garçon m’interpella brusquement. Je levai la tête, pour apercevoir la sienne, tout ébouriffée, des cheveux qui tiraient vers le roux, et un visage couvert de taches de rousseur. Il me fit un large sourire, quand il vit que je le regardais. La jeune femme, certainement sa mère bien qu’elle soit brune et la peau mate, me lança un regard d’excuse, mais se replongea aussitôt dans son smartphone. Elle avait les cheveux tirés en arrière. Je lui trouvais un air fragile sans trop savoir pourquoi.

-                What is your first name?

J’avais bien entendu compris la question, mais en espérant interrompre cette conversation débutante, je répondis en français.

-                Lucien, je m’appelle Lucien.

Hélas le garçon parlait le français, peut-être aurais-je dû m’exprimer en espagnol, mais là encore, je pensai que le jeune prodige devait aussi parler cette langue, la langue de sa mère sans aucun doute. Elle avait levé la tête, avait souri, puis s’était replongée dans son téléphone. Ils ne se ressemblaient pas, mais leur sourire était identique.

-                Moi, c’est Alfonso, me dit le garçon en me tendant la main, puis il ajouta, j’ai sept ans et nous allons voir ma grand-mère.

Je haussai les épaules, pris sa main tendue, et me replongeai aussitôt dans mes corrections. Je sentis alors le museau du chien qui s’était rapproché de mes genoux ; il me regardait avec, oserais-je dire, affection. Sans réfléchir, instinctivement je lui caressai la tête. Immédiatement je compris que je n’aurais pas dû. C’en était fini de ma tranquillité !

-                Lui c’est Doggy, c’est mon chien.

Je jetai un regard désespéré à la mère, espérant qu’elle demanderait à son chérubin de fils de me laisser tranquille, ou qu’elle tirerait sur la laisse, pour ramener l’animal de leur côté. Je suis sûr qu’elle m’avait compris, mais en guise d’intervention, elle s’adressa au gamin en espagnol pour lui demander s’il voulait un gâteau. Il ne manquerait plus que ça, pensai-je en me souvenant que ce mot signifiait « chat » en espagnol.

-                Pourquoi tu es tout seul ? Si au moins tu avais un chien…

-                Jeune homme, j’ai des copies à corriger, il faut me laisser travailler.

-                Mais c’est les vacances, c’est pour ça qu’on va en Espagne.

Je ne répondis pas, et comme il ne réagissait pas, je repris mes corrections et annotai la copie suivante : « de bonnes idées, mais la construction du texte laisse à désirer, trop de fautes d’orthographe. »

-                Je peux m’assoir à côté de toi, je ne ferai pas de bruit. Mon papa est anglais, ma maman est espagnole, mais on vit à Toulouse. « Dad » fait des airbus.

Je regardai la jeune femme pour la supplier d’intervenir. Elle était blanche comme un linge. Je n’avais pas fini ma phrase pour lui demander si elle se sentait mal, que la malheureuse s’écroulait sur son fauteuil.

Le jeune garçon poussa un cri, secoua sa mère : « mama, mama »

Je me levai, demandant s’il y avait un médecin dans le wagon, ou si quelqu’un pouvait aller chercher le contrôleur, pendant que j’essaierais de calmer l’enfant.

Je le fis assoir à côté de moi, et lui demandai si sa maman avait déjà eu des malaises comme ça. Il ne comprenait pas le mot, il fallut expliquer. J’appris que oui, et qu’elle allait en Espagne pour se faire soigner, pendant que son papy et sa mamy s’occuperaient de lui.

Le contrôleur arriva. Il m’expliqua que le mari de la jeune femme lui avait donné un document dans le cas où justement, elle ferait un malaise. Ensuite, le médecin s’annonça, et examina la jeune femme.

J’avais emmené le gamin et le chien sur la plateforme. Le contrôleur nous y a rejoints. La jeune femme avait repris connaissance. Il fallait lui porter à boire et qu’elle prenne un médicament. Il fut décider de l’installer sur un fauteuil pour handicapé qui permettrait de l’allonger.

Quand je n’inquiétai de savoir qui allait s’occuper de l’enfant et du chien, je compris que ce serait moi. Nous venions de quitter Perpignan et nous allions sans doute bientôt passer la frontière. Je rangeai mes copies, installai le gamin à côté de moi. Doggy sauta sur le siège entre nous deux. Alors je fis la seule chose que je savais faire, je leur ai raconté une histoire.   

Quand j’étais étudiant, à la rentrée après les vacances de Noel, il y avait tellement de monde que la compagnie des chemins de fer avait ajouté un vieux wagon. En son centre, il y avait un poêle à charbon qu’il fallait recharger de temps à autre. C’était l’occasion d’entamer une chansonnette. Il est vrai que nous étions une majorité de jeunes de retour à Toulouse pour le deuxième trimestre… Dans la chanson, j’ai ajouté un chat, un canard, un perroquet, un petit cochon et même un petit garçon qui faisait de bêtises     

 

 

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