Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
2 mars 2007

Présentation de "Cléopastre" par M. Séraphin Libellule

                                       LIBELLULE

                                                                                                                                                          [Illustartion de l'auteur]

PREFACE
de M. Séraphin LIBELLULE
Professeur de Rhétorique au lycée Papillon de Romorantin.
Palme d'or des élytres en éventai
l

 

    « CLEOPASTRE » aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain nous
interpellle. De cette pièce oubliée du Grand siècle, il ne reste que
des fragments: six scènes, constituant le premier Acte, voilà qui est
peu: les trois premières ont été publiées en 1937 par Paul REBOUX et
Charles MULLER (« A la manière de... », éd. Bernard Grasset, pp. 7 à
18). Depuis lors, trois autres scènes ont été miraculeusement tirées de
la poussière d'une bibliothèque d'où elles n'auraient peut-être jamais
du sortir! Le lecteur jugera... Mais patience! Peut-être d'autres actes
seront-ils un jour exhumés, éclairant d'un nouveau jour l'ensemble de
cette magnifique composition.

    Car, au peu qu'on puisse en
juger, l'anonymat du texte dissimule un grand auteur. Il marie la
rigueur classique à l'outrance baroque. Le discours exagérément
métaphorique, une pointe de gongorisme (recherche du mot rare et
précieux) peuvent déconcerter le lecteur contemporain, l'image prête à
sourire lorsque elle est poussée à l'extrême. Par exemple « le feu
glacé », chaud dedans, froid dehors, évoque pour nous de façon
réjouissante une omelette norvégienne. N'oublions pas d'ailleurs le
glissement sémantique accentué par un strict respect de l'orthographe
du XVIIème siècle. Des termes ont changé de sens, certaines assonances
nous paraissent équivoques, le recours au jeu de mots, voire au pur et
simple calembour (« clef au pâtre », « met à Tarse »), seraient
indignes du grand Racine, s'il y avait une quelconque preuve qu'il se
fût commis dans cette oeuvre – Heureusement, rien n'est moins sûr!

    Quoi qu'il en soit, l'étrangeté baroque de « Cléopastre » trouve son
essence dans les métaphores recherchées, ces concepts qui se transmuent
en images, la dislocation de la phrase qui emprunte parfois les dehors
de la syntaxe latine. Subtile et rigoureuse, la métrique, à l'imitation
de la musique de scène (les intermèdes musicaux qui ponctuent la pièce
sont inspirés d'oeuvres du Grand Siècle... ou d'un peu plus tard)
impose son empire au corps d'un texte, que la combinaison des rimes
module de manière soutenue.
    Quant à la règle des trois unités, si chère au théâtre classique, nous la trouvons ici rigoureusement respectée.

Unité de lieu:

   
« La scène se déroule »
, nous est-il sobrement dit, « à Alexandrie,
dans les cabine
à Alexandrie,
dans les cabinets qui sont entre les appartements d'Antoine et ceux de
Cléopâtre. »
Essayons d'imaginer plus en détail ce fabuleux décor:
    La somptuosité du palais de Lochias (où réside Cléopâtre) nous est
décrite dans ce passage de Lucain: « Les plafonds, relate cet auteur
ancien, sont sculptés et marquetés; leurs poutres sont dissimulées sous
une carapace de feuilles d'or. Les murs et les piliers, du plus beau
marbre, encadrent des panneaux d'agate et de porphyre. Certaines salles
sont dallées d'onyx et d'albâtre. On y fait l'usage le plus prodigue de
l'ivoire et l'ébène y a été utilisé comme une matière commune. De
l'écaille des Indes ornemente les portes cloutées d'émeraude... »

    Pourtant, ce n'est pas dans les salle d''apparat que se déroule le
drame, mais dans les cabinets (à l'époque, sorte d'antichambres ou
autres vestibules ordinairement réservés aux serviteurs des princes, et
à leur entourage. Ce qu'on nomme aujourd'hui « cabinets » était désigné
par le terme « garde-robe »). Le choix voulu par l'auteur de ce cadre
simple et rustique a pour effet de donner du relief à l'intrigue et de
mettre en valeur les émotions des personnages.

Unité de temps:

    Le contexte tragique où se dénoue le destin de Cléopâtre est
suffisamment connu pour qu'il ne soit pas nécessaire ici d'y revenir.
Le tour de force du dramaturge consiste à condenser en une seule
journée les épisodes -largement étalés dans le temps - de la rencontre
et l'idylle de la reine avec Antoine, de le la déchéance et de la chute
du triumvir. Le premier acte situe les personnages, qui semblent
pressentir la suite des évènements alors que rien encore n'est joué.
Mais déjà tous les ressorts du drame sont bandés.
    Selon toute
vraisemblance, les actes suivants nous font récit de la bataille
d'Actium, du suicide raté de Marc-Antoine et de la vaine démarche de
Cléopâtre auprès d'Octave -qui n'est pas encore Auguste- pour obtenir
sa clémence. Mais « le plus froid de tous les monstres froids » (selon
l'expression d'Arthur Weigall) se méfie d'elle et la repousse. Vient
alors le suicide de la reine: dans la corbeille de fruits qu'on lui
porte se cache une vipère. Suicide certainement évoqué, et non montré,
car nous ne sommes pas dans le théâtre de Shakespeare, ni à l'ère
romantique, il n'entre pas dans la culture classique de faire mourir
les personnages sur scène!

Unité d'action:
.... « Qu'en un
lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli.... »
Si l'action, réputée
unique, se décline et ramifie en fausses pistes, feintes, esquives et
tortueux détours, la double intrigue qui la sous-tend peut ainsi se
résumer: « Antoine aime Cléopâtre, qui s'est détournée de lui.
Cléopâtre poursuit de ses assiduités Auguste, qui la dédaigne ».

     Ceci non sans quelque libertés avec une vérité historique qu'il convient de rappeler ici succinctement:

CLEOPÂTRE:
La jeune femme espiègle et insouciante (« puella ludens ») qui surgit
du tapis d'Apollodore sous les yeux médusés de César (Alexandrie, 38
av. J.-C.) s'est muée dix ans plus tard en une souveraine mûrie par
l'expérience. Après l'assassinat de l'Imperator, c'est une femme au
faite de sa beauté qui rencontre et séduit Marc Antoine, principal
lieutenant du dictateur assassiné.
    Plutarque convient que Cléopâtre
« était splendide à entendre et à voir, capable de conquérir les coeurs
les plus réfractaires à l'amour et ceux que l'âge avait réfrigérés »
.
Nul doute cependant qu'au moment supposé de l'action (31 av. J.-C.),
les « funestes appas » (charmes) de la Reine d'Egypte, qui approche
alors la quarantaine, n'apparaissent yeux du jeune Octave comme
passablement défraîchis. D'où sans doute le peu d'empressement qu'il
manifeste auprès d'elle....
    Pour les besoins de la scène, tenons-nous
en au portrait qu'en fait Lucain: « Elle respire lourdement sous le
poids de ses ornements et ses seins blancs transparaissent sous une
étoffe sidonienne ouvrée en texture serrée par le peigne du tisserand
chinois et que l'aiguille du travailleur du Nil a séparée ensuite en
relâchant la chaîne pour étirer le tissu. »

    Quant au nez de Cléopâtre, cher à Pascal, nul n'a jamais pu déterminer s'il était long ou court....

ANTOINE:
Le célèbre triumvir est traité par la reine (sc.5) de « faux brave » et
de « piètre capitaine » . Il faut voir un fond de vérité et une part de
dépit dans les propos de Cléopâtre. « Sensuel et irréfléchi, d'une
rustre gaucherie, mais généreux et passionné, Antoine est une
magnifique bête à faire la guerre et à faire l'amour..... On a dit de
cet homme taillé en Hercule qu'il a un cerveau d'enfant
» (Benoist
Méchin). S'i s'adonne sans retenue sur la nef royale à la douceur
crépusculaire, à l'ivresse des aromates -et sans doute l'ivresse tout
court-, à la douceur de la musique et au charme de sa royale maîtresse,
« il serait infiniment oiseux, écrit Plutarque, de citer toutes les
folies auxquelles Antoine se livre à Alexandrie »

A fois soldat
et tribun, Marc Antoine est aimé de ses troupes. Médiocre stratège, il
les conduit au désastre. Au moment où débute la pièce, il vient de
perdre en Anatolie cinquante mille soldats à l'issue de sa malheureuse
campagne contre les Parthes. Antoine semble alors avoir tout perdu: son
prestige, ses espoirs et jusqu'à sa cuirasse. Malgré cela, le triumvir
ose célébrer son triomphe à son retour à Alexandrie. Il se fait
couronner roi d'Egypte avec Cléopâtre, provoquant l'ire du Sénat de
Rome et blessant la sensibilité de ses concitoyens. La guerre avec
Octave est déclarée. Nous sommes à quelques jours de l'affrontement
décisif (Actium).

AUGUSTE: Petit neveu de César et son fils
adoptif, il est membre de la « gens juliana » dont il a repris jusqu'à
la « clientèle ». A l'époque où se déroule l'action, « il n'a que 33
ans, sa carrière ne fait que débuter. Il n'a ni résistance physique, ni
courage, ni rayonnement. Mais derrière ses lèvres minces et son regard
glacé se cache une volonté implacable d'accéder à la magistrature
suprême » (Benoist-Méchin). Avant de prendre le nom d'Auguste, il
s'appellera successivement Octave, puis Octavien.
     Le personnage
que nous montre la pièce révèle une personnalité déjà proche de celle
du futur Empereur. L'auteur, comme il est d'usage au XVIIème siècle,
salue au passage le Roi Soleil et rend hommage au pouvoir absolu. Coup
de chapeau d'ailleurs plutôt gratuit.
    Reboux et Muller ont fait un
rapprochement, dans l'édition de 1937, entre la disgrâce de Cléopâtre
et le renvoi par Louis XIV d'Athénaïs de Montespan, grande Favorite
royale, au profit de la veuve de Scarron, future Mme de Maintenon,
censée alors incarner « la Gloire » et « la Vertu ». Pourquoi pas?

    Un mot sur les Confidents qui, loin d'être de simples figurants
partagent les émotions des protagonistes et participent à l'action.
Citons par ordre d'entrée en scène:
ZOE: le nom de l'alerte suivante
de Cléopâtre est celui d'une impératrice de Byzance. Le « Petit
Larousse » mentionne aussi que la Zoé (nom commun féminin) est un stade
larvaire de la moule
ADJUPETE: ce patronyme est tout indiqué pour désigner l'ordonnance d'un officier supérieur (voir note 6)
EXUTOIRE: le confident d'Auguste porte un nom tout aussi prédestiné.

    Le rideau vient de tomber sur la fin du 1er acte.
    Nous connaissons à présent le lieu, la genèse et les principaux
ressorts de l'action, ainsi que les mobiles des protagonistes. Nous
avons touché du doigt le noeud même de l'intrigue. Nous avons exploré
l'insignifiance d'Antoine, le machiavélisme d'Auguste et jusqu'au
tréfonds de l'âme de Cléopâtre.
A nous d'imaginer la suite. Orditur
ab ovo.
Seul le dernier acte est grand, qui met un point d'orgue à la
pièce, imposant le silence aux acteurs et laissant place, par delà le
spectacle, aux vicissitudes de la vie.

GUIDE POUR LA PRONONCIATION DITE « RESTITUEE »:

    Au XVIIème siècle, il est d'usage de rouler les « r » comme on «
rrrroule une pelle », les consonnes finales se prononcent, au même
titre qu'on marque le « e muet » des rimes féminines (Pompé-eu,
trompé-eu). La diphtongue « oi » ou « oy » se dit « oué » (ex: le Roy =
« le Roué »), le « s » intercalaire aujourd'hui remplacé l'accent
circonflexe ne se prononce pas. Enfin, le terme « prince » est proche
de sa racine latine « princeps »: « Le Prrrinnnnce »

NOTES ET COMMENTAIRES:

(1). cf. Phèdre (I, 3): « Et dérober au jour une flamme aussi noire »
(2). cf. Tite-Live: « Innocens gladio dicitur perisse Cocula »
(3). Il s'agit bien sûr d'Enée, fondateur mythique de Rome.
(4). L'expression « vous êtes trop aimable » s'est considérablement affaiblie, voire affadie en Français moderne.
(5) Licence poétique, à l'instar de « front d'airain », « coeur de pierre » ou « coeur d'artichaut ».
(6).
Il est normal qu'Antoine, qui est général, soit accompagné d'un sous-
officier, id est son ordonnance (et aussi son confident).
(7). Ceci est une anacoluthe (figure de rhétorique consistant à intervertir les membres d'une même phrase).
(8).
Ce vers a été discuté. Non sans raison. La Harpe fait observer
qu'Adjupète, s'il répand un pleur sur la larme d'Antoine, risque de
l'éteindre.
(9). En réalité, la campagne menée par Antoine contre
les Parthes vient de tourner à la catastrophe (v. ci-dessus). Le Cocyte
est un fleuve des Enfers.
(10). Cent peuples: Antoine exagère... il est vrai que c'est un compatriote de Marius.
(11). Une certaine préciosité dans l'expression peut étonner chez ce soldat, qui s'exprime ici comme un parfait courtisan.
(12) « Tout juste Auguste! » est une locution passée dans le parler populaire
(13)
Antoine avait sans doute pensé pousser plus loin la confidence. Mais
survient son rival et l'intérêt dramatique demeure suspendu.
(14). Octave est petit-neveu et fils adoptif de César.
(15).
L'empereur, qui dit « avoir épousé la gloire » ne saurait convoler avec
Cléopâtre sans être taxé de bigamie. Au demeurant, il n'en a nulle
envie.
(16). Du latin « curulis » = distinctif de la haute magistrature à Rome.
(17).
César, bien entendu. La « bague à Jules » est une métaphore à
coloration germanopratine dont Juliette Greco s'est servie longtemps
après dans une chanson connue.
(18). « Toi aussi mon fils!» Dernières paroles de César à l'attention de Brutus, qui vient de le frapper mortellement.
(19).
Properce traite grossièrement Cléopâtre de « femelle usée par la
débauche », Pline l'Ancien la qualifie de « putain couronnée » (regina
metrix). Dans la bouche du peuple romain, « Serpent du Nil » serait
donc presque un euphémisme...
(20). Voir supra l'évocation de la désastreuse « marche vers l'Arménie »
(21).
Ost = armée (terme médiéval déjà désuet au XVIIème siècle, réhabilité
par les cruciverbistes comme « l'ire » et la « zoé »)
(22). Locution
devenue proverbiale. Il est connu que le cavalier Parthe, avant de
s'enfuir au galop, se retourne sur son cheval et lance une ultime
flèche, souvent mortelle, à son ennemi.
(23). Auguste pratique ici l'art de « l'esquive » cher à Marivaux.
(24).
Jeu de mots douteux sur le terme « métatarse » (os du pied). C'est
effectivement à Tarse, en Asie Mineure qu'eut lieu, sur la nef royale,
la rencontre fameuse entre Antoine et Cléopâtre.
(25). Ce vers
célèbre a été repris à propos du président Félix Faure, mort « en état
d'épectase » entre les bras de sa dernière maîtresse, (« la Pompe
funèbre ») qui reçut buccalement son dernier souffle.
(26). Les anciens Egyptiens maîtrisaient parfaitement l'Hydraulique.
(27).
Impossible, à propos de l'entrée triomphale de César à Rome, de ne pas
évoquer le célèbre film de Mankiewicz et plus particulièrement
Elizabeth Taylor, prodigieuse dans le rôle de Cléopâtre juchée sur son
char!
(28). Référence au syncrétisme qui prévalait alors entre
divinités égyptiennes et romaines (le culte d'Isis était célébré dans
tout l'Empire).
(29). La reine laisse transparaître dans ce vers à
la fois ambition et vanité. Toutes deux furent déçues. L'ouvrage de
Benoist Méchin déjà cité s'intitule fort à propos « Cléopâtre ou le
rêve évanoui ».
(30). Ce qui ne lui a guère réussi, si l'on en juge à la suite des évènements!
(31) Episode historique plus que rabâché!
(32). De même d'ailleurs que l'aphorisme du nez de Cléopâtre (qu'on trouve dans les « Pensées » de Pascal);
(33).
Contrastant avec la cruauté presque insoutenable de cette scène de
rupture, le langage d'Antoine reste celui d'un galant homme et d'un
courtisan.
(34). La flotte d'Antoine fait voile en direction de la
rade d'Actium, où les vaisseaux d'Octave vont la tailler en pièces.
Cléopâtre pressent-elle ce malheur? La formulation quelque peu
méprisante le suggère.
(35). C'est bien ce que la reine est en train de faire auprès d'Auguste!
(36). Chute attendue, sinon redondante, de chaque scène dans la pièce.
Variante contemporaine: « Et puis, c'est bon pour la planète »
(37). Cf. Britannicus (I, 3): « Seigneur, je ne vous puis déguiser mon erreur:             
                                          J'allais voir Octavie et non pas l'empereur... »
(38) Un peu plus loin:       « ....Pensez-vous Madame, qu'en ces lieux
                                    Seule pour vous connaître Octavie ait des yeux? »

Ce parallèle avec Racine est purement formel: le texte revêt ensuite
une tournure un brin scatologique que Claude Bascoul résume sobrement
par le jugement: « C'est nul à chier! »
(39). « Tâtez-en! » =
goûtez-les! On peut mettre au compte de l'état de désespoir où se
trouve plongée la reine cette invite un peu trop pressante (surtout
pour le théâtre classique)
(40). Ce vers a été repris presque textuellement par Jean Ferrat dans sa célèbre chanson « La montagne »
(41). Annonce de la mort sûre de Cléopâtre après la défaite.
(42). « Morte la bête, mort le venin! » est une expression qui fait désormais partie du langage courant.
(43).. Calembour indigne d'un grand auteur. Certes, il fallait le placer!
(44).Le
texte original s'achève ici, le dernier mot étant amputé par un trou de
rat. Les experts se perdent en conjectures pour reconstituer ce terme
disparu.

MASQUE

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité