Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
12 avril 2008

Les ambitieux, Laurence Bourdon

« Viens voir maman, allez, viens que je te brosse et que je te mette ta barrette, tu n’as l’air de rien comme ça, et puis, tu sais, il fait froid dehors. Nous allons sortir alors on va mettre tes bottines et ton manteau assorti… Allez… Viens… Maman t’attend »dit –elle en tapotant ses genoux.

 

 

Vincent leva les yeux au ciel, soupira, plia les pages orange du Figaro qu’il lisait avec attention, et lui lança, acerbe, « Mais tu ne peux pas lui foutre la paix à ce chien ! Ce Yorkshire a l’air totalement ridicule accoutré qu’il est avec sa rosette sur la tête, et ses bottines accordées au manteau Allons, ce n’est qu’un chien !»

 

 

Elle ne répondit pas à cette pique (ils ne se répondaient d’ailleurs de moins en moins, chacun soliloquait, invectivant l’autre avec plus ou moins de véhémence) et brossa avec application Alexandre. Elle avait choisi ce nom car le chien était bien sûr tatoué au LOF, la lettre qui lui était octroyé cette année là était le A ; ayant adoré le film « Alexandre le bienheureux », elle l’avait ainsi nommé, lui souhaitant ce même bonheur dans l’oisiveté. Lorsqu’elle l’avait vu à la vente, elle était devenue raide dingue de cette boule poils, c’était lui qu’il lui fallait et aucun autre. Vincent, son mari n’avait rien dit : si la présence d’un chien pouvait soulager la douleur de son épouse, il n’était pas contre, bien au contraire.

 

 

Depuis des mois, ils se parlaient à peine, ne trouvant plus rien à se dire. Parfois ils engageaient une conversation relative au travail qui tournait rapidement court, mais pour le reste ils allaient et venaient en s’ignorant. Espérant sauver leur couple en déshérence, ils s’étaient mis d’accord sur l’adoption d’un chien contre monnaie sonnante et trébuchante. Mais l’effet escompté n’avait pas été au rendez-vous. Alexandre devint rapidement la chose d’Isabelle, son « bébé » et Vincent était quasi exclu de ce tandem. Pourtant Isabelle et Vincent étaient dans la force de l’âge : 45 ans chacun. Malgré ce, ils se comportaient comme un vieux couple qui s’était déjà tout dit, avait déjà tout vécu, et vivait dans le silence sauf lorsqu’avaient lieu des récriminations plus ou moins larvées.

 

 

Comment en étaient-ils arrivés là ? Ces deux là s’étaient pourtant éperdument aimés, s’étaient offerts l’un à l’autre avec conviction et passion. Aujourd’hui, tout semblait éteint, comme si une lente érosion de leurs sentiments mutuels avait rongé peu à peu le couple.

 

 

******

 

 

Isabelle et Vincent s’étaient connus

 

depuis leur plus tendre enfance, ils avaient toujours été les meilleurs amis du monde. Le temps passant, l’amitié avait laissé place à la tendresse puis à l’amour ; le vrai de vrai, avec un grand A, et, à la vingtaine passée ils concubinaient avec bonheur.

 

 

Tous deux avaient été de brillants étudiants ambitieux : Elle à Sup-Elec, lui, à H.E.C. Après de longues années de parcours universitaire, chacun avait décroché un emploi.

 

 

Ces deux jeunes qui avaient atteint leur maturité de couple travaillaient d’arrache-pied pour grimper dans la hiérarchie de leur entreprise respective. Il s’agissait de partir tôt, de rentrer tard le soir avec des dossiers sous le bras qu’ils étudiaient avec application une fois le repas avalé à la sauvette. Et cette attitude paya, ils gravirent régulièrement les échelons les uns après les autres.

 

 

N’ayant consacré leur vie qu’au travail, ils avaient mis de l’argent de côté pour eux-mêmes et accueillir une progéniture qu’ils pouvaient enfin envisager. C’est donc avec ravissement qu’ils avaient réfléchi sur plan l’aménagement de la future maison avec deux chambres pour les enfants à venir. S’ils avaient eu le choix du roi, ce qu’ils espéraient, ils auraient un garçon et une fille, mais quoi qu’il en soit, ils prévoyaient déjà leur bonheur futur : réussite sociale et familiale.

 

 

Exit donc la pilule pour Isabelle qui estimait qu’il ne s’agirait que d’une question de mois pour voir s’arrondir son ventre et s’agrandir la famille. Mais le temps passa inexorablement et le ventre d’Isabelle resta d’une platitude affligeante.

 

 

Il est vrai qu’elle avait passé les 39 ans. Ces deux là n’avaient pas vu le temps s’égrenner, occupés qu’ils étaient à construire leur plan de carrière. Ils consultèrent plusieurs médecins, firent tous les examens requis, et le verdict tomba : vu leur âge, ils étaient moins féconds. La grossesse n’était pas impossible, mais hautement improbable leur dit-on.

 

 

Ils avaient oublié que le temps passé ne se rattrape pas. Ils se le reprochèrent mutuellement. Isabelle faisant valoir les droits de la femme à ne pas sacrifier son parcours professionnel à la procréation, Vincent lui rétorquant qu’avec la meilleure volonté du monde, il est des choses qu’un homme ne pouvait faire… A leur grand dam, les deux chambres restèrent vides. Ils ne les investirent pas et vieilliraient à deux avec un zeste de ressentiment l’un envers l’autre.

 

 

Ils tentèrent l’adoption, mais comme tant d’autres couples n’eurent pas accès à un bébé de type caucasien en bonne santé physique et mentale. Ils auraient pu avoir un peu d’espoir si on leur avait donné des délais –fussent-t-ils longs- mais la seule réponse qu’ils obtinrent  fut que la probabilité de voir leur rêve exaucé était infime.

 

 

Certes, chacun avait réussi dans sa branche, et a atteint son objectif professionnel, mais les chambres vides étaient là qu’ils regardaient tristement, non avec regret, mais avec d’immenses remords.

 

 

Faute de pouvoir donner la vie elle-même, Isabelle pensa vendre les saillies d’Alexandre, bel étalon malgré la petite taille due à sa race. Elle mit une petite annonce dans « 30 millions d’amis ». Elle connaissait les règles : la saillie était payante et quel que soit le nombre de chiots de la portée un animal au moins (cela dépendait des tractations entre les protagonistes) revenait au propriétaire du mâle.

 

 

Parmi les réponses qu’elle obtint (photo exigée car Alexandre n’allait pas se contenter du tout venant, fût-il tatoué au LOF, Isabelle en retint 3 qu’elle soumit à Vincent. Il examina avec soin les clichés, choisit la chienne qui ressemblait le plus à leur animal et surtout en avait la taille (un des critères fondamentaux chez le Yorkshire avec la découpe pointue des oreilles et un petit nez à la truffe ébène), qui plus est, la propriétaire habitait à

10 kilomètres

de chez eux, ce qui faciliterait les choses. Elle acceptait le tarif de 1.500€ la saillie avec la préemption d’un chiot sur la portée.

 

 

En son for intérieur Vincent redoutait qu’Alexandre ne se montre pas à la hauteur : qu’il dédaigne celle qu’on lui présenterait, voire pire, qu’il ait une « panne » (après tout, ce que subissent les hommes peut bien arriver aux animaux !), surtout dans le cas d’un dépucelage. La femelle, avait elle, bien plus d’expérience, elle avait déjà fait deux portées de 5 chiots ce qui était, ma foi, fort honorable….

 

 

Le jour J arriva, la chienne était en chaleur et, sans grands préliminaires, ce qui devait se passer se passa sans encombre. Vincent et Isabelle étaient un peu gênés de boire le thé et de faire la conversation à Mme Delaville pour couvrir les ébats de la gent canine qui n’avait rien trouvé de mieux que de s’installer sous la table. A la fin de l’après-midi, chacun se salua, Mme Delaville promettant d’avertir dès qu’elle saurait si la chienne avait ou non été prise avec succès.

 

 

Champagne chez Isabelle et Vincent une semaine plus tard : le test était positif. La gestation durerait 2 mois, à l’issue desquels le jeune couple choisirait un chiot dans la portée qui leur reviendrait de plein droit une fois l’animal sevré. Avec le temps, Vincent se prit au jeu. Au bout d’un mois, il accompagnait Isabelle une fois par semaine caresser le ventre rond de Xanax. Il tenta même de coller son oreille sur la panse de l’animal pour entendre battre le cœur des petits. Il n’entendit rien mais fut tout émoustillé par la sensualité du contact des deux peaux.

 

 

Le 25 avril Xanax mit bas, donnant naissance à 6 adorables boules de poils, les yeux encore collés, piaillant plutôt que jappant tout en essayant de trouver une mamelle maternelle.

 

 

Si tous étaient viables, Mme Delaville avait fait une bonne affaire. Elle rentabiliserait largement le coût de la saillie par la vente des chiots. Isabelle et Vincent se laissèrent une quinzaine avant de poser un option sur l’un des petits, sachant, quoi qu’il en soit, qu’ils prendraient une femelle.

 

 

Ils choisirent la plus vive, celle qui partait à l’aventure malgré les petites barricades installées autour de la portée. Elle avait les dimensions appropriées pour pouvoir ultérieurement être inscrite au LOF. Son regard malicieux plut d’emblée à Vincent qui ne remarqua pas qu’il commençait à craquer pour elle.

 

 

Ils récupérèrent « Belle de jour » (toujours en référence au cinéma et à l’avenir qu’ils lui réservaient) à 2 mois. Autant Vincent avait subi l’achat et la présence d’Alexandre, autant il s’investit dans l’arrivée de la nouvelle venue. Il la brossait avec du matériel de bébé pour ne pas lui faire de mal tout en entretenant l’aspect soyeux de son pelage.

 

 

Ils décidèrent de castrer Alexandre dès lors que Belle de jour aurait atteint sa maturité sexuelle afin qu’il n’y ait pas de relation consanguine. Ceci leur laissait de la marge pour une seconde saillie. Lorsque ceci fut fait, ils choisirent un mâle dans la portée et le vendirent facilement et décidèrent qu’il était temps de faire saillir Belle de jour qui avait satisfait aux exigences pour être tatouée et confirmée au LOF, afin de vivre une nouvelle expérience. La chienne se montra docile et mis bas 5 chiots dont 4 furent mis à la vente.

 

 

Isabelle et Vincent ne se lancèrent pas dans l’élevage, mais cette expérience de procréation par procuration avait peu ou prou ressoudé leur couple et ils ne vivaient plus dans l’obsession d’avoir un enfant. Vincent s’était même mis à gagâter un peu avec Belle de jour qu’il appelait volontiers sa « fifille », quant à Isabelle, elle continuait à jouer à la poupée avec les deux animaux et tentait tant bien que mal de viriliser Alexandre avec des barrettes plus « masculines » au plus grand bonheur de Vincent.

 

 

Cependant, leur ambition devait être génétique car ils s’engagèrent dans des concours canins où Alexandre et Belle de jour obtenaient régulièrement des médailles.

 

 

Un jour, Isabelle accourut vers Vincent en larmes, un flacon à la main. « Chéri, je suis enceinte... Ca y est, je suis enceinte !!!!! » Il s’agissait certes d’une grossesse à risque, mais Isabelle se ferait suivre par les plus éminents obstétriciens. Vincent la serra dans ses bras et la fit tournoyer dans les airs. Il était muet de bonheur, jeta un œil vers Alexandre et Belle de jour, se disant qu’il leur devait sans doute une fière chandelle.

 

 

Quant à Isabelle, espérant porter une fille, elle se voyait déjà lui faire faire des concours de mini miss….

 

 

 

 

Laurence BOURDON

 

Publicité
Publicité
Commentaires
M
Bonjour, je suis admirative de votre joli blog que j'aurais plaisir à venir découvrir souvent !<br /> Avez-vous pensé au Doppler Foetal Angelsounds de http://www.miaperla.com pour écouter votre bébé in utero à deux avec votre moitié !! <br /> A la maison, dans une atmosphère détendue et confortable, écoutez votre bébé à 2, les battements de son coeur (très rapides), les mouvements de ses bras et ses pieds ou son tout premier hoquet ! Angelsounds amplifie les bruits du bébé dans le ventre de sa maman: http://www.miaperla.com . Désormais vous pourrez entendre votre bébé dès qu'il commencera à bouger. C'est vraiment super et que du bonheur!
Répondre
M
Bonjour, je suis admirative de votre joli blog que j'aurais plaisir à venir découvrir souvent !<br /> Avez-vous pensé au Doppler Foetal Angelsounds de http://www.miaperla.com pour écouter votre bébé in utero à deux avec votre moitié !! <br /> A la maison, dans une atmosphère détendue et confortable, écoutez votre bébé à 2, les battements de son coeur (très rapides), les mouvements de ses bras et ses pieds ou son tout premier hoquet ! Angelsounds amplifie les bruits du bébé dans le ventre de sa maman: http://www.miaperla.com . Désormais vous pourrez entendre votre bébé dès qu'il commencera à bouger. C'est vraiment super et que du bonheur!
Répondre
Publicité