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12 novembre 2009

Esseulée, par Laurence Bourdon

Esseulée


Il l’avait quittée, comme ça, pour une autre sans doute, avait fait ses valises et doucement fermé la porte. Pas même un mot d’adieu à son endroit. Et dans la tête de l’esseulée grondait la colère contre cette inconnue qui lui avait volé son homme. Oui, volé, elle ne trouvait pas d’autre terme. Elle l’imaginait svelte, élancée, très féminine (du genre à porter des bas résilles), belle, très belle, trop belle. Elle étouffa un sanglot dans l’oreiller, ne voulait pas qu’on l’entende, ne voulait pas qu’on la voie… Elle n’était pas triste, elle était la tristesse, n’était pas désespérée, elle était le désespoir. Pour sûr, elle ne reverrai pas Pierre, elle ne pouvait lutter contre cette mangeuse d’hommes. La jalousie la taraudait comme une musique sans fin, une musique en filigrane incessante et lancinante. La jalousie l’envahissait totalement à présent. Elle alluma une cigarette et se servit un whisky. Mais rien ne l’empêchait de penser, de le penser dans ses bras, enfouissant sa tête dans sa poitrine opulente au parfum lourd et envoûtant. Elle chassa cette idée qui lui faisait si mal, qui lui valait tant de ressentiment, mit un disque au hasard. Le hasard existe-t-il ? Michel Jonasz s’époumona : « Dites-moi, dites moi, mais, qu’elle est partie pour un autre que moi, mais pas à cause de moi » Elle éteint la chaîne, exaspérée par ce qu’elle venait d’entendre. S’insinuait en elle cette phrase musicale, elle creusait son trou au creux de son cœur jusqu’à le percer tout à fait. La petite musique de la jalousie s’estompait au profit de celle du désespoir, ce qui n’était guère plus enviable. Du désespoir, elle versa dans la culpabilité. Qu’avait-elle fait ? Que n’avait-elle pas fait ? Qu’aurait-elle dû faire pour le garder ? Elle n’en avait pas la moindre idée, mais devait bien avouer qu’elle était incapable de réfléchir rationnellement tant elle avait mal.

Si encore elle savait où le trouver, elle irait lui demander des explications mais il était parti sans mot dire, sans même un regard vers elle, comme si elle était sortie de sa vie avant même qu’il n’ait quitté l’appartement. Quand bien même elle le retrouverait (elle connaissait son lieu de travail) qu’allait-elle lui dire ? Lui promettre de repartir à zéro ? L’assurer de mieux communiquer ? Son attitude, lors de son départ ne laissait rien envisager de positif. Par ailleurs, elle ne voulait pas avoir l’air de quémander sa présence. Quelque blessée, désespérée qu’elle fût, elle avait son quant à soi… Mais de là à tourner la page, il y avait une marge !

Elle se servit un deuxième whisky. Son esprit devenait gourd, elle pensait moins bien et un sommeil artificiel commençait à la gagner.

Soudain, une boule de poils blancs lui passant entre les mollets la fit tressaillir. C’était le chaton du voisin qui l’avait par inadvertance enfermé sur le balcon adjacent à celui de Flore. Le matou était donc venu se réfugier au chaud en se faufilant dans l’entrebâillement de la porte-fenêtre.

-« Ah, voilà de la visite » dit Flore en le reconnaissant. Elle le prit dans les bras pour le caresser et s’aperçut qu’il était frigorifié et tremblait de tous ses membres. Elle alla lui chercher une serviette de toilette pour l’y envelopper, et le garda sur ses genoux. Il lui servit de confident : elle pleurait, reniflait, parlait. L’animal ne bougea pas durant tout ce temps, mais lorsqu’elle eut fini son récit, il sauta sur ses genoux, se retourna vers elle en invite au jeu. Il l’avait assez écoutée, à elle de jouer un peu. C’est ainsi que lorsque le voisin vint sonner à la porte de Flore, celle-ci dut se relever. Elle n’avait pas vu le temps passer, elle était à quatre pattes depuis plus d’une heure, n’avait plus pensé à Pierre depuis ce temps, ce qui était inespéré. Le voisin se confondait en excuses alors qu’il n’en était nul besoin.

-« Si vous voulez, je peux vous garder votre chaton tous les matins, je ne travaille qu’à 14 heures » se hasarda Flore

-« Ce serait avec grand plaisir »répondit-il « je crains qu’il ne s’ennuie, seul, à la maison. Mais laissez-moi me présenter : Vincent Bellevue, assureur de mon état

-Flore Renaud, assistante dentaire.

-Permettez-moi de vous inviter à dîner pour vous remercier

-Ce sera avec plaisir » s’entendit-elle dire avec surprise

-« A tout à l’heure, disons vers 19 heures » 

Après tout, carpe diem et advienne que pourra songea-t-elle en se préparant.

Pierre était encore bien présent à son esprit, mais une nouvelle petite musique plus gaie lui serinait déjà l’âme.

 

Laurence Bourdon

Sur une musique de Trio Zéphyr

 

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Commentaires
S
J'aime beaucoup ce texte, agréable à lire. Félicitations à l'auteur.
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