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10 juillet 2008

Une agrafe déprimait, par Régine Vivien

Une agrafe déprimait. Elle attendait patiemment dans le tiroir, dans son habitation  « la boite bleue » collée à quarante neuf autres agrafes. Elle était à l’abri bien douillettement. Elle n’avait pas froid, pas chaud. Mais son inactivité lui pesait, le jour aussi lui manquait. Par ailleurs elle en avait assez d’être collée aux autres. C’était une agrafe indépendante.                     

Dans un coin de sa tête elle imaginait l’eau qui coulait, le vert de la prairie. Oui elle voyait bien : « les arbres se penchaient, les feuilles frémissaient, les nuages passaient devant le soleil et le ciel s’obscurcissait. Puis lentement les nuages avançaient et l’astre à nouveau éclatait et scintillait. Une brise aimable caressait le paysage. Un puis deux oiseaux chantaient. »      

Et elle, petite agrafe indépendante, elle trépignait. Cette nuit encore elle resterait dans sa boite. La lumière du bureau s’était éteinte. Le fauteuil était vide, l’ordinateur éteint. Les crayons avaient regagnés la boite noire. L’agrafeuse était rangée à côté. Les stores étaient descendus.

Elle dormit mal, elle rêvât d’air pur et de montagne. La sonnerie du téléphone  la sortit de sa torpeur. Il faisait encore très très noir. Rien ne bougeait. A nouveau elle s’assoupit. Que faire dans « une boite bleue » collée à quarante neuf agrafes ?

Le matin la trouva engourdie. Les stores se relevaient. La fenêtre fut ouverte. Un petit air glissa même dans le tiroir. Le fauteuil fut tiré, l’ordinateur allumé. L’imprimante en sortant sa feuille fit un bruit connu et rassurant.

La petite agrafe pensait en  ce début de jour « peut-être aujourd’hui vais je me libérer et être autonome ? La promiscuité lui pesait vraiment.

Soudain une main énergique ouvrit le tiroir, secoua « sa boite bleue «  et fit glisser ses quarante neuf consœurs avec elle dans l’agrafeuse. Elle eut finalement très très peur, elle était la trente troisième. Elle passa une partie de la journée sur le bureau à l’intérieur de cet instrument inquiétant secouée régulièrement  par la main énergique.

Elle sentit l ‘air et vit bien un peu plus le jour mais son destin lui paraissait aléatoire et problématique.

Elle avait très mal à la tête et plus aucune image ne lui apparaissait. Le ventre serré, elle attendait.      

Le stylo rouge, en ami, se pencha vers l’agrafeuse et repéra la petite agrafe terrorisée.

« Ne tremble pas, bientôt tu réuniras deux ou trois feuilles ensemble, n’aimes-tu pas rendre service ? »

« C’est plutôt, enfin, j’ai peur de me retrouver seule, depuis que je suis collée aux autres. »

« Mais  tu vas respirer, tu vas être libre. »

« La liberté, ça me fait peur, puis moi les feuilles je ne les connais pas. »

« Les feuilles, c’est mon univers, je les griffonne à longueur de journée… »

La petite agrafe n’entendit pas la suite. Elle fut soulevée brusquement dans son instrument par la même main énergique. Elle transpira abondamment. Elle sentit l’air et la lumière l’aveugler. Elle fut secouée en tout sens au dessus de la poubelle. La

trente-deuxième agrafe coinçait. Elle glissa dans un soubresaut final avec dix sept de ses congénères au fond de la corbeille à papier grise. C’était la fin, elle était condamnée à finir collée aux autres.

Quelle tristesse !!!

Elle imaginait à nouveau l’eau qui coulait, le vert de la prairie,  les arbres se penchaient, les feuilles frémissaient…. Elle se disait « je n’aurai jamais, jamais servi. »

La main énergique ouvrit brutalement le tiroir, prit la boite « bleue ». Vide, la boite était vide. Elle vint rejoindre les agrafes de dépit au dessus des papiers froissés et déchirés des agrafes désagrafées et pitoyables.

Alors qu’elle s’endormait pour ne plus penser au fond de la poubelle, la petite agrafe fut repêchée brusquement avec ses consoeurs et remise illico presto dans son instrument. Elle ouvrit bien les yeux.

Elle appela le stylo rouge.

« J’ai bien failli périr au milieu d’un tas de papiers. »

« Es-tu contente maintenant ? »

Elle n’eut pas le temps de répondre. Elle se sentit écartelée puis refermée et écrasée pour réunir deux feuilles qui racontaient l’histoire de l’agrafe qui déprimait.

Régine Vivien  octobre 2005

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