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25 juillet 2008

L'éventail, par Novakéi

- Qu’est-ce qu’elle y connaît cet épouvantail ? Hulula Coco en faisant les cents pas dans son salon tout en s’éventant énergiquement pour faire passer ses vapeurs que l’outrecuidance de sa vielle amie avait déclenchées.

J’observais, calée confortablement dans mon fauteuil préféré, mon cousin s’énerver contre Frida Baccara. Ils se connaissaient depuis vint ans ne pouvant se passer l’un de l’autre tout en ne se supportant pas plus de cinq minutes. Aussi loin que je me souvienne, Georges dit Frida Baccara avait un avis sur tout et ne se privait pas de le faire partager à quiconque laisser traîner une oreille même distraite.

Combien d’éventails Coco avait-il usé à force d’en abuser ? La discrétion et la retenue ne figuraient pas sur la liste des principaux traits de son caractère, Coco les ayant définitivement rayés de son vocabulaire un fameux soir d’été où il avait décidé de vivre sa vie sans tenir compte de l’opinion des autres. Il était homosexuel et comptait bien ne pas passer sa vie dans un placard.

- Je lui ai tout appris à cette ingrate s’indigna-t-il et elle me donne des leçons de mode.

           Le ton indigné de Coco me montrait qu’on était au début de la grande scène 1 de l’acte I. C’était reparti pour un tour. Encore deux actes avant le grand final. Il était inutile de l’interrompre dans son long monologue dramatique. Je me levais pour préparer du thé. A force de l’entendre parler, il m’avait donné soif. De la cuisine, j’entendais Coco tapoter l’intérieur de sa main avec l’éventail que je lui avais offert. Je craignais un crac intempestif.

           C’était moi qui l’avais créé spécialement pour lui à mes heures perdues, peu nombreuses. J’étais créatrice d’accessoires pour la mode, le théâtre, le cinéma. Au fil des ans, j’avais acquis une solide réputation.

- Un talent ne se gâche pas, il se cultive m’avait dit Coco un jour qu’il m’avait découverte cachée dans le grenier de la ferme familiale en train de fabriquer un collier avec des petits objets de récupération.

Il n’avait fait ni une, ni deux. Le jour même, il m’inscrivit au concours d’entrée de l’école Boule que je réussis. Il prit en charge mes frais de scolarité et m’hébergea chez lui. Il se contrebalançait de l’opinion de la famille. Si  lui, il l’avait écoutée, il serait encore à la ferme pleurant sur son inaccessible rêve : devenir le coiffeur des stars et plus particulièrement de la grande, la sublimissime Jeanne Moreau pour qui il avait une admiration sans bornes.

Après mes études et grâce à son carnet d’adresses, j’avais pu effectuer de nombreux boulots et acquérir l’expérience nécessaire qui me permit de me mettre à mon compte et d’exercer pleinement mon métier et d’en vivre.

Pour moi, mon cher Coco était comme un éventail. Il avait deux faces : celle qu’il montrait et l’autre, celle que j’aimais et qu’il réservait à qui prenait le temps de le connaître réellement et l’aimait tel qui l’était dans toutes ses contradictions. Je ne me laissais pas duper. Le personnage qu’il me jouait actuellement était le côté pile, celui qui par son exubérance masquait les peurs et angoisses du côté face.

Quelques jours auparavant, Frida lui avait fait remarquer que sa nouvelle teinture, gris puce, loin de lui donner un air à la Georges Clooney, accentuait sa décrépitude et lui donnait un air has been. Comme Coco, Frida avait l’art de l’exagération. Parler de décrépitude pour une simple ride, C’était vraiment exagérer. Mais je connaissais aussi bien Coco que Frida et derrière leurs grands airs théâtraux se cachaient la peur de vieillir, l’angoisse de la mort.

L’eau frémissante du thé me rappela dans la cuisine. Je versai l’eau dans la théière. Je mis les tasses sur un plateau juste au moment où les 4 coups des quatre heures sonnèrent au loin et la sonnette de la porte d’entrée retentit. Coco se précipita sur l’interphone.

- Ah c’est toi !! Dit –il d’un ton brusque.

Il ouvrit. Deux minutes après, Frida Baccara débarqua avec une boîte de gâteau d’un célèbre et très cher pâtissier qui avait eu un article élogieux dans le magazine « Têtu ».

- Tiens ma chérie, j’ai quelque chose pour toi annonça Frida Baccara en tendant une carte de visite à son ami. C’est l’adresse du meilleur chirurgien esthétique que tout Paris s’arrache. Tu vas voir grâce à lui tu vas retrouver une deuxième jeunesse et pouvoir virer cette horrible couleur de tes cheveux.

Le soufflet claqua comme un coup de théâtre.  D’un geste rapide, Coco avait souffleté d’un coup d’éventail l’insolente Frida. La scène se figea. Un silence lourd se répandit. Chacun ayant franchi des limites, ils se retrouvaient dans une impasse.

Il était temps pour moi de passer de simple spectatrice à actrice. Je pris la carte de visite des mains de Coco.

- Ah oui ! Je le connais. Il fait de l’excellent travail. Toi aussi Frida, tu devrais prendre rendez-vous. A mon avis, avec vous deux et vu tout le ravalement de façade à faire, il va vous faire un prix de gros !

- Non mais tu as entendu comme elle nous parle cette gamine Dit Frida scandalisée.

- C’est ça ! Occupez-vous des gosses. Voilà comme ils vous le rendent ! Renchérit Coco.

Je leur avais ouvert la porte de sortie. Ils s’y étaient engouffrés. L’incident était tacitement clos. Ils pouvaient retourner tranquillement à leurs chamailleries. Ils s’installèrent pour prendre le thé.

Je restais un moment sur le pas de la porte du salon. Je regardais avec tendresse mon cher Coco. Je ne sais pas pourquoi mais la chanson de Cookie Dingler se déclencha dans ma tête, du moins la version adaptée :

 

Ne le laisse pas tomber
Il est si fragile
Etre un homo libéré tu sais c'est pas si facile

 

Sa première ride lui fait du souci
Le reflet du miroir pèse sur sa vie
Il  rentre son ventre à chaque fois qu'il sort
Même dans "Tétû" ils disent qu'il faut faire un effort

 

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