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10 novembre 2008

Léa : Mike, par Michelle

Mike

C'était il ya trois ans, en Juin, j'en suis sûr, un an avant que j'arrête l'école; à cause des examens, on était déjà en vacances. Ma mère avait ouvert le magasin très tôt, et je suis descendu dans la réserve où elle mettait en ordre les pots et les gerbes apportés par mon père. Faut dire que mon père il est horticulteur, à la sortie de St Denis, de grands champs de fleurs; ma mère tient la boutique, porte Clignancourt, là où j'habite, je l'aide quand j'ai envie, ou quand elle crie après moi.

Ce matin là elle m'a dit: «  la femme du troisième, tu sais le balcon aux lampions, elle veut une anthémis, très fleurie, elle me l'a demandée hier soir en passant, monte-lui celle là, »

Les lampions, ça m'avait toujours intrigué, depuis plusieurs années, elle allumait toute cette guirlande, le soir, dans les plantes grimpantes de son balcon, quelle idée! Les voisins se moquaient, moi je trouvais ça joli, et ça ne faisait de mal à personne!

J'arrivai essoufflé devant sa porte, je tenais le pot très haut devant moi la tête dans les fleurs; en ouvrant elle a éclaté de rire: « Quelle drôle de plante j'ai là! ». J'ai posé le pot près de la fenêtre, c'était bizarre cet appartement; devant moi, derrière moi, des tableaux partout. Ils étaient couverts de taches de couleurs, comme des pétales tombés n'importe où; des tableaux couverts de taches, pourquoi?

Chez moi il n'y avait pas de tableaux, mais j'en avais vu dans les livres, à  l'école, et chez ma grand mère à Oléron, il y avait une sorte de naufrage avec un bateau ancien, ça représentait quelque chose. Là je comprenais pas. Je devais avoir un drôle d'air car elle m'a dit: «  Fais pas l'ahuri, je vais t'expliquer ».

Elle m'a donné un coca, puis:« Voilà, quand je ne suis pas au collège, j'aime peindre, comme d'autres aiment chanter, courir, faire du vélo: pour mon plaisir, rien que pour mon plaisir. Je ne cherche pas à représenter quelque chose, je joue seulement avec les couleurs comme avec des notes de musique, chaque couleur peut illustrer, un son, une émotion; je fabrique ma musique à moi, un vide: c'est un silence, il y a des rythmes, des respirations. Je suis peut être seule à l'entendre, tant pis, mais si, par bonheur quelqu'un en regardant mes toiles entend quelque chose, c'est merveilleux! Aussi si tu ne comprend pas, ce n'est pas grave.. »

Je l'écoutais parler, elle était belle Léa, elle avait encore ses longs cheveux et elle les relevait parfois avec une sorte de baguette chinoise, cela faisait des frisotis dans son cou, c'était joli; elle était jeune, plus que ma mère.

Après, je suis monté souvent la voir, car elle m'avait proposé de m'aider cette année du Brevet, mais j'étais mou, rêveur, les langues, les maths, ça passait pas.

J'ai arrête l'école, j'avais pas envie; je savais pas ce que je voulais, c'est vrai.

Aller voir Léa, ça me plaisait, je m'écroulais sur le tapis. Elle ne voulait pas que je touche à son fauteuil à bascule, car, disait-elle j'avais failli le casser en le prenant pour une balançoire!

J'aimais être là, la regarder peindre; elle avait l'air de se battre avec ses pinceaux, avançant, reculant comme si elle dansait, envoyant parfois la peinture en jet, cela donnait sur la toile une courbe étirée, comme une longue route avec plein de petites lumières.

C'est chez elle que j'ai vu Cordoue la première fois .Il avait apporté sa guitare, il s'est assis par terre, elle l'a embrassé dans les cheveux, il a tenu sa main un moment; ils avaient l'air de bien s'entendre. Il a joué de la musique espagnole, les notes crépitaient, un rythme très rapide, je tapais des pieds, Cordoue riait.

Puis il y a deux ans, elle a arrêté de peindre, elle allait pas bien .Ma mère m'a dit un matin: «  Elle file un mauvais coton la femme du troisième, elle a maigri, elle sourit moins, elle t'a rien dit? »

Qu'est-ce qu'elle m'aurait dit? Pourtant c'est vrai qu'elle riait moins, que son visage était fatigué, qu’elle peinait à monter les étages, parfois je l'aidais; et elle restait plus souvent à se balancer sur son fauteuil; parfois son livre tombait, comme si elle n'avait pas envie de continuer, elle regardait dans le  vague, elle n'allumait plus les lampions du balcon.

C'est cette année là que Vincent est revenu.

Je l'avais remarqué Vincent dès le début, car il était partout dans l'appartement. Vincent en Espagne, Vincent et Léa à la mer, Vincent riant, assis au bord d'un lac; une fois j'avais manipulé sans précaution une vieille lanterne:

« Touche pas, c'est à Vincent! » Qui était Vincent? Elle n'en parlait pas.

Un jour Cordoue avait dit : «  J'ai rencontré Vincent, il m'a demandé de tes nouvelles! »

Léa se taisait, Vincent était là, et pas là, je n'y comprenais rien.

Et puis un matin il est arrivé, il est entré dans la boutique, a acheté deux  bouquets d'anémones, des marguerites pour mettre avec, et je l'ai reconnu: il était comme sur les photos, des yeux bleus, très clairs, des cheveux un  peu gris, grand, l'air jeune, bronzé, plutôt gentil. Il m'a remercié en me lançant un clin d'œil comme si on se connaissait, puis il est monté. Ça fait plus d'un an qu'il est là, on est amis, je les vois souvent, ils m'aiment bien je crois. Cordoue vient aussi, ils ont rallumé les lampions!

Hier, c'était l'anniversaire de Léa, le rendez-vous était dans la forêt, celle de Montmorency; on était trois, Vincent attendait, assis, guettant Léa, Cordoue a commencé à jouer, et je dansais, on était heureux, car elle allait venir avec nous. Tout s'est bien passé, elle a aimé nos cadeaux et au petit jour, on l'a raccompagnée.

J'ai aidé Vincent à la porter jusque chez elle, elle dormait quand on l'a déposée dans son fauteuil, bercée comme un enfant, son châle blanc bien enroulé autour de ses épaules.

épisode suivant : Cordoue

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