L'enfant déplace les formes... par Ariane Loeb

L’enfant déplace les formes à l’intérieur du cadre posé au sol.

Toutes sortes de formes, rondes, cubiques, étirées comme un arc-en-ciel…

Avec plein de couleurs de toutes les couleurs, vives, éclatantes… !

Il est ravi.

Il les bouge dans un sens, puis dans un autre, comme lorsque il cherche à reconstituer les pièces d’un puzzle ou qu’il malaxe la peinture de ses doigts avant d’en déposer la trace sur une feuille.

« C’est un artiste en herbe ! », disent fièrement de lui ses parents.

Sa mère, qui s’affaire dans la cuisine, jette un coup d’œil dans le salon. Tout va bien, pense-t-elle, il est occupé.

Fasciné, il ne se lasse pas de jouer avec les couleurs et les formes.

Jamais il ne s’est autant concentré sur un jeu… Et ce jeu-là est tout nouveau !

Elle fait un pas dans le salon, lance un regard rapide à la ronde. Il faudra faire un peu d’ordre avant que les invités n’arrivent.

L’enfant prend les couleurs à pleines mains et jongle avec elles.

Il en lance une, vert muguet, qui se déroule dans l’air tel un serpentin. Une autre, jaune bouton d’or, qui se déploie à la manière d’un soleil…

Émerveillé, il ouvre grands les yeux.

Tiens, c’est curieux, songe sa mère, je ne l’entends pas. D’habitude, il vient me voir toutes les cinq minutes. Oh c’est qu’il grandit, c’est plutôt bon signe.

Une bonne odeur de cuisine s’échappe, furtive, dans le salon.

Arthur s’arrête un instant dans son jeu. Il sent qu’il devrait tout remettre en place avant que les grandes personnes n’entrent dans la pièce. Maman n’aime pas le désordre.

Oui mais c’était comment déjà ?

Il tente d’agencer les formes entre elles pour recomposer le puzzle. Les pièces ne s’emboîtent pas ! Et puis il reste plein de vide à l’intérieur du cadre…

Il réfléchit un instant. Il y avait du blanc autour. Les morceaux de couleurs dans le blanc, c’était mis comment… ?

Il cherche des yeux le modèle.

Elle entre dans le salon. Quelque chose a changé. Il manque quelque chose… Elle est perplexe.

Ah le gratin à surveiller dans le four !

Le salon elle verra plus tard, ce ne doit pas être bien important.

Il bouge les formes dans tous les sens.   

La mère observe le mur contre lequel est apposée une chaise ancienne. Elle fronce les sourcils.

Blanc.

Blanc de part en part, le mur.

Affolée, elle balaie du regard l’ensemble de la pièce, les murs l’un après l’autre, les meubles, des objets légèrement déplacés, le parquet où joue son fils.

- Mon Kandinsky… !!

L’enfant lève innocemment les yeux.

- Arthur, qu’est-ce que tu as fait ?

- Rien, maman, je remets les ronds et les cubes à leur place.

© Ariane LOEB — mai 2008