Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
10 février 2009

Vaine rupture, par J.C. Boyrie

Thème: amour

Vaine rupture

                        POIGNARD l rompt d'un coup de stylet vengeur le lien qui l'unissait à Françoise.

                                                           Blague-t-il? Dague a-t-elle?

On a beau dire, on a beau faire, les plus belles histoires de coeur ont une fin. D'ailleurs, dés le début de leur idylle, ils savaient bien tous deux que l'heure de la séparation sonnerait tôt ou tard.... Même, ils avaient eu largement le temps de se faire à l'idée de cette issue inéluctable. Sincèrement essayé, chacun de son côté, de s'y préparer. La perspective d'une  prochaine rupture ( n'eût-il pas fallu plutôt parler d'un arrachement ? ) leur laissait un goût amer. L'amertume de l'espoir déçu. Le parfum du regret. La nostalgie des sentiments oubliés, des amours perdues, de mille et une choses sans retour, celles qui ont été et ne sont plus.

Françoise se montrait des deux la plus réaliste, c'était dans son caractère :

Si nous faisons le compte, calcula-t-elle, notre liaison aura duré presque deux ans. Ce n'est déjà pas si mal. Beaucoup de couples dans notre situation ne tiennent pas autant. Mais aujourd'hui, pourquoi nous obstiner alors que nous nous apercevons que « ce n'est plus ça » ?

 Il est vrai, rétorqua-t-il, que nous n'avons jamais formé un couple comme les autres. Nous entretenions, comment dire ? Une relation très... particulière. Légitime ou non, qu'importe ?  Dans notre cas , il y avait un obstacle... majeur.

 L'amour survit aux pires difficultés, il se nourrit dit-on d'impossibilité.

 Elle ne le contredit pas, qu'eût-elle pu répondre ? A quoi bon, pensait-elle , regarder en arrière, pourquoi se tourner vers le passé ? Elle baissa les yeux, s'enferma dans un mutisme obstiné.

 Elle ne voyait aucun motif de poursuivre cette conversation qui ne les menait à rien.

 Lui se contentait d'observer Françoise. Il murmurait son doux nom - on devait dire « Francese » à l'époque, il n'importe. Jamais elle ne lui avait semblé si belle qu'à l'instant de leur séparation. Il ne se lassait pas de la regarder. N'était-il pas étrange qu'elle parût aussi jeune, qu'elle eût gardé son éternel sourire d'adolescente, alors qu'elle avait largement atteint la quarantaine et porté quatre enfants ? Françoise n'en était pas moins à ses yeux d'amant une fière et forte femme. Intrépide aussi. Elle avait su donner un sens à sa vie. Il eût dit : le souffle de l'épopée. Refusant de céder à l'odieux chantage d'un adversaire implacable, elle avait commandé seule une petite garnison, fait le coup de feu comme un homme, tenant le pistolet d'une main, son petit dernier de l'autre. Admirable, non ?

 Pourtant, ce n'était pas l'image qu'il voulait garder d'elle. Il s'accrochait obstinément à la femme qu'elle était, rejetait icône de la guerrière. Durant les deux années qu'avait duré leur relation, elle s'était révélée une amante fougueuse et passionnée. Elle manifestait - tout en conservant jalousement sa propre indépendance, Dieu sait pourtant que ce n'était pas dans les moeurs du temps !- une aptitude étonnante à donner et à recevoir. Attentive à n'appartenir à personne, pour mieux se donner à tous, elle était finalement restée elle-même et c'était bien ainsi: elle allait jusqu'au bout de son vouloir.

 Dans le fol élan de sa passion, il n'avait pas su voir cette femme ce qui était le meilleur d'elle-même, et le plus secret. Il s'en rendait bien compte à présent, il avait surtout projeté sur elle son rêve, ses fantasmes. A l'occasion d'une relation amoureuse, sait-on jamais vraiment ce qui se passe dans la tête de l'autre ?  Un amant irréfléchi se fie à son intuition, il se peut qu'il voie juste. Le plus souvent, il échoue à ce jeu de devinette. Alors l'incompréhension mutuelle tourne au cauchemar.

 Avec Françoise, c'est ce qui s'était produit : l'affaire avait failli tourner au drame. Après s'être très ( trop ? ) investis l'un dans l'autre, de tout leur coeur, de toute leur âme,  ils avaient connu ce décrochement progressif dans leurs sentiments réciproques, ce déchirement annonçant leur prochaine rupture. Leur éloignement (d'abord progressif) se percevait de plus en plus nettement. Ils se rendaient bien compte à présent que le lien qui jadis les unissait s'était fait de plus en plus ténu.

 Fallait-il pour autant qu'il abandonnât sa copie, laissât cette dernière feuille blanche dans un moment de découragement ? Vainement, il s'était « accroché » durant les deux années écoulées, avait effectué des mois de multiples recherches, suivi de vraies et de fausses pistes, pioché dans les manuels d'Histoire, réuni des monceaux de documents, compulsé moult correspondances, aligné des kilomètres de caractères, noirci des tonnes de papier. Malgré tous ses efforts, le résultat s'affichait, consternant, moins que nul, sur sa machine. C'était du travail pour rien, ni fait ni à faire.

 Son héroïne ne se reconnaissait pas dans ce qu'il avait écrit. Ni ceux qu'elle avait fréquentés, ni ceux qui l'avaient connue. Encore moins ceux qui se l'étaient appropriée ensuite, sûrs d'eux-mêmes, sûrs de la connaître. Parce qu'il ne faut jamais toucher à un symbole, une figure emblématique, ils avaient crié au scandale, à l'iconoclasme, au crime de lèse-identité.

 Le roman historique, différant en cela de la fiction pure, n'est pas un genre où tout est permis.

 Ou bien l'auteur se livre sans retenue à la grande bouffe, l'orgie papivore. Suivie d'une inévitable indigestion documentaire, ou dysenterie: le glouton se perd dans son propre (?)... bourbier. 

 Ou bien, prétendant remplir les « blancs » de l'Histoire officielle, il laisse librement courir son imagination. Cela  relève alors du un jeu de hasard. Il se peut que l'auteur voie juste, mais nul ne le saura jamais. Le résultat peut surprendre, cela se traduit sans doute par une déformation de la réalité.  Le plus gros risque étant qu'au final, nul ne discerne plus le faux du vrai.

 Dans le cas d'espèce, son héroïne avait vécu quatre cents ans plus tôt. Les Guerres de Religion paraissent aujourd'hui bien loin .... Il est vrai qu'aux yeux d'un observateur attentif à ce qui passe un peu partoutdans le monde, le sujet n'a rien perdu de son actualité!

 Et puis, zut ! Tout bien réfléchi, il n'avait pas le droit de faire cela ! Puisqu'il avait voulu s'emparer corps et âme de Françoise de Cézelly, le personnage s'était vengé de l'auteur, rien de plus normal.

 Point tiret. C'était bien fait pour lui.

 Alors, il avait planté là son projet. A tout hasard, il avait enregistré le chapitre en cours sur une clé U.S.B., fermé la session, éteint l'ordinateur. Rangé soigneusement dans un classeur quelques deux cents feuillets épars. Pour l'instant, il n'y avait rien de bon à en tirer. Plus tard, peut-être, il reprendrait tout cela. D'une autre manière.

 Son roman ne paraîtrait pas, mais leur histoire d'amour continuerait.

 

  Notes et commentaires:

 

 Cette nouvelle répond à la consigne: décrire une relation et connivence et/ ou d'ambiguïté entre deux personnes. Il s'agit en l'occurrence d'un romancier historique amateur et de son héroïne.

 Le personnage dont il s'agit se nomme Françoise de Cézelly et a vécu à la fin du XVIème siècle. C'est une figure emblématique de la Ville de Leucate dans l'Aude et du Lagnuedoc en général. Trois nouvelles du même auteur la concernant peuvent être retrouvées sur le blog « Atelierdecrits » (2007):

  • « Psaume 137 «

  • « Les statues meurent debout «   

  • « Monsieur l'huissier à verge ' .our toute précision historique ou biographique il y a lieu de  se référer à la notice de ces textes.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité