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7 mars 2009

En camping, Thérèse-Françoise Crassous

A 15 ans, Gisèle rêvait d’évasion, d’aventure. Elle tenait constamment tête à sa mère et ne faisait plus rien en classe.  Michelle son ami d’école, lui fit miroiter de pouvoir s’évader, de se retrouver entre filles du même âge. Elles se comprenaient si bien. Leurs parents trop vieux jeu, trop stricts, trop si et trop ça à les entendre, leur rognaient les ailes. Libre, elles voulaient se sentir libres, faire des expériences. Justement à la campagne, au contact avec la nature, elles en feraient des  découvertes !  Et avec ses six amies ! Elles iraient en camping à la ferme, chez la mère Bonnard que la mère de Michelle connaissait bien puisque pendant la guerre, elle s’était réfugiée chez elle.  Elle avait tout combiné, Gisèle, avec son amie. Il ne manquait que l’accord de sa mère, son père, lui, s’en fichait qu’elle soit à Paris ou au diable : il ne s’intéressait  qu’à son travail. Et pour avoir la paix, il lui permettait tout. Elle en ferait son affaire, de son père. Mais sa mère c’était autre chose. Surtout que ses notes n’étaient pas fameuses, pas bonnes du tout même, avec quelques zéros.                

Elle alla à l’attaque un matin au petit déjeuner et fit tant et si bien que sa mère, pour avoir la paix  lui donna l’autorisation. Car elle lui donna mal à la tête avec son insistance et ses allégations percutantes. Elle avait réponse à tout,  scandait des « Tu verras ». Tout y passa : le bon air  de la nature, le sport, le dépaysement, les paysages et touti quanti… Elle l’avait convaincue avec ses arguments. Elle avait ajouté même que la mère de Michelle viendrait quelques jours les surveiller. C’est cela surtout qui avait fait fléchir sa mère.
En un rien de temps elle fût prête, ses affaires dans le sac à dos, l’itinéraire sur la carte, le papier à lettres pour écrire et sa veste en peau de tigre assorti à un foulard pour sortir le soir au village retrouver les jeunes qui ne manqueraient pas de les intégrer à leur groupe.
Ce lundi 13 juillet, billet en poche, elles avaient abrégé les effusions et s’étaient engouffrées dans la dedeuch de la mère de Michelle qui les accompagnait à la gare. La route les balançait mollement. Un petit crachin n’atténua pas leur humeur ; En riant et en chantant à tue tête, elles avaient atteint  le hall où toutes deux devaient retrouver la bande de copines. Les portières de la voiture claquaient sur sa vie de collégienne. En route, légère, Gisèle s’abandonnait au bonheur.  A nous, la liberté et les vertes prairies !
Vite, vite, la gare les aspira. Elles durent courir car le train était déjà en gare. Le sac s’incrustait dans son dos, les sangles tiraient sur les omoplates. Elles n’eurent que le temps de lancer leurs bagages et de sauter sur le marchepied : le chef de gare sifflait. Tant bien que mal elles atteignirent leur place au milieu du wagon. Elles n’étaient pas seules dans le compartiment de seconde classe. Un gros monsieur moustachu en costume trois pièces, les jambes allongées leur barrait le passage. Un pardon insistant le fit se redresser et, les yeux hagards, Il sortit de ses pensées qui ne devaient pas être roses car il avait l’air soucieux et  ses sourcils noirs et touffus se rejoignaient au milieu du front en un sillon profond. . Des poils s’échappaient de sa chemise et ses mains toutes velues attiraient le dégoût. « Cela commence bien pensa Gisèle. Et toutes se regardèrent, embarrassées.
Dans un coin, une dame chapeautée, les ongles peinturlurés d’un rouge grenat, regardait par la fenêtre. Les six se concertèrent, tête contre tête. Et un rire déferla jusqu’à devenir strident. La dame offusquée, sous les quolibets des donzelles, s’en alla promptement. Alors elles prirent leurs aises. L’homme tristement, sous l’affront de ces rires, la suivit peu après. Elles eurent ainsi le champ libre. Et commencèrent à se laisser aller, les pieds sur la banquette pour atteindre leur sac dans les filets. Elles sortirent carte à jouer, livres et gâteaux, s’empiffrèrent de bonbons. C’est qu’elles avaient le temps ! douze heures pour le Midi. Elles arrivèrent à la nuit avec deux changements et une attente sur le quai, je ne vous dis que ça.  Elles trouvèrent le temps long, le voyage épuisant.
Elles étaient attendues par la fermière qui le premier soir les invitait à dîner : après elles se débrouilleraient et feraient un feu pour cuire leurs repas, enfin elles verraient.
Elles arrivèrent à la nuit. Personne à la gare : le train avait du retard. Elles demandèrent leur chemin, la route était toute droite et elles n’en pouvaient plus. Enfin elles trouvèrent le jacquot, le fils de la ferme, qui s’était assis sur l’herbe à la sortie du village et celles-ci lui emboîtèrent le pas. La route était bien longue. Les souliers faisaient du bruit et leur faisaient peur car la nuit était noire sans étoile. Parvenues au bivouac, elles se déchaussèrent et montèrent les tentes. Heureusement que Martine avait fait du camping avec ses parents. Les maillets frappèrent les piquets que le fils du fermier avait apportés. Avec tout cela, le premier soir passa comme une traînée de poudre. Il était trop tard pour dîner. Elles s’endormirent bien vite. A l’aube, les cocoricos les réveillèrent. Les vaches et leurs pas lourds firent tinter les cloches attachées à leurs cous. Le sol en trembla. Encore ensommeillées, elles se dirigèrent vers la porte d’un bâtiment d’où venait le concert. L’odeur et la tiédeur les firent se boucher le nez et se sauver bien vite. Pouah ! pensa Gisèle. Où sommes nous tombées ?
Gisèle quant à elle, trouvait un peu morose la dureté du matelas de mousse et l’humidité de l’aurore. Le coq tonitruait encore et la basse cour s’ébrouait de la quiétude de la nuit. Et fit un charivari…
Effrayées, les filles s’engouffrèrent dans une salle, croyant que c’était  la cuisine. Des pots de métal, des tuyaux, des tables rutilantes, et des masques leur firent penser à une salle d’opération. Hallucinées, certaines commencèrent à geindre. Sans compter qu’au dehors, des gouttes de pluie s’assemblèrent en flaques et  qu’avec le purin  en tas dans un coin de la cour, des effluves écœurantes leur soulevèrent le cœur.

Elles avaient faim, très faim, d’autant plus que la veille elles n’avaient presque rien avalé. Ah ! s.v.p. un bol de lait avec des Krutzli ! Enfin la fermière les entendit et les récupéra en riant. Le liquide crémeux n’avait pas le même goût  que celui de la ville.  Il n’y avait pas de Krutzli mais de larges tartines , un tas de beurre, du pâté, du jambon et de la confiture. La fermière coupait dans la miche dorée des tranches épaisses qu’elle recouvrait à la demande. Les filles épouvantées se voyaient déjà grosses d’avoir à s’empiffrer de toute cette mangeaille. Elles firent les dégoûtées, picorant quelques miettes.
- C’est nourrissant. Vous rentrerez requinquées. Vos mamans seront contentes de vos mines rosies et des quelques kilos que vous aurez pris. Allez, Allez, mangez, leur dit la fermière, s’essuyant les mains sur un tablier bleu. J’ai tiré le bon lait ce matin pour votre déjeuner. Il est encore tout chaud. Buvez,  dépêchez-vous, je n’ai pas que ça à faire, à vous regarder chipoter. Allez, mangez de tout !

Les voyant rechigner, elle ajouta
    - Que faîtes-vous aujourd’hui ?

Quoi, il fallait faire encore quelque chose ?  Elles étaient encore si fatiguées du tohu-bohu de la veille !
Puis le soleil ressurgit et elles partirent en riant dans les prés, où elles  improvisèrent parties de colin maillard et de balle au prisonnier.

Les jours qui suivirent passèrent comme un rêve.
                   
13 février 2009

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