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7 mars 2009

Naissance du petit frère, Thérèse-Françoise Crassous


Gisèle avait cinq ans. Elle voyait sa mère qui jusque là était dolente- son gros ventre la faisait s’essouffler facilement- s’activer avec frénésie ces jours-là. Elle avait rangé ses armoires, passé la paille de fer sur le parquet ciré. Puis mis sur deux chiffons de laine, la cire d’abeille odorante et en dansant d’un pied sur l’autre, coloré les lattes du plancher en bois. Gisèle ne comprenait pas cette agitation subite, suivie d’une immense lassitude qui forçait sa mère alors à s’allonger,  à s’essuyer le front, se croiser les bras derrière le dos et se cambrer. Alors épuisée, elle fermait les yeux.
Elle ne pouvait plus jamais jouer avec elle sur le tapis. Son ventre prenait trop de place et elle avait pour cela du mal à se relever. Tout effort lui coûtait et lui arrachait des cris de douleur. La fillette se sentait abandonnée. Tout le monde autour d’elle parlait d’un petit frère qu’on attendait avec impatience. Elle l’attendait elle aussi mais avec colère. Il lui volait sa mère, lui volait leurs rires et leurs jeux. Et il n’était pas encore là. Qu’est-ce que ça serait lorsqu’il dormirait à la maison ? Elle avait l’impression d’être  reléguée à la deuxième place.
Elle sentait la fébrilité de sa mère croître au fur et à mesure des jours qui restaient. Elle l’avait vu se déformer, se languir, sourire et s’attendrir pour cette chose qui poussait, se développait en elle, la petite graine que son père avait déposé une nuit. Elle ne la reconnaissait plus sa maman qui, avant,  lui disait qu’elle était, elle avant, sa poupée, son trésor. Elle ne l’entendait plus lui chuchoter ces mots tendres à l’oreille. Elle n’entendait plus leurs éclats de rire… Maman ne riait d’ailleurs presque plus et la repoussait maintenant lorsqu’elle voulait un câlin et montait comme autrefois sur ses genoux. Elle se contentait de la renvoyer  d’un ton sec puis d’une voix plaintive
« Tu me fais mal, descend vite !»

Elle ne prenait plus le temps, sa mère, de bavarder, de l’écouter, de jouer à la poupée et à la dînette.

Un jour où elle était sur le divan, elle lui avait fait sentir  les coups de pieds de son frère dans son ventre . Gisèle avait du mal à comprendre pourquoi on s’extasiait sur les coups que donnait son frère.  Il faisait mal à maman : pourquoi on ne le grondait pas?  Elle, lorsqu’elle se mettait en colère et donnait des coups de poings ou de pieds, on la grondait et souvent elle recevait des gifles. Pourquoi pas son frère ?

Un après-midi, sa mère avait rapporté des paquets. Curieuse, croyant que c’était pour elle, la petite avait regardé dans les sacs. Elle avait tiré des habits minuscules et avait pensé que c’était pour sa poupée Claudine. Mais sa mère l’avait  franchement disputée et mise au coin. 
- C’est pour ton frère qui va naître bientôt. Tu ne dois pas les salir !

Quelle guigne ! Toujours pour lui, rien pour elle…

Sa mère l’avait mise à la crèche deux matinées par semaine pour s’habituer disait-elle à l’école de l’an prochain. Gisèle aimait bien y aller. A la maison on parlait à voix basse, pour ne pas fatiguer maman, là elle pouvait courir et rire Elle s’amusait avec Frédéric et Sylvie et  s’entendait bien avec tous ses autres camarades sauf avec Noémie qui pleurait tout le temps. Elle aimait bien sa maîtresse, Mlle Françoise qui lui apprenait de belles chansons : Le petit cerf et la grenouille verte, par exemple. Elle se chamaillait quelquefois avec René mais pas longtemps puis ils jouaient à la maman ensemble. Une maman attentive à ses enfants, elle !
Puis un jour, sa mère avait fait sa valise et lui avait dit
-  je vais avoir mon bébé bientôt.

Un peu plus tard Gisèle l’avait entendu pousser un cri puis se mettre à compter.  La fillette trouvait ça drôle. Puis à nouveau des cris de plus en plus rapprochés. Sa mère se tenait des deux mains le ventre. Son père appelait un taxi au téléphone, il marchait de long en large d’un air soucieux. Maman compta jusqu’à cinq et poussa un cri déchirant qui lui entra dans la tête de la petite qui se boucha instantanément les oreilles. Elle ne comprenait pas pourquoi c’était normal d’avoir mal. Elle en voulait déjà à son frère de faire du mal à sa mère…
On avait confiée Gisèle à une voisine car Mammy n’était pas encore arrivée. Elle venait par le train du Sud de la France. La gamine avait bien sûr promis d’être sage. Ses parents lui avait annoncé une surprise, un petit frère. Elle voulait bien le voir, jouer avec ce nouveau compagnon comme elle faisait au parc avec les enfants. Elle était curieuse de voir quelle tête il avait, son frère. Pourrait-elle le bercer comme ses poupées et son ours préféré Teddy, celui qu’elle prenait dans son lit pour s’endormir.?
Courageusement elle avait dit au revoir de la main par la fenêtre ouverte mais elle en avait gros sur le cœur qu’on la laisse à la maison. Elle aurait voulu comme les autres fois où elle prenait un taxi, se blottir entre son père et sa mère.
Après mammy lui ferait à manger. Elle l’aimait bien mammy. Elle lui racontait toujours  l’historie de Boucle d’Or et les trios Ours avant de s’endormir. Elle ne se lassait jamais de l’entendre une fois, deux et même trois fois. Elle faisait exprès Gisèle de garder les yeux ouverts. Elle luttait malgré le passage du bonhomme de sable qui lui faisait cligner des paupières et se frotter les yeux jusqu’à ce qu’elle s’endorme d’un coup. Elle sentait la chaleur des draps, les baisers légers de sa grand mère, la couverture qu’elle relevait doucement sur ses épaules.
De temps en temps elle se réfugiait dans un coin, Gisèle, se racontait des histories et serrait très fort son doudou. Elle pensait à son petit frère. Sa mère lui avait dit un matin
- Laisse ton doudou maintenant, tu es grande, tu as cinq ans. 

Mais elle en avait encore besoin de son doudou, besoin de tendresse, des baisers de sa mère. Elle se rappelait les jours où elle avait été insupportable, fait des bêtises, piqué des colères sans résultat. Sans attirer un reproche. Sa mère la laissait. Elle avait de drôles d’idées qui lui passaient par la tête. Elle en voulait à cette chose qui retenait toute l’attention de sa maman. Elle, elle devait être toujours sage, ne pas faire de bruit, laisser sa mère se reposer, se détendre. .. Et elle, alors? Qui se souciait d’elle?

A ces moments-là, elle se passait tendrement les poils de Teddy sur la joue, fermait les yeux et sentait les caresses douces comme celles que lui donnait sa maman, avant. Elle se sentait réconfortée, pour un temps.
Et ce silence! Plus de bruit, plus de cris, plus de rires, plus de courses dans l’escalier. Elle devait descendre doucement car elle était grande.

Un jour mammy a dit:
- Tu veux, on va rendre visite à maman et nous ferons la connaissance de ton frère.

Elle avait demandé:
- Où elle est maman?
- A la maternité
- qu’est-ce que c’est une maternité?
- Presque comme un hôpital. Mais c’est là où les mamans vont pour mettre leur bébé au monde et où les docteurs soignent les mamans.. Tu seras bien sage car maman est encore très fatiguée.

Elle se souvient bien de cette journée, Gisèle
Mammy lui a mis ma belle robe bleue, de la couleur de mes yeux. On est allé en taxi et on est descendu devant une grande maison avec de grandes fenêtres, orientées vers le sud
- pour la clarté a précisé grand mère.

On a pris l’ascenseur, un grand couloir tout blanc et à une porte mammy a frappé et  elle a reconnu la voix de maman. Elle avait hâte de rentrer mais il fallait attendre. Elle étouffait de joie. Enfin. Maman … Mais elle n’a pas crié.
       - Entrez
Elle s’est  précipitée mais mammy l’a retenue par la manche et maman a fait
- Chut ! Ne réveille pas ton petit frère!

Mammy l’a hissée jusqu’au dessus du lit de maman et elle s’est blottie dans ses bras. A nouveau elle sentait son odeur, son parfum n° V , sa chaleur lui faisait du bien et ses baisers la couvraient toute. Mais elle se retenait de rire car son frère dormait. Maman la fit assoir à côté d’elle, se penchait sur le berceau, soulevait le Bébé et lui mit   dans les bras
- Ne le fais pas tomber conseilla-t-elle

Elle l’examina en fronçant les sourcils. Il fermait ses deux poings tout petits, il avait un drôle de nez en trompette et presque pas de cheveux. Mais il n’était pas beau, il était jaune et tout ridé. On nous aurait livré un bébé déjà vieux comme grand mère Rose ? (Sa figure avait de grands sillons surtout lorsqu’elle souriait et elle n’avait plus de dent.) Puis bébé a pleuré. Alors elle vit que lui aussi n’ en avait pas. Elle était fière de le porter. Elle avait voulu le bercer mais il était très lourd. A ce moment, il a fait un rôt et il a vomi. Ça sentait mauvais, le lait caillé. Pouah !  et elle ai failli le lâcher. Elle en avait assez. Elle voulait jouer avec sa maman. Elle s’est fait gronder.

Au bout de quelques nuits, maman a débarqué avec Bernard. C’est son prénom. Et là, rien n’a changé. Elle ne devait pas faire de bruit, pour ne pas le réveiller. Maman était trop occupée à le langer et à lui donner à téter. Et elle, elle restait seule à les regarder. Elle détestait voir les sourires que sa mère lui adressait. Les mimiques, les mots doux et les jeux avec lui. Tous les guiliguili et les areuh areuh,  qu’elle lui murmurait.
Mais voilà c’est la vie ! Il faut s’y habituer comme disait mammy. Il en prend de la place, son petit frère avec son berceau dans sa chambre à elle, son landau et ses affaires. Les siennes ont été poussées.

Les jours ont recommencé : pas de bruit, pas de rires et maman épuisée…

Heureusement en septembre, comme elle est grande maintenant, elle ira à la nouvelle école tous les jours. Peut-être que d’ici là, on va déménager dans une plus grande maison. Maman veut la campagne. elle, elle aura des copains et des copines de son âge. Et puis elle aura sa chambre.
                        
15 décembre 2009

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