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4 mai 2009

TRANSPARENCE, par Jacqueline Chauvet-Poggi

Il y avait dans ce restaurant une langouste solitaire dans un aquarium. Elle se déplaçait au ralenti sur ses pattes, frêles brindilles, agitant mélancoliquement ses antennes. Elle collait sa tête contre la vitre, vers eux, dans la quête muette d’un peu d’attention. Maintenant, ils sont là tous les deux dans la salle presque déserte de l’aéroport, attendant un départ sans cesse reporté d’heure en heure. Ils sont sur un seuil entre deux mondes, celui du passé où chacun se heurtait aux zones obscures de l’autre, et celui qu’ils ont décidé de construire en effaçant les ombres. Ce voyage vers un nouvel horizon doit être un passage à la totale lumière. La salle est immense, vide, transparente. Ses portes vitrées donnent sur d’autres salles transparentes, d’autres portes vitrées. Quelques boutiques qui semblent lointaines diffusent un peu de lumière colorée, comme les dernières balises d’un côte qui s’éloigne.

Au dehors, les avions, gros squales immobiles, les fixent du regard sombre de leurs hublots tandis qu’une armée de véhicules disparates butine de l’un à l’autre. Où est le dedans, où est le dehors ? Sont-ils dans l’aquarium ? Qui sont les observés, qui les observateurs ? Tu veux que j’aille chercher quelque chose à boire ? dit-il pour secouer ce lourd silence. Non merci, j’ai l’impression d’être engourdie et de ne rien ressentir, répond-elle en étirant ses bras comme au sortir d’un rêve inachevé. Elle est assise, penchée en avant, les coudes sur les genoux. Sa tête inclinée laisse voir ce cou qui l’a toujours ému, sa peau fine sous les cheveux relevés, quelques mèches légères accrochant la lumière. Elle songe et il regarde son dos qui pense. Malgré leurs lèvres closes, ils communiquent par les attitudes, les respirations. C’est nouveau. Autrefois il avait été séduit par son mystère, excité et en même temps jaloux de ces pensées auxquelles il n’avait pas accès.  Aujourd’hui il ne ressent plus cette anxiété, elle lui apparaît comme dénudée, totalement lisible, livrée à son déchiffrage amoureux.  Est-il sûr qu’elle en éprouve le même soulagement ? Tu n’as pas froid ? dit-il, saisi lui-même d’un frisson à l’évocation de ce dépouillement. Elle répond d’un sourire en resserrant son manteau dans ses bras croisés. Leurs conversations  étaient  des brillants échanges de mots à sous-entendus, d’allusions jetées comme des énigmes à résoudre, de piques provocatrices destinées à les faire se dévoiler.  Bien sûr, à propos  de sujets extérieurs ils sont encore capables de discuter des heures entières avec autant de vivacité, confrontant leurs opinions dans une joute intellectuelle stimulante. Au quotidien, elles sont devenues réduites à l’essentiel, tout le reste étant supposé pouvant aller sans dire. Soudain il est pris de vertige devant le danger de cette platitude menaçante qui a pris la place du paysage tourmenté mais plein de relief de leur ancienne communication. Il va falloir inventer un nouveau vocabulaire, de nouvelles attitudes et, qui sait, reconstituer quelques ombres. Ils se lèvent, font quelques pas au ralenti, s’approchent des grandes baies transparentes pour regarder placidement le trafic sur le tarmac A l’intérieur seuls les chiffres de l’horloge semblent animés, découpant le temps lentement, si lentement……..

          

Jacqueline Chauvet-Poggi                                                                                 

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