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28 mai 2009

ARNOLD : MARTYR ET BIENHEUREUX, par Laurence Bourdon

      Dans son jardin, Roger lança deux boules de pétanque puis garda la troisième en main, la soupesa, ferma un œil et visa. Un bruit mat retentit, Roger s’approcha et découvrit l’assiette qu’il venait de faire, le carreau parfait. Roger ne mit pas son carreau sur le compte d’un heureux hasard : il s’entraînait tous les jours dès qu’un brin de soleil apparaissait. Il était tireur de la triplette à laquelle il appartenait et ses coéquipiers lui devaient souvent une fière chandelle. Il délogeait illico presto une boule qui biberonnait le cochonnet. Le souvenir du geste qui permettait de sulfater – réussir tous ses tirs – n’était dû qu’à un entraînement assidu de la part de Roger. Sa tenue était immuable : slip de bain noir, tee-shirt blanc sale laissant entrevoir le ventre bedonnant des buveurs de bière et claquettes (il réservait les tennis, le pantalon et le tee-shirt blanc pour les compétitions).

Tout aurait pu aller pour le mieux dans le meilleur des mondes s’il n’y avait Arnold à garder en l’absence de Josette. Celui-ci s’installait pourtant sur la troisième marche qui permettait d’accéder à l’entrée du pavillon et faisait semblant de s’intéresser à l’entraînement de Roger tout en attendant le retour de Josette. Lorsque cette dernière arrivait, Arnold manifestait sa joie, le lui faisait savoir. Leurs retrouvailles étaient telles qu’on eût dit qu’ils s’étaient quittés des mois durant. « Viens voir maman, viens faire un mamour à maman ! » s’égosillait-elle.

« Ouais et puis oublie papa » grommelait alors Roger qui aurait préféré que les « mamours » lui soient réservés, ce qui n’était plus le cas depuis l’arrivée d’Arnold, lequel ne s’y trompait pas. Il savait que Roger ne l’aimait pas (celui-ci se vengeait en lui fichant de douloureux coups de pied en l’absence de Josette). Il ne se plaignait pas, c’était impossible à rapporter, cependant, il reportait sa colère sur l’aïeule qui avait droit, faute de mieux, à ses représailles. Et les voisins d’entendre la voix suraiguë de Josette « lâche la jambe de mamie » qui tentait de ramener Arnold à la raison.

« Le cœur a ses raisons que la raison ignore » jubilait Roger qui n’avait pas plus d’accointance avec sa belle-mère qu’avec Arnold. Ne vous méprenez pas, Roger n’était pas si mauvais que ça, mais son seul souci était de jouer à la pétanque tranquille.

En revanche, le souci de Josette était cependant, et elle continuait à de faire régner la paix dans la maison. « Laisse mamie tranquille, lâche la jambe de mamie ! » s’égosillait-elle au grand dam des voisins qui ne manifestaient que peu d’égard pour la vieille dame, habitués qu’ils étaient à ce tintamarre. Arnold ne dut jamais atteindre le tibia de la victime de ses représailles car aucune émotion particulière ne transparaissait dans la voix de Josette quand elle le réprimandait et elle continuait à tout faire pour que ce dernier se sente comme un roi dans le royaume qu’était le simple pavillon.

Les royaumes étaient partagés : le jardin pour Roger, l’intérieur pour Arnold, et lorsque les deux se croisaient, un combat insidieux se déroulait. Josette ignorait tout de cette haine entre les deux protagonistes et par conséquent n’avait aucun élément de compréhension de l’animosité d’Arnold envers sa mère. Elle ignorait en effet que Roger se vengeait sur le carlin en lui fichant de vilains coups de pied lorsque ce dernier le déconcentrait ou s’approchait trop des boules à tirer lorsqu’il était las d’être assis sur la troisième marche du pavillon et avait besoin de se dégourdir les pattes. Un jour, Roger ferait le déblayeur, tirerait fort sur cette boule encombrante que représentait le crâne du chien. La tête contre une boule ultime, il savait qu’il réussirait.

Réussir à faire vivre ensemble tout son petit monde, telle était la devise de Josette qui ne se doutait pas que le danger était imminent…

Laurence Bourdon

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