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31 mai 2009

la jeune fille au nénuphar, par Ariane LOEB




La jeune fille au nénuphar



« Pousse-toi ! » D’un coup de pied rageur elle repoussa les feuilles énormes qui la bordaient La plante aux formes molles n’y prit garde Impassible, elle s’étalait de toute sa rondeur « Pousse-toi je t’ai dit ! » La jeune fille fulminait Insensible aux paroles humaines, le nénuphar continuait à s’étendre majestueux Oui mais elle aussi elle y était dans ce lit transformé en terrain de joutes Son lit ! Couchée nuit et jour parce qu’un beau jour elle avait décidé qu’elle ne se lèverait pas Allongée sur le dos, ses longs cheveux noirs épars sur le blanc des draps elle rêvassait parce qu’à son âge on rêve toute la journée

Lui, le nénuphar, comment il était venu on ne sait pas Mais dans un lit, mine de rien, c’est drôlement encombrant Il s’élargissait de jour en jour C’était venu comme ça, un beau jour elle se réveilla à côté d’un nénuphar, au départ elle n’y prêta guère attention il n’était pas bien gros pas bien embêtant et puis… Elle avait beau retrousser sur elles-mêmes les bords des feuilles rien n’y faisait le nénuphar les redéployait aussitôt Elle avait beau soupirer s’agiter se retourner brusquement tendre un bras rageur vers le milieu du lit… la feuille ainsi atteinte se contentait de s’incurver doucement comme pour l’accueillir Alors elle se rétractait sur le côté, fine et longiligne elle ne prenait pas beaucoup de place Mais si cela continuait elle allait basculer tomber à terre et ça ce n’était pas possible parce qu’elle ne pouvait pas vivre sur la terre ferme « Mais enfin, s’exclamait sa mère, tu ne vas pas rester là vautrée dans ce cloaque ! » Les parents n’y entendent rien c’est bien connu et puis elle ne dit plus rien du tout, la mère, il ne fallait pas contrarier la demoiselle, cela faisait bien cent ans qu’elle dormait si déjà elle s’était éveillée ce n’était pas si mal

On se pressait autour de son lit parce que quand même c’était une drôle d’affaire, les médecins les voisins les doctes en sciences du sommeil… « Elle était si joyeuse si vive, petite ! » remarquait l’un « Ça ne lui réussit pas de grandir on dirait ! » avançait un autre Mais cela n’y changeait rien La jeune fille grignotait des sablés qui faisaient plein de miettes dans le creux des draps et la plante aquatique prospérait « Tu vas voir, dit le père, moi je vais te le retourner ce lit pieds en l’air ! Et allez ouste ! Tout le monde dehors… » le nénuphar glissant du lit dans un mouvement lisse jusqu’à la porte et elle, la petite roulant en boule sur le parquet Mais ce n’est pas ce qui se passa

A la longue elle s’y ennuyait bien un peu dans ce coin du lit où la bête à feuilles rondes s’évasait, placide, à la surface des draps et prenait ses aises

Les saisons passaient passaient passaient…

Il advint qu’un jour le nénuphar l’entoura de ses larges feuilles et lui posa un baiser claquant sur la joue Alors, superbe la jeune fille descendit du lit et d’un pas léger s’en alla vers le monde.


(décembre 2008)


 

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