Neige à Marseille, par Ariane LOEB
Neige à Marseille
Ce qu’il peut
faire froid ! j’ai dit.
Toujours à te
plaindre… qu’il m’a dit ! Tu imagines… Pour un peu, je serais rentrée tout
net à la maison mais bon, cette balade c’était pour nous rapprocher un peu,
retrouver le contact.
Parce que,
depuis quelque temps, ça n’allait pas très fort entre eux, et le contact
justement ils ne savaient pas comment le retrouver.
Tu vois, ça
commençait bien !
Laure écoutait
son amie avec attention.
Tu imagines, à
Marseille ça n’arrive jamais toute cette neige qui tombe tout d’un coup !…
Quand même, il n’est pas prévenant ! La chaussée commençait à glisser,
j’avais pas les chaussures qu’il fallait c’est sûr…
Un brin de nostalgie passa dans son regard.
Quand il était jeune encore, il se précipitait vers elle au moindre de ses pas
hésitants, il la soutenait de son bras chaleureux, il…
Ils étaient
amoureux, évidemment ! C’est moche de vieillir sans amour.
Les femmes sont plus frileuses que les hommes, c’est bien connu ! Il n’y a que lui pour ne pas le savoir !
Ça tombait
mal, un froid pareil.
Le matin il est
allé chercher des croissants…
Eh bien tu
vois, remarqua Laure, il a fait un effort !
Oh, pas
terribles les croissants… mollassons, enfin tu vois le genre, je ne sais pas où
il était allé chercher ça !
Il a quand même
fait un geste ! Il a voulu te faire plaisir…
Le vieux port
était magnifique, les bateaux à quai dodelinaient dans le silence ouaté de la
neige.
Comme c’est
beau, murmura l’homme, tellement inhabituel…!
Les yeux rivés
au sol, sa compagne avançait d’un pas maussade et malhabile sur la chaussée
mouillée.
Tu fais la
tête… ? C’était bien la peine !
Tu
ne comprends rien à rien…
Comme
toujours ! Je ne t’ai jamais comprise, ma chérie…
Les mains bien
enfoncées dans les poches, il haussa légèrement les épaules. L’air dégagé, il
regardait autour de lui. Le spectacle du port et de ses bateaux emmitouflés de
neige l’enchantait. Blanche et fière, la ville s’étageait tout autour.
Quand même,
ils auraient pu prévoir ! bougonna la femme.
Prévoir
quoi… ? Distribuer des bottes fourrées à tous les Marseillais ?!
Il rit.
Tu te souviens
quand nous courions dans la neige au Danemark la veille de Noël ? dit-il.
Il n’y avait que nous pour être dehors ce soir-là ! Ils étaient tous dans
leur petite maison bien chaude aux vitres éclairées par des bougies…
Un faible
sourire traversa un instant le visage de sa femme.
On avait
vingt-cinq ans…
Il approcha sa
main de la sienne. Elle eut un geste de recul, se ravisa.
Laure sourit.
Eh bien, tu vois… il a fait un geste vers toi.
(janvier 2009)