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4 janvier 2010

Vivez joyeux (Sol Undergreen), scènes V et VI, par Vincent

SCENE V

(Le narrateur, Ben Choron)

    NARRATEUR : Il avait tapé sur sa vieille Underword une bonne partie de la soirée. Il n’avait rien écrit non, juste frappé, cogné, sur les touches qui s’étaient emmêlées  les unes avec les autres, le A avec le B, le W avec le H, le point virgule sous le tiret et l’etc avec l’etcetera. Elle avait gémi la machine, grincé des dents, elle était froide malgré les coups, elle n’écrirait plus rien, elle était crevée la machine.

     A le surprendre ainsi, en pleine furie destructrice, un œil au beurre noir peu averti de la psychologie humaine et de sa mécanique n’aurait pas pu comprendre en quoi le travail de recherche auquel se livrait Bernard Choron, dit Ben Choron, pouvait avoir la moindre importance pour l’avenir de la presse libre - qui n’est libre que quand on la presse et encore. Ben Choron est l’animateur en chef, même pour ça y’a des chefs c’est contraignant, est l’animateur du journal : « La Feuille noire du chou blanc », je vous fais cette fleur, un journal clandestin dont le but principal est d’informer ses lecteurs, ce que n’a pas pour mission par exemple « Le Bigot madame » car la pute de luxe, pareille à son maquereau de concubin marital, n’a pas besoin d’être informée mais maquillée, ce qui est une tout autre approche jouïrnalistique, que combattait d’ailleurs Ben Choron mais lui dans le maquis et les autres chez Hermès (le messager des cons qui y croient encore.)

     Est-il donc devenu fou le Nanard, (oui nanard, il a fait  françisqué son nom pour plus de tolérance sécuritaire), est-il donc devenu fou de massacrer cet objet qui plus est de collection ? Cet objet sur lequel, identique, le prophète Jack Kerouac rédigea « On the road », un des plus beaux rouleaux de la Tora, et le Baron Emplein «Dedans » ce chef d’œuvre du libéralisme douloureux, injustement emprisonné dans l’oubli des masses populaires, des ploucs quoi ! Même Ste Bernadette, plus modeste y avait pondu son : « Mon chemin de croix…C’est toi ».

Cela est sans importance pour Nanard, il sait depuis qu’il a été licencié ,il y a quelques années, de l’usine à clous où il  travaillait alors : que la machine n’est rien, l’homme fait tout, à l’usine surtout, à la maison beaucoup moins, ce qui l’avait rendu anarchiste (bénis soient les dieux inexistants qui ne l’ont pas rendu communiste disait alors son papa) mais Nanard est anar sans le taoïsme car il ne comprend rien à la nature et a de sérieuses difficultés de concentration, le moindre merle moqueur le fait se fâcher. Non mais Nanard a étudié Kant et la quantique, il sait donc qu’il n’y a aucun rapport entre eux, ci ce n’est quelques atomes et réactions nano-atomiques.

« Aimez-vous Kant ? » se réflexe-t-il, comme vous pouvez le constater, en abaissant un violent coup de poing sur la gueule humiliée de son underword ou wood (peu importe sous qui l’on est pourvu que l’on y soit bien), son under n’écrirait plus. Regardez-le coller son visage à la chose métallique immobile et sombre qui gît sur son bureau.   L’expérience lui révèle qu’une machine détruite, inutile, s’humanise toujours, elle devient une bête. C’est ainsi pourquoi, il faut l’oser, que les véritables poètes ou les artistes contemporains sont toujours plus inspirés par un amas de ferraille que par un garage Folkswagen y compris chez Goethe qui était pourtant Allemand ancien et l’Allemand ancien était très fort en humanisme et ferraille que l’on dit - moi, j’étais pas là, j’ai rien vu, je suis un lâche.

Nanard tourne autour de sa pauvre undermachin la machine, il souhaite lui parler, il sent son odeur, le nez dessus il éternue, tout cela sent sa littérature. C’est fort, c’est très fort, atchoum, ah quand on explique la littérature française tout de suite on la cuisine mieux, comme disait Veule Vaucluse de Cahors avant de mourir ébouillantée comme une oie blanche dans son coq au vin.

Ah ah ! Nanard essaye de se concentrer à nouveau, il ne doit pas se poétiser le moins du monde au loin du monde, s’en tenir aux faits, rien que les faits et ne pas se dire comme dans le « Bigot » tout est fait et rien n’est à faire, après tout il est journaliste lui, d’investigation et l’investiguer c’est son métier. Et le résultat est là, enfin, grâce à son travail de recherche, à toutes ces heures de bureaux perdues  dans la nuit, Ben Choron, francisqué Nanard, a finalement cherché ce qu’il avait compris ou l’inverse car rien n’est clair au chercheur quand il fait une nuit de génie. Il a enfin pu analyser aux tréfonds de son être, dans sa nuit intérieure, au plus profond de ses tripes et nous n’irons pas plus loin pour ne pas t’indisposer ô spectateur si fragile et si volage.

      Oui ! Nanard Choron vient de comprendre enfin, en écrasant la machine, ce qu’est le pouvoir, l’oppression, l’annihilation des idées, le poids des gros mots, le filoutage des photos. Il vient de comprendre qu’il aurait pu lui aussi être un monstre immobile de la presse stérile, Choron ben Nanard vient de comprendre l’essence du mal en nous, il tient là un article du tonnerre pour l’édition du matin de la semaine prochaine. Sauf que vu l’état du matériel, je vois pas comment il va l’écrire maintenant ce lourdaud, pour être au clair il n’a même pas le net, il est largué, pov’type tiens

BEN CHORON : Combattre, combattre, regarde petite machine, toi le bras droit de la littérature regarde ce que les coups ont fait de toi

NARRATEUR : Il s’approche d’elle un peu plus près car il est malgré tout un peu miro - mais sans la vision espagnole. Il s’approche comme pour l’embrasser et c’est à cet instant ou ses lèvres vont susurrer la vérité, une de plus quoi, qu’importe il faut vendre, qu’il voit ces quelques  mots qui sont écrits comme par enchantement sur le papier froissé dans l’entre rouleaux de la machine :

BEN CHORON : diable !  .

NARRATEUR : non public mystique, religieux, superstitieux, non cela n’a rien à voir avec le diable car bien que la pièce soit obscure il ne s’agit en aucun cas des ténèbres, non. Les lettres en s’écrasant sur la page blanche, révèlent cette parabole miraculeuse à ses yeux :  « pfffsufrachpssshitetchitchicpchitttt »

BEN CHORON : pffsufrachpssshitetchictchicpchitttt,

NARRATEUR : non je répète : pffsu pffsu chp sss hite tchictchic pchitttt

BEN CHORON : aucun miracle, pchitttt, l’homme n’est bon à rien, c’est pour cela qu’il laisse tout à sa femme sauf la liberté, je sens que je m’écroule  sous le poids inconséquent  de ma conscience vaporeuse. Putain qu’est-ce qui m’arrive on dirait la rubrique littéraire de  l’ex à ma presse  moi les… Tiens y fait nuit

SCENE VI

(Sol, le narrateur)

SOL : Candida Albicans !!! Candida, voila la personne a qui je dois m’adresser pour avoir une explication claire de la situation obscure dans laquelle un anonyme ennemi m’a fait basculer…

NARRATEUR : …songe Sol Undergreen, dans le style limpide des pensées dans lesquelles il s’était englué depuis les 40 dernières années de son inexistence.

     Candida est une relation de travail qu’il a fréquenté lors d’un stage de son unité, elle est la seule personne encore en vie à connaître que son poste à la policerie n’est en fait qu’une couverture, le commissaire Magret de la Bruxelloise et sir Conarde Floyd de la Sherlockerie étant morts, respectivement pour l’un d’une indigestion de canard et pour l’autre d’une ingestion de morphine base avariée.  Non il n’y a que Candida elle aussi de la policerie qui sait que Sol Undergreen,  un des flics les moins en vue de la réserve indienne des Cévenols, est en fait un journaliste infiltré. Elle n’avait jamais d’ailleurs pu savoir pour quel journal il travaillait, sauf par déduction qu’il s’agissait certainement d’une feuille de chou clandestine. En effet à cette époque, que les plus de vingt ans ne peuvent pas encore connaître, n’importe quel journaliste peut demander sa mutation à la policerie, pourvu qu’il soit bien noté de ses inférieurs cela va de soi.

       C’est ainsi que de fins limiers de l’information peuvent se retrouver mutés par le plus grand des hasards de la politique dans les locaux  divers des poliçarias de la doulce contrée contrée où nous vivons mais dont nous tairons le nom par pur esprit de patriotisme Français. 

       Il faut cependant noter à l’inverse que nombre de flics fatigués par l’archivage des faits divers souhaitent donner un nouvel élan à leur vie professionnelle et s’investissent avec enthousiasme dans le jouïrnalisme. C’est ainsi, grâce à  ces hommes courageux, que quelques unes des plus belles pages de la propagande française furent écrites et publiées dans des journaux tels que le Bigot Madame et le Nouvel Interrupteur, pour ne citer que les plus célèbres.

     Mais Candida n’avait pas pu trahir Sol, car Candida aimait Sol et Sol avait été sentimentalement des plus confus avec elle ce qui faisait qu’elle ne pouvait rien mésestimer de son amour de lui à elle car quand on aime sans savoir on ne sait plus où l’on en est  et c’est cela qui fait  que c’est si romantique et qu’on se suicide à la fin sauf si son chevalier servant est à l’heure parce que pour une fois ces salauds de cégétistes de cheminots ont décidés de pas mettre des poutres en travers de la voie oui que c’est vrai c’était écrit là-dessus dans le New Folk Post, l’organe intérieur du ministère.

SOL : Dring, dring, allo c’est qui ? Mi chi devant mi yi, six fiit undi missié et, je ne comprends pas votre accent monsieur, c’est terrible ça l’accent, c’est étrange c’est un étranger, comment est-ce humainement possible d’être encore étranger à notre époque, je l’ai lu dans le Cosmopoliplane de la semaine der ...

NARRATEUR : alors là BOUM une explosion terrible enlève l’agent spécial Sol Undergreen de sa tentative de compréhension de l’étrange interlocuteur qui venait de l’appeler. Une puissante déflagration qui par son souffle le soulève de terre et l’envoie dans le ciel à des milliers de kilomètres. Comment ce pouvait-il se faire ? se réflexionne-t-il alors qu’il plane léger dans la stratosphère, même pas mal à première vue et la vue est loin présentement car il faut songer qu’il est en orbite à cet instant (oui ça se devine à peine je sais), alors là Sol en bon flic en déduit :

SOL : ce qui vient d’exploser est la tombe de mon chien Milou et je n’en suis en rien ni responsable ni coupable ni ministrable

NARRATEUR : c’est exact,

1) il n’est pas d’Al Craquera la cellule terroriste de la CIA,   

2) il aime les animaux et les chiens et les petits poissons   

3) la tombe ne peut avoir explosé par elle-même car il l’avait creusée de ses propres mains qui étaient alors devenues sales 

4) c’est donc son chien qui était piégé   

5) les salauds ils sont prêts à tout et ne respectent rien même par téléphone.

6) les terroristes sont étrangers à toute humanité donc ce sont des Aliens et pas des Basques, d’ailleurs le piment d’Espelette est très peu utilisé dans la confection des explosifs, je m’égare, flutepute, je m’égare.

      

    Donc suspendu à du vide, léger tel le néant ; quand on l’oublie peut-être, Sol en est donc là, là où il faut être, là où vont les êtres quand ils ne s’apprivoisent plus. Quel talent !

      Grâce à sa parfaite maîtrise du non-sens car dans l’espace intergalactique personne ne se risquerait à vous indiquer le haut du bas, Sol Undergreen se sent bien, il sait savourer ces instants de la vie d’un homme où l’esprit prend de la hauteur (car les grands esprits sont indubitablement toujours perchés, Jésus sur sa croix, de Gaulle sur la sienne, Moïse au mont blanc, ma chatte sur un toit brûlant, les exemples sont légions romaines tirons une croix là-dessus c’est bien moins lourd que de la porter mais vous faites comme vous voulez avec vos problèmes de croix, les grands penseurs y pensent qu’à eux d’ailleurs, tiens pour dire, dans « Les Misérables » sommes-nous cités une seule fois, bien sûr que non, alors que pourquoi eux plutôt que nous mais cessons de faire la causette, elle n’a que ce qu’elle mérite cette pauvre conne.)

     Les crédules, les mystiques pré-darwiniens ne se posent pas la question, la pensée magique aidant ils comprennent ils savent, ayant acquis l’inné, que tout est possible que tout peut arriver. Ainsi s’explique clairement pourquoi l’agent très spécial Sol Undergreen : 1m98, 115 Kg, à le voir on dirait pas tout de même, une lubie de l’auteur qui n’en pas, de la hauteur, et se permet tout et n’importe quoi, notre héros donc, il en faut pour faire rêver l’économie, le héros se retrouve là où il se trouve - c’est-à-dire toujours plus haut dans le phénoménal.

      Certains anthropologues du moyen âge ont cependant donné quelques explications à ce qu’ils appellent le phénoménal inexplicable souvent irrationnellement sous-estimé à sa juste valeur. Le phénoménal inexplicable est ce qui permet à l’être d’être sa propre essence ou, comme disent si bien les Anglo-saxons, son essence propre (et de l’essence propre pour son être, des millions de pauvres demeurés sans gourous la recherche chaque jour. )

     Sol Undergreen, grâce à sa parfaite conscience anarcho-taoïste d’appartenir à tout l’univers qui l’entoure et non pas qu’à sa mère, peut donc bien être là où il veut et même ailleurs et tout à la fois, il ressent les plaisirs des milliards de molécules qui composent la galaxie.

      La descente dans le phénoménal est toujours délicate et obscure pour un esprit cartésien, c’est son charme. Seule la physique quantique pourrait en approcher la poésie, mais qui lit encore avant de se coucher de la littérature quantique ? C’est épouffroyable, et le monde n’est plus ce qu’il était il y a encore  quelques secondes, et Sol descend toujours.

     A mille mètres on a une chouette vue sauf en Picardie où y a pas mille mètres mais plutôt des milliers de kilomètres de brouillards à l’horizontale et on n’y voit rien alors que ceux qui l’ont vu…fugacement…disent…d’un air badin : « c’est joli la Picardie ! »

     Sol Undergreen, au fur et à mesure qu’il se rapproche de sa planète, sent bien comme Sigmund Freud en son temps, qu’il y a un malaise dans la civilisation, une nouvelle pollution semble voir le jour, une pollution des corps, des esprits, des moindres particules, qui s’immisce en vous, en la moindre chose de vous, dans l’air du temps, dans le vent du matin, dans l’eau, dans le poisson qui nage et même dans le brouillard picard qui est pourtant si naturel au commencement de la congélation et si frais qu’on en faisait du surgelé avant de nous le mettre en boite. 

     Voila peut être la raison pour laquelle des forces obscures de la grande redistribution ont voulu l’assassiner, non pas qu’il sût qu’ils voulassent l’empoisonner - car l’agent spécial Sol Undergreen comme tous les « spécials » sait qu’il ne sait rien et que c’est déjà beaucoup -  non mais ils  savent qu’il a ce don particulier des Indiens cévenols de sentir avant tout le monde qu’un air morbide peut s’abattre à tout instant sur la planète bleue et la rendre verte de peur, ce qui même pour un écologiste n’est pas tolérable.

Le suspense étant à son comble, Sol Undergreen envisage de traverser le toit d’un pavillon de banlieue qu’aurait mieux fait, au vu des dégâts collatéraux qu’il va subir, d’aller se faire mettre ailleurs, mais il se retient et l’agent très spécial Sol Undergreen continue de planer dans les cieux. De planer de planer…

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