Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ateliers d'écriture et d'accompagnement à Montpellier ou par Zoom
Newsletter
Publicité
Archives
24 février 2010

Soba, par Michelle Jolly

SOBA

Madame Incaho se rangea sur le bas coté, dans la moiteur d’avril le chemin était interminable entre le village et Kyoto ; la poussière pénétrait sous ses vêtements, ses narines, ses cheveux, malgré le grand chapeau.

Elle tira sur la corde qui lui sciait les doigts, et approcha prés d’une flaque d’eau sale l’énorme porc qu’elle menait au marché, « allez, bois, Soba, » dit elle en se penchant.

C’était le dernier de la portée de l’an passé, elle avait donné les autres à ses enfants, celui-là, elle le bichonnait, lui parlait parfois, et retardait chaque semaine le jour où elle devrait s’en débarrasser. Mais il fallait être raisonnable, elle avait besoin d’argent, pour réparer le toit, acheter un nouveau poêle, le sien datait de la guerre ! et puis elle avait envie d’aller un jour à la capitale, voir les lumières dont lui parlaient ses petits enfants.

A ses cotés, la bête noire, imposante, se frottait contre sa robe, elle caressa le front au poil dur, il sembla grogner, elle sourit et continua sa route.

Le village où elle vivait l’avait vue naitre ainsi que ses enfants, il était agréable, niché au fond d’un vallon, quelques cultures à l’étroit sur les collines, mais pas encore envahi par la ville. Elle s’y plaisait, depuis la mort de son époux, il y avait longtemps, elle se contentait de cette vie au ralenti, avec Soba pour l’accompagner. Il y en avait eu bien d’autres : deux chiens autrefois, des chats, et des générations de porcs, mais celui là, elle le gardait au-delà du raisonnable !

Pourtant, se répétait elle, il faut le vendre aujourd’hui.

D’abord, un détour chez la femme du marchand de tongs, une habitude, depuis des années, elle venait chaque semaine lui poser les aiguilles. Elle savait faire, l’acupuncture était sa passion, son père la lui avait enseignée ; elle connaissait par cœur les points sensibles : l’antidouleur, l’énergisant, et l’antidépresseur, tout était possible disait elle.

Mais elle ne vivait pas de ses talents, n’osant pas.

Près d’un rosier buisson d’un rouge incandescent, assise sur le bord de sa terrasse, guettant l’arrivée de madame Incaho, la femme du commerçant transpirait et s’éventait vivement : « ah ! la voilà cria t-elle, accrochez votre anima à l’anneau dans le mur, et suivez moi à l’intérieur, il fait meilleur.. »

La vieille femme la suivit, déposa sur une petite table la boite métallique où elle rangeait méticuleusement ses aiguilles, et commença la séance.

« Avez-vous du temps, ce matin ? une amie est là et souffre, une douleur dans le dos, je vous en prie » demanda la cliente.

Puis ce fut le mari qui trainait la jambe, madame Icaho passait de l’un à l’autre, parlait de son art, et osa même affirmer, avec passion, que lorsqu’elle avait de tristes idées en tête, elle savait où piquer pour retrouver le sourire !

La maison se remplit de clients qui réclamaient la piqure du bonheur….

Elle s’arrêta un moment, sortit pour acheter un bol de pates et quelques légumes qu’elle partagea avec Soba au bout de sa corde, l’attacha à l’ombre, puis revint dans la maison, où l’on s’impatientait.

Trois heures passèrent, au couchant, elle reprit son chemin, s’offrit, devant l’échoppe du marchand de sodas, une orangeade bien fraiche, calcula dans son mouchoir l’argent récolté, revit ses projets, réfléchit un moment, puis, tirant sur la corde, son cochon qui grognait, le ramena pour quelques semaines à la maison.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité