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16 mars 2010

Sa toute, toute première fois! par Danièle Geroda

Sa toute, toute première fois !!

Notre club des 5 s’approchait enfin de la grotte qui allait faire l’objet d’une investigation en règle, cet après-midi là. Alain, moniteur en chef pour la journée, accompagnait  quatre néophytes fort désireux d’en découdre. . . enfin presque tous. Présents à l’appel, Jannick -  Damien  et Adrien ses deux fistons - et Patrice, le copain des spéléologues en herbe.

L’entrée, dissimulée derrière des buissons épais, passait inaperçue à tout promeneur empruntant les chemins alentour. D’ailleurs même Alain n’avait pas découvert immédiatement le « trou ». Jannick l’observait, un peu inquiète. Est- ce qu’on lui aurait vanté à tort ce mono pour l’obliger à s’inscrire à cette activité ? Elle en aurait bien choisi une autre parmi celles proposées dans ce centre de plein air : c’était surtout l’excitation des jeunes et leur fol désir de tester la nouveauté qui avaient eu raison de ses réticences. Alain, afin de les rassurer ou tout simplement pour espérer avoir des adeptes, avait décliné en long et en large ses compétences : chacun savait qu’on faisait appel à lui comme spéléologue secouriste.

Sans trop de gaieté de cœur, mais avec des hauts de cœur durant tout le voyage en voiture jusqu’au site, elle s’était faite une petite raison. Après tout elle ne voulait pas mourir idiote. Que penseraient les gamins, de surcroît, devant la couardise de leur mère ? Et puis, il était évident que leur guide, étonnamment costaud, bien en chair allait défier tous les boyaux rétrécis dont il leur avait touché simplement deux mots.

Elle examinait maintenant avec attention cette cavité sombre dans laquelle chacun d’entre eux allait bientôt s’engager tandis qu’Alain s’équipait de sa combinaison, tout en expliquant le fonctionnement de la lampe acétylène qu’il portait sur son casque. Il s’évertuait à parler tranquillement, sans précipitation, comme pour désamorcer des palpitations intempestives qu’il devinait, avec raison, chez ses stagiaires. C’était la seule façon, qu’il devait avoir expérimenté afin d’ asseoir une confiance indispensable. Seulement ! Qu’avait -elle besoin, elle, de connaître  le fonctionnement d’une lampe qu’elle ne possédait même pas ? Jannick était plus préoccupée de sa propre lampe électrique, à savoir : allait –elle suivre le parcours d’un bout à l’autre sans donner de défaillances ? Oh ! C’était une pile Wonder !! Vous connaissez la suite , tout de même.

Alain, comme pour répondre à sa question muette lui assura qu’il glissait toujours des lampes de rechange dans le boudin qu’il faisait suivre. Un timide sourire s’accrocha alors sur le visage de Jannick qui commença à suivre les explications sans sourciller. Ecouter, d’accord ! Mais elle n’allait certes pas poser des questions et ainsi montrer son affolement intérieur.

« Il faut vous détendre ! plus les articulations seront flexibles et plus le corps avancera sans encombres.  Voyez mon embonpoint naissant, si je passe, vous passerez. » Facile à dire ! Pourtant là, il savait qu’il marquait un point. Jannick, avec son petit 38, pouvait espérer s’en sortir sans trop de dégâts. «  Et puis ! Sachez que jamais personne à ma connaissance n’est resté bloqué, dans cette grotte » Là, pour le coup, çà devenait plus inquiétant puisqu’il émettait l’idée que rester bloqué n’était pas du domaine de l’impossible. Enfin, il ne fallait pas non plus s’inquiéter outre mesure : un spéléo secouriste est censé secourir quand il y a besoin. Et puis, la grotte de Rancogne avait la préférence de beaucoup de moniteurs. Elle offrait tout un panel de difficultés non insurmontables auxquelles se confrontèrent pour une première fois les stagiaires. 

Cependant, même si Alain choisissait toujours celle-ci pour une première expérience il se demandait à cet instant s’il n’avait pas commis une erreur. Il s’en voulait un peu d’avoir forcé Jannick à le suivre .Il allait devoir déployer son arsenal d’encouragements pour motiver cette nouvelle venue, tout en freinant les ardeurs des jeunots tout à leur enthousiasme d’explorateurs. 

Peu équipée pour la circonstance Jannick s’inquiétait déjà du devenir de son survêtement gris, revêtu à défaut pour cette expédition souterraine. Des bottes plastique  plus que sa taille, lui avaient été proposées au centre car pas question, elle en était consciente de se hasarder avec des baskets sur ce terrain glissant. Est-ce qu’elle pourrait se placer juste derrière Alain et ainsi profiter d’une lumière plus intense ? Non , Il en décida autrement : les adultes devaient encadrer les jeunes. Elle se retrouva donc la dernière de la mini troupe. Pourvu, pensa t-elle  qu’avec l’esprit frondeur  dont il semblait doté aux dires des autres moniteurs , il ne la laisse pas tout bonnement avancer à l’aveuglette pour se moquer d’elle. !

Alain débuta leur périple en signalant les premières aspérités et la manière de les contourner. Les premiers pas effectués, dans une véritable boue, déridèrent chacun . Jannick, même elle, laissa échapper un petit rire forcé et nerveux quand elle sentit ses deux fistons choir à ses pieds. Il fallait vraiment regarder où mettre les pieds : seulement on ne voyait pas grand-chose. . .

Et pourtant ! Mon Dieu ! Que la grotte était belle ! C’est ce que Jannick captait des conversations qui arrivaient jusqu’à elle,  fort atténuées, mais l’engageant à accélérer l’allure.

« (Ma) man.. …(il) va (fa)lloir ram(per) . . .place ‘(ta) tê(’te) à gauche, sinon ‘(le) cas(que) ne (pa)ssera pas ! . .

Allez ! Un dernier petit effort était requis pour déboucher dans la première salle où l’on pouvait se mettre debout. Depuis combien de temps étaient-ils partis ? Pas moyen de  le savoir. Vivre dans l’obscurité enlève toute notion d’existence , découvrait-elle.  D’ailleurs,qui vit ici ?

Alain rassembla autour de lui l’équipe. Il était satisfait de cette première partie de la visite : certes il ne donnerait pas le feu sacré à Jannick mais il était persuadé qu’elle allait découvrir un monde inconnu, palpitant. Jannick était satisfaite, quant à elle, de pouvoir faire une pose et remettre ainsi ses esprits en ordre. Cette odeur d’ail et de pierre mouillée, elle commençait à s’y habituer.  Elle se surprit à dresser une liste des points positifs de cette expédition. Elle n’avait pas froid : 13° c’est acceptable ;  cet hiver elle avait connu pire. Le kway lui assurait une étanchéité précaire mais protégeait le survêtement. Pour l’instant elle n’avait pas perdu ses bottes trop grandes . . . Elle ne déméritait pas face aux trois jeunes. Au contraire elle les pressentait très à l’écoute. « Ca va, maman ! Tu suis ? Attention ! » se renseignaient ses deux fils. Même Patrice, redoublant de bienveillance, lui tendait une main protectrice  en cas d’une glissade inopinée.

Alain proposa alors une petite expérience à sa troupe, annonçant que c’était le lieu rêvé pour la mener : Jannick appréhenda  le discours qui allait suivre :mais de toute façon la résignation était de mise.

« Vous allez éteindre vos lampes, tout comme moi, et vous allez essayer de vous mettre à l’écoute du silence. »

Impensable, infaisable ! Le défi devait  pourtant être relevé et Jannick s’aperçut qu’au moins sa peur panique du noir, pour l’heure, lui coupait le sifflet. Il n’en était pas de même des jeunes qui avaient besoin de meubler ce silence inquiétant. Des rires étouffés succédèrent à des raclages de gorge, à des soupirs . . . Alain, seul, ne pipait mot  et son silence fut contagieux, si bien que, peu à peu, on n’entendit  plus que le clapotis des gouttes d’eau tombant sur le sol. . .

Et si Alain en profitait pour les laisser tous les 4 se débrouiller seuls afin de retrouver la sortie ! pensa subitement Jannick avec angoisse . Non, il avait charge d’âmes, Il ne pouvait se permettre de leur jouer un tour aussi pendable. L’espace de quelques minutes pourtant les battements de son cœur résonèrent si fort que Jannick supputa une attaque cardiaque imminente.

Enfin, Alain arrêta le supplice et la lumière fut ! Réconfortante, bienfaitrice. Chacun  se mit à scruter, rassénéré, les parois,  admirant le spectacle offert à leurs yeux : de superbes concrétions d’un blanc transparent habillaient cette grotte. Derrière ces stalactites et stalagmites se profilaient des colonnes ou s’étalaient des draperies. Ce monde souterrain dévoilait une beauté certaine, reconnut Jannick. Elle ne regrettait plus sa descente mais ne vivait que le moment présent. Il valait d’ailleurs mieux ne pas anticiper sur ce qui allait suivre.

« C’est un circuit, annonça Alain, on ne revient pas par le même chemin »

« Mais comment veux tu qu’on passe par ici ? » s’inquiéta  soudain Jannick. Les deux parois qu’il désignait étaient très rapprochées et un trou béant s’offrait à leur regard inquisiteur.

« Nous serons obligés de passer en opposition » répondit-il . La peur au ventre, Jannick était tétanisée . . le regard désespérément braqué sur le vide. Alain jugea qu’il était préférable de la faire passer derrière lui et lui éviter ainsi une attente interminable : elle n’aurait pas le temps de s’appesantir sur son sort. Trop penser devient néfaste dans des moments aussi cruciaux. Elle sentit alors une poigne de fer lui saisir la taille pour l’entraîner, sans qu’elle ait le temps de rechigner, vers le bord de la faille. Les explications lui arrivaient confuses,et elle se rendit compte qu’elle n’intégrait les consignes qu’une à la fois. Etrange pour une enseignante qui passait son temps à entraîner la mémoire de ses élèves !

« Assieds- toi comme moi, perpendiculaire à la paroi arrière ; tes jambes contre la paroi d’en face C’est ton dos qui doit porter. Allez, on avance ensemble » Un escargot ou une tortue auraient à coup sûr gagné la course si course il y avait eu ! Alain, durant tout le trajet, long de quelques mètres seulement, encouragea sans compter chaque déplacement d’une jambe contre la paroi qui leur faisait face. A ce rythme, pensait-il, ils allaient se passer du goûter au centre ! Mais il lui faudrait ramener tout le monde à bon port quelle que soit l’heure !

Ouf ! Tout à coup Jannick sentit sous ses fesses la roche porteuse qui avait subitement comblé le trou.

« Génial ! maman c’est chouette hein ! » s’esclaffaient Damien et Adrien éprouvant une fierté soudaine devant l’exploit de leur mère. En deux temps, trois mouvements, eux  et leur copain s’acquittèrent de cette épreuve.

Alain proposa alors de regagner leurs pénates en rampant sur les avants bras jusqu’à la sortie. Là, à  nouveau, pas de choix possible. Jannick décida d’oublier les contorsions douloureuses et les bleus qui allaient faire partie désormais de son anatomie. Avec brio, elle passa la première, déployant toute son énergie pour avaler les derniers mètres restants. Un léger souffle de chaleur et un rai de lumière signalèrent le retour à la surface : Il ne restait plus qu’à aller laver dans la Tardoire, la rivière voisine, les vêtements glaiseux et les visages méconnaissables.

Jannick, contrairement aux apparences, ne jura pas qu’on ne l’y reprendrait plus. . .Qui sait ? Alain leur avait parlé de l’hibernation de chauves-souris dans une autre salle.

Ce serait excitant d’aller observer leur repaire.

Avec une lampe qui fonctionne,

Avec un mono protecteur,

Avec une tenue plus adéquate.

Danielle Géroda                              Jeudi 4 février

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