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14 octobre 2010

Des objets... par Carole Menahem-Lilin

Point de départ de ce texte : A l'atelier d'écriture, nous avons depuis peu une lampe dont le pied est formé d'un livre, au titre mystérieusement caché sous une couverture soigneusement collée, et dont les pages sont artistiquement collées entre elles. Ce livre, anonyme mais éclairant, est devenu le symbole du livre, celui qui nous trotte par la tête, dont on parle souvent où dont on ne parle jamais, le livre peut-être qui a illuminé notre rêverie d'enfant même si on en a oublié le titre. Cet objet, je l'ai trouvé au vide-grenier d'Antigone, à la toute fin de la manifestation, au moment où les derniers exposants songeaient à remballer. Il semblait m'attendre.
La semaine passée, j'ai proposé d'écrire à partir de phrases courtes, que j'appelle phrases déclencheuses, ou bien d'incipit de romans. Il était aussi possible de manipuler doucement les pages collées entre elles du livre lampe pour y prélever quelques mots, un début de phrase, une expression. J'ai ainsi trouvé ces deux mots: "des objets", dont le texte qui suit est né. Même s'il s'agit d'un texte de fiction, il traduit sans doute mon rapport ambigu aux objets: ce sont des amis, dont j'aime à m'entourer, que j'aime à contempler. Mais s'ils se multiplient autour de moi, sans rime ni raison, ils deviennent des poids. Dans l'entassement du quotidien, il faut trouver son poème... Carole

Des objets. Des objets des objets. Elle se sentait environnée d’objets, objet elle-même presque, l’objet de ses objets, au lieu d’être sujet de sa vie.

Des objets. Beaux objets, objets utilitaires. Objets lourds, émouvants, fades, pratiques. Des objets qu’il fallait dépoussiérer, réparer, transporter, des objets qui se disputaient la place réduite de leur appartement. Des objets qu’il fallait remplacer quand ils se cassaient car, bien sûr, autour d’elle on partait du principe qu’ayant été adoubés une fois, ils étaient devenus indispensables. Elle avait été élevée dans cette idée, qu’on ne pouvait manquer de foi envers les objets qui vous font, oui, qui vous font par le désir qu’on a eu d’eux, par l’empreinte qu’ils ont laissé sur vous. Quitte à se mettre en dette, pour eux.

Des objets. Elle se sentait, aujourd’hui, la proie de ses objets, comme lorsque pèse une fidélité morte, étouffée, étouffante. Elle aspirait à autre chose, à une vie non pas dénuée d’objets, mais au moins armée d’objectifs.

Des buts, voilà. Des buts qu’elle aurait choisis, auxquels elle se donnerait, mais qu’elle pourrait abandonner en cours de réalisation si la conjoncture ne s’y prêtait pas, ou encore qu’elle pourrait modifier, sans se sentir coupable de meurtre. Ses objectifs seraient son arme, pour devenir aussi entière et pleinement elle-même que possible. Alors que les objets étaient une âme, une âme gémissante qu’elle ne pouvait s’empêcher d’entendre, et qui la tiraient en arrière. L’âme de son enfance, peut-être – ou de ce que, de son enfance, elle devait abandonner pour devenir enfin femme.

Partir, trahir, s’alléger, pour revenir plus tard peut-être, mais avec un regard neuf… Ce serait son premier objectif.

A la question du poète : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » elle répondit sans hésitation « oui ». Mais cela ne l’empêcha pas de déposer, pieusement et avec les plus grandes précautions, les objets qui l’encombraient sur le trottoir du vide-grenier. Qu’ils voyagent, eux aussi ! Qu’ils trouvent preneurs et se déprennent d’elle !

Elle avait, elle, son âme à sauver. A gagner.  

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